À moins d’avoir un excellent sens de l’orientation, vous utilisez sûrement des cartes en ligne ou des applications GPS pour vous repérer. Mais saviez-vous que certaines sont réalisées en partie voire entièrement par des bénévoles ? Numerama est parti à leur rencontre.
Un Wikipédia de la carte routière
David, alias Deeploz, est consultant dans une entreprise d’informatique. Lorsqu’il n’y travaille pas, il enrichit des cartes pour l’application GPS Waze : il crée de nouvelles routes, des ronds-points, il ajuste des limitations de vitesse ou ajoute des feux rouges. Lorsqu’il a commencé en 2010 à la suite du lancement de Waze en France, ils étaient une cinquantaine de bénévoles à faire ceci. Aujourd’hui, ils sont plus de 1 300.
Ces 1 300 personnes qu’on appelle des éditeurs ou des wazers sont très majoritairement des hommes – les femmes se comptent sur les doigts des deux mains, regrette David. Aucun n’est cartographe de métier : on trouve parmi eux des chauffeurs de taxi, des instituteurs, des ouvriers, des actifs comme des non-actifs.
« Nous ne sommes ni des employés ni une association, juste un groupe de passionnés », raconte-t-il à Numerama. Lui-même n’avait jamais imaginé se lancer dans la cartographie avant 2010. Il avait seulement, dit-il, un « attrait » pour les cartes de randonnées pédestres, qu’il utilisait.
Mais voilà : lorsque Waze est arrivé sur le marché, ses créateurs ont dit aux utilisateurs : « c’est à vous de faire une carte ». Parce qu’ils se disaient que cela pourrait leur être utile, certains se sont prêtés au jeu et le fonctionnement de Waze n’a jamais évolué depuis. « 100 % de ce que vous voyez est fait par des wazers, s’amuse David. C’est un peu comme un Wikipédia de la carte routière. »
Des millions de contributeurs, et même des moutons bénévoles
La carte de Waze n’est pas la seule à être alimentée par des bénévoles. C’est par exemple le cas de l’une des maps collaboratives les plus connues, OpenStreetMap. Cette carte open-source née en 2004 en Angleterre repose sur une combinaison de données : celles de systèmes GPS, des données accessibles au public et fournies par des administrations, et celles d’anonymes. Plus d’un million de personnes ont participé. En France, on compte chaque jour 200 éditeurs, principalement bénévoles.
Benoît Fournier s’est lancé dans l’aventure il y 3 ou 4 ans. Cet ingénieur d’une trentaine d’années a cherché un jour une carte accessible sur son smartphone. Il est tombé sur OpenStreetMap, et a « tout de suite accroché ». « Je suis d’abord devenu un utilisateur puis j’ai commencé à ajouter des données petit à petit, nous raconte-t-il. Quand j’allais en vacances, je me disais tiens, je pourrais préciser ça ». Il dit aussi avoir aimé le côté « éthique » du projet.
Google Maps aussi, repose (en partie) sur les contributions des internautes. Dans certaines régions du monde où le géant de la tech ne se décide pas à envoyer quelqu’un, des anonymes prennent le relai, avec des méthodes plus ou moins insolites.
En 2016, Durita Dahl Andreassen, une habitante des îles Feroe, a lancé une pétition pour que Google vienne photographier son lieu de résidence et l’inclue dans ses services Google Street View (qui permettent de visualiser un lieu à 360 degrés). Elle a finalement trouvé avec Google un moyen d’y parvenir : elle a équipé quelques moutons de caméras à 360 degrés et fonctionnant à énergie solaire. En se baladant, les animaux ont fourni des images des îles.
https://www.youtube.com/watch?v=GKUluG2eWWo
Le recours au bénévolat est-il justifié ?
Le recours au bénévolat ne se justifie pas toujours de la même manière. Dans le cas d’OpenStreetMap, c’est assez simple. Le projet n’a pas de but lucratif. Il s’agit uniquement de créer une gigantesque base de données open-source, qui soit disponible gratuitement pour tout le monde. Employer et rémunérer autant de personnes qu’il n’y a de bénévoles serait donc impossible.
La situation est plus délicate pour Google Maps ou Waze. Si ces entreprises n’avaient pas un tel vivier de bénévoles, elles ne pourraient pas, avec les moyens qu’elles y mettent actuellement, mettre à jour les cartes du monde entier. Des zones, notamment rurales ou peu peuplées, en pâtiraient. Mais la question se pose malgré tout.
Waze a été racheté par Google en 2013. Ses équipes revendiquent 12 millions d’utilisateurs par jour en France. Selon elles, il n’y aurait pas 1 300, mais 2 000 éditeurs… et seulement une vingtaine d’employés dans l’Hexagone – même si on nous explique que le gros des équipes est plutôt à Tel Aviv, ville d’origine de l’application.
Pour Numerama, Jérôme Marty, le DG de Waze France, assume ce déséquilibre. Mais selon lui, cela ne poserait pas de problème aux wazers.
David nous le confirme à demi-mot. Son activité peut parfois être chronophage. Il estime qu’il y passe 2 ou 3 heures par semaine, mais affirme que certains sont à un rythme de 2 heures par jour. À la suite du rachat de Waze par Google, les bénévoles ont eu un « cas de conscience ». Ils se sont demandés s’ils ne pourraient pas toucher un peu d’argent. Ils ont finalement abandonné l’idée, en l’échange de garanties. « Tant que l’appli reste gratuite et qu’il n’y a pas d’ingérence de Waze, ça nous va de ne pas être payés », détaille David.
Lui et les autres bénévoles partagent le sentiment de se rendre utile, mais aussi d’avoir un peu de pouvoir sur les choses. « Il y a peu d’applications qui nous permettent d’être à la fois consommateur et acteur, note le wazer. On est au cœur du projet. »
Des missions de plus en plus importantes
À en croire Jérôme Marty, les bénévoles ont en fait de plus en plus de missions et de pouvoir dans l’entreprise. Ces derniers ne se contentent plus seulement d’éditer les cartes. Ils font également des retours aux développeurs de Waze pour savoir quelles améliorations doivent être faites. Depuis peu, ils rencontrent aussi des personnalités politiques pour discuter de collaborations à venir ou d’éventuels problèmes. Ce sont les wazers et non Waze qui ont par exemple aidé le maire de Lieusaint, une commune située en banlieue parisienne, lorsqu’il a commencé à se plaindre du trafic trop important généré par l’appli dans sa ville.
« Un élu m’a déjà demandé si on ne pourrait pas dérouter le trafic »
De tels rôles ne sont pas anodins. David, qui « pousse depuis quelques temps les portes des mairies et agglomérations » s’est déjà retrouvé dans des situations délicates. « Un élu m’a déjà demandé si on ne pourrait pas dérouter le trafic qui passe par sa commune vers la commune d’un élu d’une autre couleur politique », dit-il en riant. Le consultant assure que même s’il l’avait voulu, il n’aurait pas pu le faire : les autres éditeurs l’auraient vu et lui auraient envoyé un rappel à l’ordre.
Il ajoute que tout le monde ne peut pas modifier n’importe quoi sur les cartes. Il faut déjà avoir fait ses preuves pour pouvoir toucher à une départementale, encore plus pour une autoroute. Ceux qui dérogent aux règles peuvent être exclus définitivement de la communauté. « Depuis 2010 on a du exclure 5 personnes, c’est très marginal, raconte David. Évidemment, on fait attention. Si on le voulait, on pourrait créer des bouchons monstres en île-de-France. »
La « guerre » des cartes
Les cartes réalisées par des bénévoles prennent de plus en plus de place. En France, le moteur de recherche Qwant s’est notamment basé sur les données d’OpenStreetMap pour développer sa Qwant Maps. Au téléphone, Tristan Nitot, vice-président de l’entreprise, refuse de prononcer le mot « Google Maps », qu’il s’agit pourtant de concurrencer. Il raconte qu’il leur était impossible de développer leur propre cartographie. « Quand on veut faire le poids face à de grosses entreprises, dit-il, ça demande un capital humain énorme ».
Il ajoute que les données d’OpenStreetMap sont aujourd’hui extrêmement précises. Certes, il n’y a pas les horaires d’ouverture des magasins ou l’affluence comme sur Google Maps et d’autres données utiles pour les internautes comme Google Street View. Mais il y a des bénévoles pour à peu près tout le reste.
« Un petit groupe de personnes s’est donné pour mission de recenser uniquement les panneaux attention aux biches », s’amuse Tristan Nitot. Benoît Fournier assure aussi qu’OpenStreetMap est plus précis que d’autres services concernant les petits chemins, comme les sentiers que peuvent emprunter les cyclistes.
Qwant a pu mixer ses propres outils avec OpenStreetMap, comme l’ont fait d’autres organismes. Benoît Fournier raconte que plusieurs associations s’appuient sur les cartes mises à disposition gratuitement, par exemple pour indiquer où se trouvent leurs locaux ou des points importants (lieux où jeter ses déchets, etc.). Des applications GPS ont fait le même choix.
De grosses entreprises s’intéressent aussi de près au projet : en 2012, Apple avait abandonné Google Maps au profit d’OpenStreetMap pour la géolocalisation des images contenues dans iPhoto (application depuis remplacée par Photos). Apple ne se passe pas pour autant des services de Google, loin de là : en septembre, l’entreprise a annoncé que Waze et Google Maps allaient être proposés sur l’application Apple CarPlay.
Un business qui semble loin des préoccupations des utilisateurs actifs : « On contribue pour les autres, pas pour que ces informations soient revendues à on ne sait qui, il y a une vraie idée de citoyenneté derrière », conclut Benoît Fournier.
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