Le 19 mai 2019 aurait pu correspondre, dans les livres d’histoire, à une sous-section « culture populaire » marquant la fin de Game of Thrones. Ce sera aussi, à coup sûr, un événement géopolitique et économique majeur qui sera retenu : Huawei, placé sur une « Liste d’entités » par le gouvernement américain, a été déclaré persona non grata par ses partenaires. Google en tête de liste, qui lui fournit la version grand public d’Android (services Google, mises à jour, etc.), mais aussi Intel, Qualcomm ou Broadcom.
Et s’il reste beaucoup de choses à élucider sur ces déclarations, notamment les décisions « mieux informées » de Google, on peut tout de même établir quelques réalités. De son côté, Huawei est resté évasif sur l’avenir de sa relation à Android, ne spécifiant pas la nature de « l’écosystème sécurisé » qu’il mentionne : «Huawei continuera d’apporter les mises à jour de sécurité et d’assurer les services d’après-vente à tous les smartphones et tablettes déjà vendus et tous ceux disponibles sur le marché à travers le monde. Nous continuerons de construire un écosystème logiciel sécurisé et durable afin d’apporter la meilleure expérience à tous les utilisateurs dans le monde. »
À court terme : qu’est-ce que cela change pour mon smartphone Huawei ?
Possesseurs d’un excellent P30 Pro, d’un non moins bon Mate 20, ou des smartphones qui ont fait la réputation de Huawei en Europe ces dernières années, n’ayez crainte : votre smartphone continuera de fonctionner. Pour une expérience de l’esprit et parce qu’on aime se faire peur, on aurait aimé connaître le monde où quelques centaines de millions d’appareils cessaient de fonctionner du jour au lendemain, mais il n’existe heureusement pas.
Vous pourrez donc tout à fait continuer à utiliser votre smartphone sous Android, les Google Apps (Gmail, Chrome, Drive, etc.) et utiliser les services des géants américains du web et du divertissement (Facebook, Netflix…). Bref, votre vie quotidienne ne va pas changer, ni l’usage professionnel que vous pourriez faire de votre smartphone.
En revanche, le compte Android a été très prudent sur Twitter en mentionnant un « existing Huawei device » qui laisse une grande liberté d’interprétation. Est-ce qu’une décision pourrait affecter un Huawei P30 sorti d’usine demain ? Est-ce que les prochains smartphones Huawei et Honor seront immédiatement affectés, notamment ceux que l’on attend dans les jours et mois qui viennent ? Difficile, pour l’heure de répondre. Reste que le Département américain du Commerce pourrait, d’après Reuters, ne pas mettre sur la balance les « deals existants ».
À moyen terme, est-ce que je n’aurais plus de mise à jour ?
Si la situation n’était pas aussi grave, on aurait expédié la réponse avec un « eh, c’est Android, vous vous attendiez à quoi niveau mise à jour ? ». Mais c’est la que la situation se corse en réalité. Ici, on voit ici deux embranchements se dessiner :
- Huawei est sur la Entity List et le gouvernement américain n’autorise pas Google à travailler avec le géant chinois : dans ce cas, Google ne peut plus fournir la version commerciale d’Android. C’est-à-dire que Google pourra au mieux renforcer le maintien d’Android AOSP, la version Open Source du système d’exploitation et laisser Huawei se débrouiller avec. Côté client, viendra un moment de choix : avoir la dernière version d’Android sans les Google Apps (Play Store inclus) ou garder sa version d’Android avec tous ses services. Notez que le Play Store implique presque de fait Facebook, Twitter, WhatsApp, Instagram, Netflix… qui sont des entreprises américaines distribuées par le Play Store et n’auraient donc pas le droit de passer, elles non plus, des deals avec Huawei.
- Huawei est sur la Entity List et le gouvernement américain autorise Google à travailler avec le géant chinois : tout rentre dans l’ordre avec une autorisation spéciale de travailler avec Huawei. Après tout, le conflit entre les États-Unis et la Chine a lieu sur les infrastructures clefs et sur les craintes d’espionnage industriel, pas grand chose à voir avec l’intégration d’Android dans un smartphone.
Bref, dans le premier cas, on entre dans un monde de problèmes et de compromis pour tous les clients Huawei.
À long terme, que peut faire Huawei pour préserver ses clients ?
Sortons le problème de la géopolitique un instant et concentrons-nous uniquement sur la tech grand public. Quoi qu’il arrive, et même si tout se résout pour le mieux à terme, Huawei a pris un coup de semonce violent qui doit le faire réfléchir très sérieusement à une alternative à Android. En tant que deuxième constructeur de smartphone au monde, il a les armes pour développer un système d’exploitation sur la base d’Android. Et il doit être prêt à cette hypothèse très rapidement.
Cela dit, c’est Huawei en tant qu’entreprise qui va vivre des années sombres si l’affaire va dans cette direction. Construire un système d’exploitation viable, même sur une base Android, est extrêmement complexe. Et au-delà des compétences techniques, il ne résoudra pas son problème s’il ne peut travailler avec des entreprises américaines : quel client achètera un smartphone où il ne peut ni trouver Gmail, ni Facebook, ni WhatApp, ni Twitter, ni Netflix officiellement ?
Techniquement et stratégiquement, Huawei doit avoir un plan B, ne serait-ce que comme un levier dans ses propre négociations avec Google. D’ailleurs, cet OS de secours est déjà prêt. Commercialement en revanche, ce sera une douloureuse aventure pour continuer à vendre des smartphones hors de Chine.
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