Existe-t-il une fracture générationnelle face à la désinformation sur le web ? C’est ce que tend à démontrer une étude américaine parue le 9 janvier dans Science Mag, en analysant la façon dont se sont propagées les fausses nouvelles sur Facebook. Il apparaît que les seniors de plus de 65 ans partagent en moyenne près de sept fois plus d’articles faux que la classe d’âge la plus jeune.
Pour parvenir à ce constat, les trois auteurs de l’étude, qui sont affiliés aux universités de New York et de Princeton, ont observé les activités d’un groupe de volontaires qui ont accepté de partager les données de profil de leur compte. Chaque fil d’actualité a ensuite été remonté pour recenser les liens qui ont été partagés et les comparer à diverses listes consacrées aux sources de fake news.
Définir les fake news
Or c’est là que s’est trouvée la grande difficulté de ce travail : quelle définition donner à l’infox ? Est-ce que les bases sur lesquelles se sont fondées les trois universitaires pour déterminer la justesse des articles sont pertinentes ? Un article hyper-partisan relève-t-il de la fausse nouvelle ? La perception pouvant varier d’un individu à l’autre, décision a été prise de faire appel à des travaux extérieurs.
« Étant donné la difficulté à établir une définition commune et juste de ce qu’est une fausse information, notre approche a été de nous appuyer sur le travail de journalistes et d’universitaires » qui ont travaillé sur cette problématique, notamment au cours de la campagne électorale de 2016 aux USA. En tout, ce sont cinq listes qui ont été utilisées, en prenant soin d’écarter certains domaines.
Par exemple, les sites hyper-partisans comme Breitbart — un site ultra-conservateur américain très influent dont la sympathie pour Donald Trump est évidente et qui fait l’objet de nombreuses critiques quant à sa façon de traiter l’actualité — ont volontairement été écartés du champ de l’étude, de manière à ne pas prêter le flanc à certains reproches sur la méthodologie.
Résultat des courses, les universitaires ont conçu un outil d’identification des articles cohérent, fondé sur des sources pertinentes et suffisamment resserré pour éviter de comptabiliser en fake news des faux positifs ou des articles dont la nature est discutable. Ce n’est sans doute pas idéal, car certains papiers douteux qui n’ont pas été identifiés en infox l’auraient peut-être été avec une autre méthodologie plus exhaustive.
Mais ce faisant, les auteurs ont pu restreindre leurs recherches sur des liens qui ne laissent aucune place au doute.
Les seniors partagent plus d’infox
La bonne nouvelle, c’est que le partage de fausses nouvelles est assez rare. Du moins, à l’époque de l’étude, celle-ci ayant pris place en 2016. Seuls 8,5 % des participants à cette étude ont partagé au moins un article issu d’un site de fake news. Un écart notable a été observé entre les Républicains et les Démocrates, qui s’expliquent par le fait que la campagne de Trump a été marquée par les infox.
Mais c’est surtout les écarts générationnels qui ont interpellé les universitaires. « Bien sûr, l’âge est corrélé avec d’autres caractéristiques, y compris les prédispositions politiques », admet l’étude. Mais il a été constaté que ces différences d’attitude ont persisté même après avoir tenu compte de l’idéologie et du profil des volontaires. Comment, dès lors, expliquer ces différences ?
Vieillesse et illectronisme en cause ?
Si cette question n’était pas l’objet de l’étude, les universitaires ont esquissé deux pistes qui mériteraient d’être creusées : la première de ces hypothèses porte sur le déclin des facultés intellectuelles à cause de la vieillesse. La seconde s’interroge sur l’aisance des personnes âgées vis-à-vis des nouvelles technologies, qui ne sont pas nées avec une souris à la main, en quelque sorte.
Concernant l’âge, les universitaires font ainsi remarquer que « la mémoire se détériore avec l’âge d’une manière qui mine particulièrement la résistance aux effets de vérité illusoire et à d’autres effets liés à la persistance des croyances et à l’heuristique de disponibilité, notamment par rapport aux indices des sources ». Dès lors, les hoax les atteindraient davantage.
Digital natives vs. Digital immigrants
Quant aux compétences face au numérique, il s’agit de la rupture qu’il existerait entre les « digital natives », expression qui désigne les personnes que l’on suppose familières avec le numérique, parce qu’elles sont nées à une époque où cet environnement était déjà partout, et les « digital immigrants », c’est-à-dire celles et ceux nés avant cette époque et qui ont dû s’adapter à ce nouveau monde.
« Il est possible qu’une cohorte entière d’Américains, aujourd’hui dans la soixantaine et au-delà, n’ait pas le niveau d’éducation aux médias numériques nécessaire pour déterminer de façon sûre la fiabilité des nouvelles croisées sur le net », suggèrent les auteurs. En outre, rien ne dit que les deux hypothèses s’excluent : ces deux explications sont peut-être à l’œuvre dans certains cas de figure.
Ces questions non résolues nécessiteront des investigations complémentaires, ne serait-ce que pour distinguer ce qui relève d’un déficit cognitif d’un cas d’illectronisme, si ces deux théories s’avèrent exactes. Dans le cas de la seconde, si l’éducation aux médias est un facteur explicatif clé, les universitaires invitent à imaginer des méthodes pour aider les personnes à mieux se former à l’esprit critique.
« Quelles sont les interventions qui pourraient accroître efficacement la capacité des gens à discerner l’information de qualité dans un environnement médiatique complexe et à haut choix, truffé d’indices sociaux et politiques contradictoires ? », se demandent-ils. Cette tâche, suggèrent-ils, pourrait être accomplie dans une coopération entre les universitaires et les plateformes sur lesquelles sont partagés ces liens.
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