Faut-il terminer la symphonie inachevée de Schubert ? Cette question court depuis un siècle et les tentatives pour compléter le troisième mouvement et en écrire un quatrième à partir des notes laissées par l’artiste sont nombreuses. Aucune, jusqu’à présent, n’avait pourtant essayé de laisser une partie du travail à un algorithme. C’est la proposition de Huawei, géant chinois de la tech, qui a mis l’un de ses smartphones au service du compositeur américain Lucas Cantor.
Nourri avec les motifs de la partition originale et avec des œuvres qu’aurait pu écouter Schubert à l’époque de l’écriture de la symphonie, le Mate 20 Pro de Huawei a eu pour mission, nous dit-on, de proposer ses solutions pour compléter la partition. Ces morceaux de musique ont ensuite été utilisés et arrangés par Lucas Cantor pour en faire un tout cohérent : « Les données que je recevais n’étaient pas dans l’ordre. Je devais trier ce qui me semblait bon et informer le logiciel quand il faisait fausse route », a-t-il affirmé à Numerama. C’est, selon lui, tout l’intérêt de cette collaboration : un modèle algorithmique apprend vite, n’a pas de goût, de culture ou de biais idéologique — du moins, en-dehors de ceux que les humains lui donnent. Il a simplement été nourri de mélodies et a fourni d’autres mélodies.
Ce n’était pas déplaisant, ce n’était Schubert
Si le résultat est ce qu’il est, c’est donc autant grâce au logiciel qu’à l’humain. Grâce, ou à cause. Nous avons assisté à la première représentation le 4 février 2019 à Londres et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est surprenant. L’orchestre londonien a livré une performance artistique de grande qualité et si les deux premiers mouvements, composés par Schubert, ont souligné la nuance, la douceur et la maîtrise de l’artiste, les deux nouveaux mouvements laissaient paraître sans nul doute la culture de Cantor.
Le troisième mouvement, qui commençait pourtant dans le style du second, a vite pris un détour vers des sonorités épiques, mêlant les rythmiques hollywoodiennes à des phrases musicales qui n’avaient plus rien du premier romantisme allemand. Tout le monde, à la sortie du concert, avait la même impression : ce n’était pas déplaisant, ce n’était pas Schubert.
Pourquoi ?
La question qui se pose alors est un grand pourquoi. Pourquoi avoir donné à un homme connu uniquement pour ses orchestrations de cérémonies des Jeux Olympiques pour les lives d’une chaîne américaine (NBC) la tâche de composer la fin d’une symphonie qui garde son mystère ? En sortie, le logiciel de Huawei, basé sur Tensorflow de Google (exécuté pour certaines opérations sur un unique smartphone, pour d’autres, dans le cloud), n’a donné que des lignes harmoniques.
Et il y a donc autant de versions de cette tentative qu’il y a de personne sur Terre capable d’arranger un morceau — c’est-à-dire, ordonner les pistes, attribuer et coordonner les instruments. Ces passages pompier en final du quatrième mouvement, qui ont plus de Hans Zimmer que de Schubert, auraient très bien pu être joués par trois flûtes et donner une tout autre couleur à la composition. Finalement, ce que le public du Cadogan Hall a entendu était une œuvre très humaine, fondée sur des choix humains. Le logiciel n’était qu’un copilote.
Il aurait d’ailleurs été intéressant que Huawei fournisse le matériau originel, afin que le grand public puisse s’emparer de la création qui est véritablement sortie du smartphone. Au fond, la version Cantor de l’expérience n’est qu’une incidence, celle choisie par les producteurs de l’événement. À la question du titre, il est donc possible de répondre par l’affirmative, mais nous n’avons jamais entendu cette création.
Ce qui reste, quand on a enlevé tout l’humain, de l’artiste au marketing, c’est une démonstration de potentiel : aujourd’hui, au-delà des utilisations quotidiennes d’un smartphone, l’outil est devenu un ordinateur de poche suffisamment puissant pour imaginer des usages à la marge, qu’ils soient scientifiques ou artistiques. Pourvu qu’ils aient du sens.
À la question du titre, il est donc possible de répondre par l’affirmative, mais nous n’avons jamais entendu cette création.
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