On essaie souvent de nous faire croire que le business que mène l’industrie du disque ne conditionne pas la façon dont les artistes créent. C’est totalement faux, à commencer par la durée des morceaux. La standardisation amenée par cette industrie, liée autant aux contraintes de support (presser sur un vinyle) que promotionnelle (un titre assez court pour être diffusé sur les radios) a peu à peu défini des temps « optimaux » pour un morceau. Les titres dépassant les 5 minutes, chose courante autrefois, devinrent alors petit à petit des espèces hors normes ne pouvant sous aucun prétexte prétendre à une place de tube interplanétaire.
Aujourd’hui, les chiffres de cette industrie concordent tous pour dire que c’est la musique numérique, et en particulier la musique mobile, qui va prendre le pas sur le support physique.
En Grande Bretagne, là où le marché à ce niveau y est le plus avancé d’Europe, les téléchargements légaux constituent 80% de toutes les ventes de single et la moitié des charts. Une bonne partie de ces téléchargements sont issus de plateformes mobile, portant à 1,3 million le nombre de morceaux achetés en un mois dans ce seul pays, à partir de téléphones mobile.
Les barrières liées à la complexité du téléchargement et à la faiblesse de la pénétration 3G semblent bel et bien tombées, et acheter de la musique via un mobile devient une chose de plus en plus naturelle.
Quelles influences sur les conditions de création ?
Dans un contexte où ;
– D’une part, les sonneries tirées à partir de gimmicks de morceaux ne cessent d’augmenter, passant, d’après les estimations d’Informa, de 43% à 56% du marché britannique de la musique mobile pour 2007 ;
– D’autre part, 19% des propriétaires des utilisateurs de mobile anglais achèteront du contenu via leur téléphone en 2007, et que ce chiffre ne cessera d’augmenter à la mesure de la facilité d’achat grandie (voir l’iPhone) ;
– Et qu’enfin, les utilisateurs changent de sonnerie en moyenne trois à quatre fois par an ;
On pourrait se demander si cela n’influera pas les conditions de création. On passerait alors de l’ère du tube à 3min50 à celui du morceau de 10 secondes avec sa version longue superbement rébarbative.
Geoff Taylor, le chef exécutif de l’association des maisons de disque britanniques (BPI) réfute : « Le coeur du business de l’industrie du disque, à savoir travailler avec des artistes pour produire de la bonne musique, reste le même. Mais la manière pour chaque maison de disque de générer du retour sur leur investissement a profondément changé en quelques années à peine, et le mobile les aide à mener ce changement ».
Avoir la classe, c’est d’abord avoir une bonne sonnerie
Pourtant, on commence à voir des morceaux apparaître explicitement conçus pour finir en sonnerie de mobile. Et ne croyez pas que cela se restreigne aux tubes crétins à la Crazy Frog, car les initiatives indépendantes se multiplient, même dans les niches musicales les plus expérimentales, à l’image du site français NoText.
D’ailleurs 80 % des consommateurs, selon une enquête de Dial-A-Phone, ont peur d’être ridiculisés par le choix de leur sonnerie. Ceci prouve encore une fois à quel point Bourdieu avait vu juste quand il imposait son concept selon lequel l’art serait avant tout un moyen de se distinguer par ses goûts.
Bref, si le marché poursuit sa lancée, tout porte à croire que de nouveaux impératifs de standardisation conditionneront de plus en plus la création musicale de demain, si ce n’est pas déjà fait. Le gimmick devient roi, bienvenue au siècle de l’art-sonnerie !
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