La nouvelle norme pour le clavier français AZERTY a été dévoilée par l’Association française de normalisation (AFNOR). La nouvelle disposition, qui vise à faciliter l’écriture du français, est globalement satisfaisante.

Faut-il brûler les claviers AZERTY de Windows ? C’était la question un peu provocatrice que nous avions posée il y a un an en relayant la question écrite d’une députée qui suggérait, au nom d’une intégration européenne plus poussée, d’aboutir à un système uniformisé de clavier informatique. Réponse, deux mois plus tard, du gouvernement : certes, l’idée est séduisante, mais il y a encore trop d’obstacles et d’incertitudes pour pouvoir espérer la mettre en œuvre un jour.

Mais en définitive, ce n’est peut-être pas les envies unificatrices du continent qui vont en finir avec le clavier AZERTY : c’est peut-être tout simplement… la langue française et le bon sens. Car l’actuelle disposition des touches (qui concerne surtout la France et une partie de la Belgique) ne donne pas satisfaction. Preuve en est avec la déclaration remarquée du ministère de la Culture, en 2016, qui s’indignait de la difficulté d’écrire dans un français correct avec un clavier AZERTY.

Où sont en effet les ligatures ( Æ/æ et Œ/œ) ? Les majuscules avec un accent (À, É, È, Ù) ? Les guillemets français (« ») ? Pour faire apparaître ces caractères et ces symboles sur Windows, il faut faire des combinaisons de plusieurs touches ou taper le code ASCII associé. Ainsi, l’écriture des guillemets requiert par exemple de maintenir la touche « ALT » enfoncée tout en tapant sur un pavé numérique les nombres 174 et 175.

Pexels/Karol D

Faut-il brûler le clavier AZERTY ? // Source : Pexels/Karol D

Le clavier AZERTY amélioré

C’est là que l’Association française de normalisation (AFNOR) entre en jeu. Sachant les limites de l’actuel clavier AZERTY, l’organisation a conçu une nouvelle disposition des touches de manière à rendre l’écriture du français plus facile, y compris dans ses spécificités typographiques, mais sans pour autant bousculer les habitudes. Son nom ? L’AZERTY amélioré. L’objectif ? Proposer des corrections à la disposition AZERTY pour qu’elle soit plus logique et plus pratique.

Rappel des faits. À la suite des commentaires navrés du ministère de la Culture, il a été demandé à l’AFNOR de se mettre au travail pour élaborer une norme française de claviers afin qu’ils puissent permettre d’écrire en bon français. Début juin 2017, les résultats de ce travail ont été dévoilés au public avec des propositions de dispositions AZERTY et BÉPO améliorées — le BÉPO est une disposition alternative de symboles et de caractères née en 2003, qui vise aussi à faciliter la saisie du  français.

Clavier AZERTY amélioré

La nouvelle disposition proposée par l’AFNOR.

Concernant l’AZERTY amélioré, l’AFNOR faisait observer tout d’abord que « les 26 lettres de l’alphabet et les chiffres ne changent pas de place », afin de ne pas bousculer les habitudes du public. Par contre, des changements ont été effectués pour, expliquait alors l’association, « augmenter les capacités d’écriture du clavier informatique français ». Concrètement, cela a donné lieu à des déplacements de signes sur le clavier, afin de les rendre plus facilement accessibles.

« Certains autres signes tels que certaines voyelles accentuées, l’arobase et les accolades » sont déplacés, écrivait l’an passé l’AFNOR. « Le point devient accessible sans passer par la touche majuscule. Les majuscules accentuées sont aussi rendues possibles. La palette des signes typographiques est élargie, pour faciliter la création sans pour autant recourir à des logiciels professionnels », était-il ajouté. Depuis, du temps a passé et plusieurs évolutions du clavier ont eu lieu.

Qu’est-ce qui change ?

D’abord, l’apparition des ligatures. Le graphème « œ » se trouve sur la touche O, tandis que « æ » apparaît sur la touche A. Logique. L’arobase est déplacée sur la touche utilisée pour le symbole carré ( ² ), avec le croisillon (#, appelé aussi — à tort — dièse). Ces deux symboles sont de nos jours très utilisés, que ce soit pour sa correspondance en ligne, avec les mails, ou pour échanger sur les réseaux sociaux. Il est donc attendu de les rendre plus facilement accessibles.

La touche tilde « ~ » se retrouve désormais sur la touche N, au lieu d’être sur celle du 2. Ce déplacement a un double intérêt : d’abord, il fait écho à la lettre espagnole « ñ », ce qui n’est pas dénué d’intérêt dans une logique d’internationalisation. Mais surtout, il libère la touche du 2 pour y placer la touche morte de l’accent aigu, accessible via la combinaison ALTGR + é. Car après tout, la touche morte de l’accent grave est elle-même accessible avec ALTGR + è. Cela a du sens de les positionner de la même façon, même si un accès plus simple à l’accent grave et à l’accent aigu sur une même touche sans la touche ALTGR aurait été plus appréciable.

clavier

Plusieurs lettres et signes sont réassignés. // Source : TBIT

On remarque aussi le rapprochement de certains caractères qui fonctionnent ensemble ou qui sont proches. L’accent grave ` et la lettre è passent de la touche 7 à la touche 3 pour être proche de l’accent aigu ´ et de la lettre é (qui sont sur la touche 2). La touche 4 est maintenant attribuée à l’accent circonflexe ê, avec l’esperluette « & », plutôt que de faire une combinaison « ^ + e ». Quant à la préposition « à », elle est placée sur la touche 1, avec le symbole du paragraphe « § ».

Plusieurs signes figurant dans la ligne des chiffres du clavier descendent aussi au niveau des lettres. C’est le cas du c cédille, qui est sur la touche du C, et de la lettre « ù », qui est maintenant avec la lettre U. On note aussi le déplacement ou l’apparition de quelques autres signes, que ce soit le eszett allemand ( ẞ ), la livre sterling ( £ ), le symbole micro ( µ ), le symbole pourcentage ( % ) sur la lettre P, les deux accolades ( { } ), le symbole de marque déposée (®), etc.

Le « tiret du 6 » est mort

Le symbole du dollar ( $ ) est maintenant placé sur la lettre D, en référence à l’initiale de la monnaie américaine. Le tiret (aussi connu sous le nom de « tiret du 6 ») passe de la touche 6 à la touche qui se trouve à la droite du P. Les parenthèses et les crochets ont également été rapprochés. Les guillemets français sont désormais sur le clavier, aux côtés des guillemets anglais. Finies les combinaisons de touches pour être dans les clous de la langue de Voltaire !

Parmi les autres modifications que l’on peut relever, signalons l’apparition du point médian, qui fait partie des demandes d’une partie de la société civile pour une meilleure écriture inclusive, le déplacement des signes de ponctuation courante (le point, la virgule, le point-virgule et le point d’exclamation), l’apparition des points de suspension. Plusieurs autres changements sont à noter au niveau des symboles mathématiques (addition, soustraction, multiplication, division, égal, etc.).

Au sujet du point médian d’ailleurs, il est à noter que cette arrivée n’a pas été dictée par les débats sur l’écriture inclusive — même si dans les faits, il servira aussi à cela. Ce signe est utilisé en catalan et en occitan, dans sa variante gasconne, rappelle l’AFNOR. « C’est un marqueur phonétique, qui a la même fonction que l’apostrophe en français. À ce titre, il est apparu important de le proposer pour faciliter l’écriture des langues de France ».

Clavier AZERTY amélioré AFNOR

Le schéma général du clavier AZERTY amélioré

Source : AFNOR

Une disposition proche de l’AZERTY Global

Cette nouvelle disposition, révélée ce 2 avril, a eu droit à un bon accueil. Antoine Olivier, à qui l’on doit le projet AZERTY Global, déclare ainsi à Numerama avoir « une bonne impression globale sur cette nouvelle norme ». « Il y a eu de très bons changements (arobase, lettres accentuées, guillemets, crochets et parenthèses, ligatures æ et œ) », ajoute-t-il.

« L’AZERTY Global et l’AZERTY amélioré de l’AFNOR partagent de nombreux points communs. L’AZERTY amélioré a d’autres avantages (position des lettres accentuées, guillemets français, parenthèses) impossibles à implémenter sur l’AZERTY Global car l’AZERTY Global différerait alors trop de l’AZERTY de Windows », continue-t-il. Cependant, le développeur reconnaît que « l’emplacement de certains caractères [le] titille un peu ».

AZERTY Global

Ce qui est proposé avec l’AZERTY global. // Source : Antoine Olivier

L’AZERTY Global vise à apporter des corrections à l’AZERTY amélioré de l’AFNOR, en tout cas en ce qui concerne les premières versions qui avaient été envisagées par l’organisation. « J’ai été assez déçu de leur disposition AZERTY améliorée lors de l’enquête publique », nous raconte Antoine Olivier. Elles étaient « très différentes de l’AZERTY actuel sous Windows », avec bien trop de déplacements de lettres et de caractères, mais aussi des positionnements incohérents, comme la ligature « æ » sur la touche… Z.

Car c’est l’objectif initial d’AZERTY Global : améliorer l’AZERTY de Windows.  « Les moyens mnémotechniques pour les différentes touches mortes et les différents symboles additionnels ont été rendus le plus simples possible », explique à Numerama son auteur, qui a travaillé entièrement seul sur ce projet. Force est de constater que ses bonnes idées ont fini par atteindre l’AFNOR.

Une norme qui n’est pas obligatoire

Il est à noter que cette norme n’a rien d’obligatoire : elle est basée sur le volontariat. Les fabricants de claviers sont libres de la respecter ou non. Cela dépendra notamment de l’appétence du public pour ce nouveau clavier — est-il prêt à changer pour une disposition nouvelle, qui nécessitera un temps d’adaptation ? — et d’une éventuelle incitation des pouvoirs publics, à commencer par le ministère de la Culture.

Selon Antoine Olivier, si cette nouvelle disposition est davantage satisfaisante que ce qui était proposé auparavant, il convient d’avoir en tête que sa généralisation aura « un important coût environnemental (pour le remplacement du matériel informatique) et économique (pour le temps d’adaptation nécessaire et la perte de productivité engendrée par le changement de disposition) ». Coût que l’on pourra en partie limiter en réduisant la production des claviers AZERTY classiques.

Quant à celles et ceux qui ne veulent pas changer leurs habitudes, aucun problème : « Les consommateurs peuvent bien heureusement conserver leurs claviers actuels s’ils le souhaitent. Ils sont toujours fonctionnels », rappelle l’AFNOR. Le seul objectif « est de limiter les difficultés dactylographiques actuelles » en procédant à plusieurs ajustements sans avoir besoin de réinventer la roue.

En attendant, le clavier AZERTY standard a encore de beaux jours devant lui.

(mise à jour avec une précision concernant le point médian)

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