Les rapports des lobbys industriels sur les incidences économiques du piratage et de la contrefaçon se multiplient pour donner tous des chiffres de préjudice plus importants et inquiétants les uns que les autres. Il y a une sorte de concours interne à celui qui sortira le chiffre le plus fort, quitte à être en pleine contradiction. Pas plus tard que la semaine dernière encore, un rapport de la MPAA (le lobby du cinéma) indiquait que 40 % des screeners réalisés avec des camescopes étaient produits depuis la seule ville de New-York. Quelques jours plus tard, un autre rapport de Warner Bros disait lui que 70 % de ces camcorders émergeaient du Canada. Cherchez l’erreur.
A chaque fois le but est bien sûr de larmoyer très fort pour obtenir des parlementaires des lois toujours plus sévères contre la contrefaçon. Alors que le Canada résiste toujours, le maire de New York Michael Bloomberg a signé au début du mois une loi qui renforce la répression contre le piratage de films.
Au delà d’Hollywood, toute l’industrie proteste contre la contrefaçon et s’allie pour donner ses chiffres aux législateurs. De sources industrielles, on prétend que le piratage et toutes les formes de contrefaçon (imitations de parfums, vêtements, usines de CD et DVD pirates, etc.) coûtent chaque année plus de 600 milliards de dollars. Comme toujours, les méthodes et les bases de calcul ne sont pas communiquées, ou très peu détaillées. Malgré tout, les pouvoirs publics s’émeuvent et réagissent. Les moyens de répression contre la contrefaçon étaient au programme du G8 à Berlin et le seront encore à Heiligendamm le 6 juin prochain.
Rapports d’acteurs contre rapports d’observateurs
Toutefois, un rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) dont le Financial Times a obtenu copie met en doute les proportions, sans renier la réalité d’un fléau pour l’économie mondiale. Le rapport estime que ce ne sont pas « au moins 600 milliards » de dollars qui sont perdus chaque année au profit des pirates et contrefacteurs, mais « tout au plus 200 milliards de dollars », c’est-à-dire trois fois moins.
La Chambre de Commerce Internationale, qui a vite réagi au rapport de l’OCDE conteste les chiffres de l’organisation internationale. Guy Sebban, son secrétaire général, considère que ce sont « jusqu’à 1.000 milliards de dollars » qui sont perdus chaque année dans les transactions internationales ! Qui dit mieux ? L’OCDE, qui reconnaît que le rapport est « politiquement sensible », joue les diplomates et admet qu’elle n’a pas tout couvert, notamment le piratage sur internet. Mais elle estime que les réponses à apporter ne sont pas forcémment dans les mesures législatives à impser aux Etats en développement, mais plutôt de meilleures conditions de travail et une meilleure gestion.
Le rapport de l’OCDE suit de près un autre rapport, issu du Government Accountability Office (GOA), l’agence d’évaluation gouvernementale américaine. Dans ce rapport (.pdf), le GAO – qui est réputé pour sa neutralité et ses positions à contre-courant des lobbys – réfute les chiffres communiqués récemment par des groupes industriels selon lesquels 5 à 7 % du commerce mondial impliqueraint des produits contrefaits. Loin de trouver ces résultats, le GAO note que sur sur 287.000 expéditions inspectées au hasard aux frontières entre 2000 et 2005, seules 0,06 % étaient en violation des droits de propriété intellectuelle. Et en valeur, même si les saisies en contrefaçon augmentent, les violations ne représentent que 0,02 % de la valeur totale des biens importés. C’est 200 fois moins que les chiffres prétendus par l’industrie.
Même s’il faut considérer que la contrefaçon a davantage lieu dans les pays asiatiques qu’aux Etats-Unis, les chiffres du GAO font peser de sérieux doutes sur la crédibilité des données avancées par les groupes industriels qui réclament toujours plus de contrôles et de répression.
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