Le Boeing 737 MAX sera-t-il en mesure de reprendre rapidement le chemin des pistes des aéroports du monde entier ? Mis en service le 22 mai 2017, l’avion du constructeur aéronautique américain a connu deux accidents mortels en l’espace de quatre mois à peine. Le premier a eu lieu fin octobre 2018 en Indonésie, tandis que le second s’est déroulé mi-mars 2019 au Kenya.
Compte tenu des similitudes entre les deux crashs (les deux avions se sont écrasés quelques minutes après le décollage), la majorité des pays dans le monde a décidé d’interdire à cet avion d’opérer sur leur territoire le temps que soient élucidées les causes de ces catastrophes et qu’une solution soit trouvée et déployée par Boeing sur la flotte — un peu moins de 400 appareils — actuellement en service.
La France participe au travail d’enquête. Les boîtes noires du second appareil, le vol 302 Ethiopian Airlines, ont été envoyées au Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) pour comprendre précisément ce qu’il s’est passé. Le Conseil national de la sécurité des transports (NTSB), aux États-Unis, a également envoyé des enquêteurs, puisque le modèle d’avion en cause est américain.
Une certification suspecte
S’il est encore un peu trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’origine de la chute du Boeing 737 MAX, plusieurs facteurs ont été avancés dans la presse. Le Seattle Times, notamment, souligne dans une enquête les insuffisances et les fautes survenues lors du processus de certification de l’avion et tout particulièrement de l’un de ses composants, le MCAS.
Le MCAS, acronyme de Maneuvering Characteristics Augmentation System, est un système automatique qui a été installé dans le Boeing 737 MAX afin de « compenser certaines caractéristiques uniques de maniabilité de l’avion », rapporte The Air Current. Son rôle est d’ajuster l’incidence de l’appareil pendant le vol, afin de prévenir tout risque de décrochage. Le MCAS modifie la portance de l’aéronef et baissant ou élevant son nez, en changeant l’angle de la gouverne de profondeur, au niveau de l’empennage, par rapport au flux d’air.
Or il y a eu de toute évidence des problèmes avec le MCAS.
D’abord, il semble que Boeing n’a pas signalé aux pilotes l’existence de ce système informatique visant à gérer la stabilité de l’avion en vol, en tout cas pas assez tôt, ou aucune formation n’a eu lieu pour acclimater l’équipage avec ce nouveau dispositif. Des représentants de pilotes de deux compagnies aériennes américaines s’en sont plaints l’an dernier après le premier crash.
Or, le MCAS ne s’active pas à n’importe quel moment : il s’enclenche quand l’avion est piloté manuellement, par exemple durant les premières phases d’un vol, peu après le décollage.
Ensuite, la presse américaine rapporte que le processus de certification du MCAS a été accéléré en 2015, en vue de fournir rapidement les premiers appareils aux compagnies aériennes. Ce travail, qui doit normalement être conduit par la Federal Aviation Administration (FAA), l’agence gouvernementale dont c’est la mission outre-Atlantique, a été réalisé en grande partie par Boeing lui-même.
En clair, Boeing, qui entend vendre et fournir un grand nombre de son 737 MAX, s’est chargé lui-même de certaines certifications concernant son appareil. Le constructeur aéronautique était donc à la fois juge et partie. Et évidemment, ce qui devait arriver arriva : l’enquête du Seattle Times montre une analyse biaisée réalisée par les ingénieurs de Boeing et une supervision loupée de la part de la FAA.
Boeing s’est chargé de certifier lui-même son appareil
Sondes défaillantes et absence d’alerte
Est-ce cette délégation dans la certification qui explique ce double crash du 737 MAX ? Dans un communiqué à l’issue du premier crash, le vol 610 Lion Air, Boeing a révélé qu’un capteur défectueux a déclenché le système automatisé MCAS de l’avion, ce qui aurait pu le mettre en « piqué » pour corriger une incidence qui n’était en réalité pas dangereuse. Un meilleur contrôle de la FAA aurait-il vu ce souci ?
Concernant le second vol, Reuters signale que les enquêteurs ont retrouvé le vérin réglant ce compensateur. Or, celui-ci était visiblement lui aussi en position « piqué », ce qui suggère que l’empennage a automatiquement ajusté l’angle d’attaque pour faire baisser le nez de l’appareil. En l’espèce, il aurait fallu redresser les appareils, au lieu de les faire plonger vers le sol.
Une alerte indiquant des données différentes entre deux capteurs est proposée en option
Mais les pilotes comprenaient-ils ce qu’il se passait ? Étaient-ils en mesure de reprendre le contrôle de l’appareil, par exemple pour le faire cabrer, quand bien même les systèmes automatiques du MCAS dysfonctionnent et considèrent qu’il faut corriger l’angle ? Avaient-ils une alarme dans le cockpit leur indiquant un problème avec les paramètres de vol ?
Il s’avère qu’il existe deux capteurs par appareil, mais il n’y a aucun avertissement qui se déclenche dans le cockpit lorsque, par exemple, les deux sondes donnent des indications différentes. La FAA et Boeing proposent cette alerte en option, ce qui veut dire qu’elle n’est pas jugée critique. Il semble pourtant qu’au regard des faits, qui ne sont pas encore tout à fait éclaircis, un signal sonore et/ou lumineux n’aurait pas été de trop. Car la trajectoire erronée de l’avion est passée inaperçue.
Les deux avions qui se sont écrasés n’étaient pas équipés d’une option jugée non critique
Les deux avions qui se sont écrasés n’étaient pas équipés de cette option. Celle-ci aurait peut-être pu changer la donne. À l’heure actuelle, il n’y a eu aucun crash de Boeing 737 Max doté de cette alarme de cockpit.
Cascade de problèmes
Il reste une question : pourquoi Boeing a-t-il décidé de mettre au point le MCAS, un outil que l’on ne trouve que dans le 737 MAX ? Selon David Kammeyer, un ingénieur logiciel qui est également pilote sur planeur, le problème de fond est un problème économique : le Boeing 737 consomme trop. Il a donc été décidé de construire le Boeing 737 MAX, avec de nouveaux moteurs.
Le Boeing 737 MAX utilise le modèle 1B des moteurs CFM International LEAP (Leading Edge Aviation Propulsion), à la place des moteurs CFM International CFM56 que l’on retrouve sur les Boeing 737. Ainsi, leur consommation de ces nouveaux moteurs est réduite de 16 %, selon le fabricant. Les nouveaux moteurs utilisent des pales plus grandes, mais sont plus lourds.
Or, ces caractéristiques nouvelles — poids plus important, entrée d’air plus large du fait de pales plus imposantes, puissance plus conséquente — ont entrainé une série de difficultés : d’abord un problème de disposition, car il a fallu rapprocher les moteurs du fuselage et les avancer sur les ailes pour les positionner correctement. Ce positionnement a ensuite provoqué un problème aérodynamique suffisamment problématique pour empêcher sa certification. C’est donc pour cela que le MCAS a été mis au point, afin de corriger électroniquement les défauts de pilotage de l’avion.
Plusieurs pilotes se sont certes plaint de ces piqués du nez inattendus, mais il s’agit de pilotes américains. Rien ne dit que ceux du vol 302 Ethiopian Airlines ou du vol 610 Lion Air ou les précédents équipages ayant utilisé ces avions ont constaté ces problèmes, les ont consignés dans le carnet de maintenance de chaque appareil ou aient demandé à avoir des entraînements spécifiques sur simulateur pour gérer ce cas de figure.
Le logiciel ne peut pas tout rattraper
C’est de là que sont apparus les problèmes d’ingénierie système (que Boeing cherche à corriger avec un patch). Toujours selon David Kammeyer, Boeing voulait la solution la plus simple possible qui correspondait à l’architecture de ses systèmes existants, de sorte qu’elle exigeait un minimum de travaux d’ingénierie et un minimum de formation nouvelle pour les pilotes et les équipes de maintenance — pour ne pas dire aucune.
« Je suis ingénieur en informatique, et on nous demande parfois de corriger les défauts de la mécanique, de l’aérotechnique ou de l’électrotechnique, parce que le métal a déjà été coupé ou les moules ont déjà été fabriqués ou la puce a déjà été fabriquée, et donc ce problème ne peut être résolu », observe David Kammeyer. « Nulle part ici, il n’y a un problème de logiciel ».
« Les ordinateurs et les logiciels ont effectué leur travail selon les spécifications sans erreur. La spécification était juste merdique. Maintenant, le moyen le plus rapide pour Boeing de résoudre ce problème est d’appeler les gars de la technique pour trouver un autre pansement. Lorsque le pansement logiciel s’enlève dans un vent de 800 km/h, il est tentant de blâmer le pansement », conclut-il.
« La spécification était juste merdique »
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