Chaque année naissent une flopée de réseaux sociaux. Certains font la une des médias, puis retombent (plus ou moins) dans l’oubli au bout de quelques jours ou semaines. Et si on avait mieux fait de rester dessus plutôt que de retourner sur Facebook, Instagram, Twitter et Snapchat ? C’est le choix qu’ont fait certains internautes. Ils nous expliquent pourquoi ils ne regrettent rien.
Peach est en vie, vive Peach
C’est un banal tweet qui nous a fait replonger dans ces réseaux sociaux qu’on croyait morts. Le 8 février 2019, l’application Peach publie un message pour annoncer un bug. Le 15, ses équipes expliquent que sa résolution prendra plus de temps que prévu. Ils nous rappellent au passage que Peach existe toujours.
Peach a été lancé en 2014 avec une promesse : être un réseau social « fun et simple ». Il permet de partager des photos, des vidéos, des gifs ou des musiques qu’on a aimées pour en faire une sorte de journal de bord quotidien.
Le succès de Peach a été éphémère (pour ne pas dire inexistant), surtout en France. Seulement 4 jours après son lancement, l’application sortait du top 100 des applications les plus téléchargées de l’App Store. Elle n’a jamais disparu pour autant. Sous les derniers tweets de Peach – aucun n’avait été publié depuis septembre 2017 –, des dizaines d’internautes ont manifesté leur soutien.
Un réseau social « familial et cosy »
Harry, qui travaille à Londres dans le secteur des nouvelles technologies, faisait partie de ces personnes. Il explique à Numerama être utilisateur de Peach depuis mai 2016. À l’époque, il est surtout actif sur Tumblr, mais remarque que ses amis ou cercles d’intérêts fréquentent de moins en moins la plateforme. Beaucoup migrent vers Twitter, où Harry ne retrouve pas l’ambiance qu’il apprécie sur Tumblr. Un ami lui parle alors de Peach comme d’un réseau social « familial et cosy ». Il décide de s’y inscrire.
Pour Harry, Peach est « unique », car c’est une sorte de petit jardin secret. Lui et ses amis ont d’ailleurs tous des comptes privés.
L’application est très limitée en termes d’utilisation. Harry admet y publier un peu ce qu’il peut. « On ne peut pas partager les contenus des autres, dit-il. Sur Android, c’est à peine si on peut copier-coller un texte dans l’appli. » À l’en croire, c’est ce qui ferait le charme de Peach — ça, et la manière dont la page d’accueil est organisée.
Sur la plupart des réseaux sociaux, les fils d’actualités sont une liste (chronologique ou non) des publications des personnes que l’on suit. Ce n’est pas le cas sur Peach, où l’on trouve juste le nom de ses amis et un lien vers leurs derniers contenus. « Vous pouvez choisir de ne regarder que les publications de tel ou tel ami, plutôt que de vous laisser submerger », se réjouit Harry. Il compare à Twitter, un réseau social qu’il fréquente toujours : « Si un ami proche publie quelque chose sur Twitter il n’est pas garanti que vous le voyiez passer. »
« Personne n’y vient pour shitposter »
Selon Harry, le fonctionnement de Peach se traduit par une ambiance un peu plus paisible et surtout, « sincère ». « Personne n’y vient pour shitposter ou faire ses meilleures blagues dans le seul but d’avoir des likes. Ça n’aurait pas de sens », assure l’utilisateur.
Il est difficile de dire combien d’utilisateurs compte Peach. Sur le Google Play Store, on dénombre 100 000 téléchargements, mais cela ne signifie pas qu’il s’agit d’utilisateurs actifs. Par ailleurs, il n’y a pas de chiffres sur iOS. Contacté à ce sujet, Peach ne nous a pas encore répondu. Harry nous assure que l’application n’est en tout cas pas morte.
Mastodon, un réseau social plein de promesses
Après Peach, nous nous sommes mis en tête d’essayer de savoir ce que devenait Mastodon. Numerama y a toujours une instance et a été l’un des membres très actifs à ses premières heures, mais a manqué de ressource pour continuer à s’y investir. Car le concept est aussi exigeant qu’il était prometteur.
Il s’agissait de pouvoir partager des messages allant jusqu’à 500 caractères, sur un réseau décentralisé hébergé par ses membres. Si l’interface fait penser à Twitter (ou plutôt Tweetdeck), les ressemblances s’arrêtent là. Sur Mastodon, il n’existe aucun algorithme qui filtre ou organise les contenus : le fil est uniquement chronologique. Par ailleurs, ce réseau social n’est pas détenu par une entreprise privée. Il s’agit d’une plateforme libre, gratuite, sans pub et décentralisée. On peut y créer son propre serveur, avec les règles que l’on veut. Mastodon a connu un important succès début 2017, à tel point que ses premiers serveurs ont été rapidement saturés.
Après une petite bataille pour retrouver identifiants et mots de passe, nous sommes retournés sur ce réseau social. Nous avons alors remarqué qu’on y avait publié des articles écrits sur Numerama en notre absence, en nous taguant dessus. Ils concernent des sujets de société, les nouvelles technologies, ou contiennent les mêmes challenges que sur Twitter ou Instagram (comme celui qui consiste à publier chaque jour la couverture d’un livre sans la commenter). Les messages sont en anglais, en allemand, en chinois ou en français. On pensait Mastodon délaissé, mais c’est en fait loin, très loin d’être le cas.
Pour comprendre pourquoi, nous avons demandé à Angie. Elle travaille depuis peu chez Framasoft et fréquente Mastodon depuis début 2017 environ.
Une plateforme plus respectueuse de la vie privée
Lorsqu’elle a rejoint ce réseau social, c’était au départ plutôt par curiosité, et parce que c’était utile dans le cadre de son travail. Puis rapidement, elle s’est prise au jeu. Elle possède aujourd’hui un compte pour sa veille professionnelle (qu’elle fait aussi sur Facebook et Twitter), un autre plus personnel pour suivre des communautés de libristes et de défenseurs des libertés individuelles, et enfin, un 3e compte pour suivre des artistes. Ce dernier a été créé après que de nombreux artistes sont arrivés sur Mastodon, à cause du durcissement des règles de Tumblr.
« Je vois de plus en plus de monde arriver sur Mastodon, remarque Angie. Du moins, j’ai l’impression d’y échanger avec un plus grand nombre de personnes. »
Elle nous raconte faire elle-même une sorte de « lobbying » auprès de ses contacts pour qu’ils quittent Facebook, Instagram ou Twitter au profit de Mastodon. Ce dernier est, détaille-t-elle, « plus respectueux » de la vie privée et des libertés individuelles. Le fait qu’il fonctionne en instances décentralisées et sans l’intervention d’une entreprise privée assure cela. « Je travaille au sein d’une association dont l’une des plus grandes opérations s’est intitulée #DegooglisonsInternet, il est donc évident pour moi d’utiliser des outils qui ne sont pas proposés par les [géants de la tech] quand cela est possible », explique Angie.
Petits « Yo » en famille
Sur Twitter, nous avons aussi fait la connaissance d’Amir, un développeur israélien qui utilise au quotidien une application sur laquelle personne n’aurait misé : Yo. Le concept de ce réseau social lancé en avril 2014 ? Envoyer des « Yo » (et uniquement ce mot) à ses proches – enfin, à ceux qui ont aussi téléchargé l’appli. Vu comme ça, on comprend pourquoi l’engouement pour Yo n’a pas duré.
Amir pourtant, a fait de cette interface simpliste un véritable moyen de communication entre lui et sa famille. Il l’utilise aujourd’hui de deux manières.
La première, c’est avec sa femme. Ils sont parents de deux enfants : un garçon de 4 ans, et une fille de 6 semaines. Lorsque sa femme nourrit la petite dernière, Amir en profite pour réaliser quelques tâches ménagères comme une lessive, la vaisselle, ou préparer le dîner. « Nous sommes dans des pièces séparées et c’est difficile pour elle lorsqu’elle est en train d’allaiter de se déplacer pour m’appeler. Elle pourrait utiliser le téléphone, mais ce serait exagéré. Alors nous utilisons Yo », explique-t-il.
« Elle pourrait utiliser le téléphone, mais ce serait overkill. Alors nous utilisons Yo »
Que ce soit pour lui ou pour elle, Yo est le moyen le plus pratique de dire « viens, j’ai besoin de quelque chose » : il suffit d’appuyer sur un bouton avec son doigt. Le couple avait d’ailleurs déjà utilisé la méthode pour son 1er enfant, avec succès.
Amir s’est aussi servi de Yo pour un usage qu’il juge « plutôt spécifique à Israël ». « Quelqu’un a connecté Yo au système Red Color, qui est le système d’alerte que le gouvernement active lorsqu’il y a des attaques de missile », raconte-t-il à Numerama. En 2014, alors que ces attaques sont courantes, ce système est utile. Aujourd’hui, c’est devenu secondaire pour lui, car les attaques ont « heureusement presque cessé ».
Heureux, mais jusqu’à quand ?
Amir a un point commun avec d’autres utilisateurs de réseaux sociaux un peu désertés : il ne sait jamais vraiment jusqu’à quand il pourra utiliser son application fétiche. Plusieurs plateformes ont ainsi déjà disparu. On se souvient de Pheed, un réseau social où l’on pouvait faire payer l’accès à un compte, de l’application de messagerie anonyme controversée Secret, d’App.net qui était financé par ses utilisateurs ou encore d’Unthink, sur lequel on pouvait contrôler l’usage de nos données personnelles.
Pour ceux qui sont encore en vie (à l’exception de Mastodon qui n’a pas de but lucratif et séduit un public plus large que les autres), le couperet peut tomber à chaque instant. Harry nous raconte ainsi que plusieurs fois par an, Peach devient tout à coup inaccessible. « Tout le monde panique et crée des comptes privés sur Twitter « juste au cas où Peach meurt’ », dit-il.
Ils n’ont aucune source de revenus
« Et Peach va mourir, inévitablement, poursuit Harry. Ils n’ont aucune source de revenus, pas de contenus monétisés sur l’application et le nombre d’utilisateurs est je pense trop faible pour pouvoir vendre nos données. » Selon lui, des services comme Peach sont voués à l’échec dans un système où l’on attend « une croissance forte du nombre d’utilisateurs et des moyens de monétiser cette audience ».
Peach recherche ses bienfaiteurs
Après le dernier bug en date de l’application, le Britannique a proposé aux créateurs de Peach de lancer des comptes payants, pour celles et ceux qui souhaitaient conserver à tout prix la plateforme.
Peach l’a entendu et a diffusé un questionnaire en ligne pour ses utilisateurs. Ces derniers doivent choisir ce que l’application deviendra.
La première option est qu’un groupe de bénévoles prenne en charge l’application et résolve les bugs. La deuxième est qu’une équipe de professionnels fasse ce travail. Il s’agirait globalement d’une cession de l’application.
Dans un message publié le 19 février sur Twitter, Peach a lancé un appel en vue d’une telle adoption. Il lui faudrait au moins 20 000 dollars par an pour fonctionner.
Harry avoue être un peu déçu des options proposées. « J’ai l’impression que les propriétaires de Peach sont juste intéressés par le fait de ne plus avoir la responsabilité de veiller au bon fonctionnement du site », regrette-t-il. Une campagne de levée de fonds a été créée par un utilisateur de Peach, mais elle semble avoir été bloquée : il n’est plus possible d’y participer.
Pour Harry, c’est un signe de plus qui lui laisse penser que les créateurs de Peach vont finir par simplement « fermer les serveurs » et dire adieu aux derniers fans de l’application. Son compte Twitter de secours est déjà prêt… au cas où.
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