« Cybertek ! J’étais persuadé que c’était juste une boutique dans mon patelin ! Impressionnant comme truc, c’est quoi ? » : tels ont été à peu de choses près les mots de cet ami passé à la rédaction en coup de vent, tombé nez à nez avec la bête qui trônait sur mon bureau.
C’est quoi ? Eh bien, c’est un ordinateur, monté effectivement par Cybertek avec un soin tout artisanal dans un boîtier BeQuiet imposant, laissant apparaître ses discrets néons. À l’intérieur, on distingue des composants MSI, un processeur Intel Core i9-9900K cadencé à 3,6 Ghz, 32 Go de RAM et un SSD M.2, bien agencés avec le minimum de câbles apparents. Tous ces objets techniques parfaitement assemblés qui transpirent le haut de gamme encadrent le clou du spectacle : la GeForce RTX 2080 Ti, clou de la nouvelle gamme de Nvidia.
C’est la configuration prêtée par le constructeur américain pour nous en mettre plein les yeux et nous prouver que ses cartes graphiques ouvrent une nouvelle ère. La gamme RTX a été conçue avec deux idées en tête : proposer une puissance démesurée pour le jeu, le calcul (notamment côté apprentissage machine) et les rendus 3D et ajouter des instructions pour amener le calcul en temps réel du ray tracing de la théorie à la réalité : c’est tout le sujet de notre article détaillé qui lui est consacré . Si le procédé est ancien, la puissance nécessaire pour en faire quelque chose d’utilisable a mis plusieurs années à arriver sur le marché.
Mais alors, en pratique, qu’est-ce que ça donne ?
Les mains dans le cambouis virtuel
Pour tester une pareille configuration, il faut que l’écran suive. Et pour trouver de la 4K HDR, le tout sur un écran G-Sync 144 Hz, il faut investir… 2 500 €. Vivement la baisse des prix.
Début 2019, il faut reconnaître d’emblée que le haut de gamme visuel se mérite et débloquer la puissance d’une carte comme la 2080 Ti n’est pas une affaire plug and play. Déjà, il faut avoir la dernière mise à jour de Windows. Ce qui semblait être une affaire de clic est devenu un calvaire, puisque la dernière mise à jour est la fameuse mise à jour d’octobre, repoussée, relancée, ré-enlevée, redéployée… bref, ce n’est pas une tâche insurmontable, mais c’est une petite épreuve tout de même.
Ensuite, la configuration d’une carte graphique, malgré tout ce que Nvidia fait pour nous faciliter, n’est pas encore entièrement intuitive. Même si le panneau de contrôle GeForce Experience se charge des mises à jour et de l’optimisation des jeux qu’il détecte, il faudra très souvent aller dans le Panneau de configuration Nvidia pour activer des options précises ou cachées. Ce panneau, hérité esthétiquement d’un Windows que les moins de 20 ans ne connaissent pas, est archaïque… mais c’est là qu’on trouve, par exemple, la possibilité de faire en sorte que l’écran rafraîchisse à 144 Hz sur le bureau. Ou les options liées à G-Sync, cette fonction qui synchronise le rafraîchissement de l’écran aux images par seconde des jeux et évite l’effet déchirement.
Une fois que vous aurez tout bien configuré sans avoir lancé le moindre jeu, l’étape suivante sera de bien configurer le jeu. Aujourd’hui, Battlefield V est le client idéal pour tester les performances des nouvelles cartes Nvidia et malgré une mise à jour qui a rendu les options plus accessibles, elles restent obscures et difficiles à paramétrer. Entre le HDR à régler, la V-Sync (on se demandera toujours s’il faut l’activer ou si G-Sync s’occupe de tout…), les toggle à activer qui enclenchent les options liées au ray tracing et la configuration du ray tracing en lui-même, rien n’est clair.
Les paramètres ont des noms et des descriptions sibyllins : la Qualité des Reflets Lumineux DXR a 4 paramètres, mais on ne sait pas à quoi ils correspondent (réponse : aux types de matières pris en compte). La Quantité Effets, de son côté, ne dit pas ce qu’elle concerne (réponse : le nombre de rayons maximal ray tracés dans une scène). Bref, on sent que les développeurs ont souhaité être à la pointe de l’expérimentation graphique, mais n’ont pas encore déployé suffisamment de ressource pour la rendre accessible. Ce qui a tendance à nous donner une expérience étrange, entre la conscience de tester des choses encore jamais vues et l’incertitude de savoir si on a bien configuré l’ensemble pour afficher tout ce qu’on devrait afficher.
Une fois ces déboires de pionniers dépassés, nous pouvons avancer.
Le futur des jeux de poseurs
Quand nous avions joué à Battlefield 1 sur une configuration moindre, mais puissante, il nous avait semblé qu’une claque graphique n’allait plus être possible pour quelques années au moins. Et pourtant, les technologies de pointe ont évolué très rapidement : l’écran QHD 144 Hz qui était hier la norme a été remplacé par des modèles 4K 144 Hz G-Sync gérant désormais le HDR. Et quand on investit dans une carte aussi onéreuse que la RTX 2080 Ti, c’est qu’on a en tête l’évolution qui va en ce sens.
Début 2019, les seules limites semblent être logicielles. La technologie n’est pas encore massivement diffusée et même si Nvidia a travaillé main dans la main avec Dice pour lancer le ray tracing en démo technique sur Battlefield V, on sent que la marge de progression est énorme.
Aujourd’hui, il est par exemple impossible de jouer en 4K HDR G-Sync avec un framerate correct. Nos confrères de Tom’s Hardware l’ont confirmé par des benchmarks précis : une RTX 2080 Ti ne pourra supporter à hautes images par seconde le niveau le plus avancé de ray tracing qu’en QHD. En 4K, le maximum qu’elle pourra fournir, c’est autour de 50 images par seconde pour du ray tracing « faible et normal » et bien en dessous pour du ray tracing « élevé et ultra ». Mais tout cela pourra être mis à jour dans les semaines qui viennent : Nvidia a annoncé que sa technologie DLSS permettrait un rendu ray tracé à haut FPS, grâce à des techniques d’optimisation de l’image (upscaling intelligent) dont le fonctionnement est encore peu détaillé.
En attendant, pour prendre la baffe promise, il faut passer en QHD 144 Hz, tout mettre en ultra, activer le HDR, G-Sync, et placer le ray tracing en ultra également. Et après le tâtonnement initial, on comprend où Nvidia voulait en venir. Toutes les personnes ayant vu le jeu tourner sur une configuration normale ont écarquillé grands les yeux en regardant la version qui tournait sur notre écran — et en réalité, il faut vraiment avoir des yeux acérés pour voir la différence entre la QHD et de la 4K en plein jeu.
Le HDR est la première claque : la gestion dynamique de la luminosité donne aux territoires de guerre un aspect photoréaliste inquiétant. On a l’impression de regarder un film de guerre, dont on serait le héros. C’est particulièrement visible dans les forêts de la mission Tirailleurs, où les arrières plans et les premiers plans ont une différence d’éclairage parfaitement calibrée. Le filtre doit être ajusté, bien entendu, pour coller à vos goûts et les options par défaut ont tendance à cramer l’image. Mais par rapport à la version HDR qui ressemble à une photo, la version classique ne ressemble… qu’à un jeu vidéo. On remarque très vide le côté plat d’une image qui ne bénéficie pas du traitement.
Et c’est à ces paysages vivants que le ray tracing vient ajouter une nouvelle couche de réalisme. Si le HDR donne un semblant de réalité d’ensemble, le ray tracing va se concentrer sur les détails. C’est ce cumul de petites choses permises par la technologie qui donnent la deuxième claque : un camion en feu dont le reflet va d’abord taper une flaque d’eau, puis rebondir sur le canon de notre arme.
On imagine la montagne de travail que cela doit être pour les développeurs, qui doivent qualifier chacune des textures à l’écran selon le matériau, sa dureté, sa capacité à renvoyer la lumière, etc. Mais ce travail d’orfèvre qui deviendra probablement la norme dans quelques années est payant : jamais n’avait-on eu devant les yeux un rendu visuel si précis et si convaincant.
C’en est presque dommage de se mettre à jouer : plusieurs fois pendant ce test, j’ai pesté contre des ennemis trop rapides à venir me dézinguer, alors que je voulais simplement contempler le paysage, jouer avec des feuilles et montrer de beaux reflets à mes collègues. Jusqu’à se demander si BFV était le client idéal pour la démo technique : en multijoueurs, la plupart des gens désactiveront les effets qui peuvent les pénaliser (une végétation trop réaliste, des effets de fumée trop denses) ou faire baisser le framerate par surprise.
On en revient à un dilemme vieux comme la compétition et on se souvient de nos heures passées 15 ans auparavant à essayer de rendre Counter-Strike 1.5 le plus optimisé possible, en sacrifiant tout ce qui pouvait prétendre à lui donner forme. Moins de pixels, moins d’imprécision, plus de fps. Un sentiment qui devrait échapper au prochain Metro et au dernier Tomb Raider (quand l’éditeur se décidera à sortir le patch).
Pour l’instant, l’effet est là : nous avons pu voir à quoi peut ressembler le jeu vidéo dans les meilleures conditions possible. Et il sera difficile de retourner en arrière.
Faut-il acheter une carte RTX ?
Mais est-ce que cette expérience dans un jeu pour l’instant unique mérite un investissement ? Début 2019, si vous comptez renouveler votre matériel informatique, vous aurez tout intérêt à miser sur l’avenir. L’écran QHD est un minimum syndical et on voit que la maîtresse des cartes RTX avant la Titan réservée au monde professionnelle est capable de s’en sortir avec la génération qui suit.
Mais, plus que des augmentations de pixels, elle prévoit aussi l’avenir côté technologies d’affichage : aujourd’hui marginal, le ray tracing a tout les arguments pour devenir une technologie mainstream. Contrairement au HDR ou à la 4K, elle n’a pas besoin d’un renouvellement d’écran pour être affichée, reposant sur des calculs logiciels et une réappropriation des nouveaux outils par les développeurs.
À la question de l’intertitre, nous serions donc tentés de répondre : si vous y allez, allez y à fond ou a minima. Contrairement à la génération précédente de carte 10XX qui a mis tout le monde d’accord côté gain en perf par rapport à la consommation et au prix des bêtes, cette génération RTX 20XX préfigure une nouvelle ère. Dès lors, elle permet de parier sur l’avenir si on y met tout de suite le prix. La génération qui lui succédera sera très probablement moins onéreuse, capitalisant sur la R&D déjà effectuée par Nvidia et les cartes d’entrée ou de milieu de gamme risquent fort de faire jeu égal avec les cartes milieu et haut de gamme actuelles.
La 2080 Ti est une carte onéreuse, mais qui permettra de bénéficier des avancées du ray tracing pendant de nombreuses années — les consoles de salon actuelles, qui dictent souvent des investissements côté éditeurs, commencent à dater et sont encore à des années-lumière d’elle. La 2060, de son côté, propose le ray tracing au prix le plus bas actuellement et pourra tenir sans aucun mal pendant quelques années, le temps que le marché se structure autour de la 4K et que vous ayez alors, la nécessité de changer de nouveau. Les 2080 et 2070, qui étaient clairement les sweet spot de la génération 10XX, nous semblent moins pertinentes : nous les trouvons trop onéreuses par rapport au marché actuel et ce qu’elles promettent.
Le verdict
Nvidia RTX 2080 Ti
On a aimé
- C'est le futur
- Une claque garantie
- Le leader du marché pousse la technologie
On a moins aimé
- Peu de contenu
- Matériel onéreux pour en profiter à fond
- Difficile à configurer
Le monstre de Nvidia est un produit sans concession, futur proof, et qui permet en 2019 d'avoir le meilleur aperçu de ce à quoi ressembleront les jeux vidéo AAA de demain. C'est le choix des gourmets qui aiment l'expérience contemplative du jeu vidéo et n'ont pas pour seul objectif la compétition -- et donc le framerate le plus haut et les graphismes les plus épurés.
Reste qu'il s'agit d'une carte d'avenir : aujourd'hui, vous n'en profiterez que dans Battlefield V et Metro Exodus qui promet de belles prouesses. Consciemment en avance de phase, Nvidia a déployé cette gamme avec ambition de poser les bases d'une nouvelle manière de traiter l'image en temps réel. La capacité des studios à la prendre en compte déterminera l'avenir de la technologie.
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