Pour sauver le 737 Max, une mise à jour logicielle ne suffira peut-être pas. Il faudra aussi revoir la partie matérielle de l’avion, ce qui pourrait requérir d’en modifier le design. C’est en tout cas ce que pensent des ingénieurs et des experts en aéronautique, qui ne croient pas, ou plus, à l’idée que la sortie seule d’un patch va permettre de remettre en service l’aéronef, cloué au sol depuis ce printemps.
Cette différence d’appréciation s’est manifestée encore récemment, lors d’un échange entre des analystes et Denis Muilenburg, le PDG du constructeur américain. Au cours de la discussion, il a continué à affirmer que le retour opérationnel du 737 Max dépend de nouvelles instructions informatiques. « Nous sommes convaincus qu’il ne s’agit pas d’une mise à jour matérielle ».
Un problème de design de l’avion
Pourtant, dans les premiers jours qui ont suivi le second crash d’un avion 737 Max, la piste d’un problème de design de l’appareil a très vite émergé chez les spécialistes. L’ingénieur logiciel et pilote sur planeur David Kammeyer a ainsi livré une explication convaincante de ce qui ne va pas, fondamentalement, avec l’aéronef. Le 737 Max devait être l’évolution du 737, qui s’avère être un avion trop énergivore.
Pour cela, le 737 Max a été imaginé avec de nouveaux moteurs. Ceux-ci sont en effet plus performants, puisqu’ils consomment 16 % de carburant en moins. Sauf que ces moteurs de nouvelle génération sont plus lourds : ils ont des pales plus longues et une entrée d’air plus importante. De fait, ces caractéristiques ont une incidence sur la physionomie de l’avion.
Il a d’abord fallu disposer différemment des moteurs sous les ailes, en les rapprochant du fuselage et en les avançant, à cause de leur gabarit. Ce réaménagement a provoqué sans surprise un problème d’aérodynamisme. Pour le compenser, le fameux système MCAS a été développé. Celui-ci vise à empêcher le décrochage de l’avion en jouant sur sa portance : le nez est baissé ou élevé en fonction des besoins.
En somme, le MCAS vise à corriger informatiquement les soucis physiques de l’appareil. Tout cela à partir d’un problème économique : le Boeing 737 consomme trop. À cela s’est ajoutée une série de problèmes qui ont aggravé la situation : problèmes dans la qualité de la certification du 737 Max, sous-traitance de la conception du MCAS, pas de formation ou d’information sur son existence, etc.
« Je suis ingénieur en informatique, et on nous demande parfois de corriger les défauts de la mécanique, de l’aérotechnique ou de l’électrotechnique, parce que le métal a déjà été coupé ou les moules ont déjà été fabriqués ou la puce a déjà été fabriquée, et donc ce problème ne peut être résolu », observait à l’époque David Kammeyer. « Nulle part ici, il n’y a un problème de logiciel ».
Cette opinion n’est pas isolée : Gregory Travis, qui est pilote et développeur logiciel, a lui aussi réagi, en avril, dans une publication sur IEEE Spectrum. « Au lieu de se remettre au travail et de bien concevoir la cellule de l’avion, Boeing s’est fiée au MCAS. La solution de Boeing à son problème matériel a été logicielle », écrit-il. À ses yeux, il y a eu trois erreurs fondamentales avec le 737 Max.
« C’est un péché politique, social, économique et technique »
L’avionneur a construit « une cellule dynamiquement instable », qu’il a ensuite « essayé de masquer avec un logiciel ». Or, celui-ci « s’appuie sur des systèmes connus pour leur propension à la défaillance (indicateurs d’angle d’attaque) et ne semblait pas comporter de dispositions, même rudimentaires, pour comparer les informations à celles d’autres capteurs, ou même de l’autre capteur d’angle d’attaque ».
Et l’intéressé de porter l’estocade : « rien de tout cela n’aurait dû être validé. C’est un péché politique, social, économique et technique ».
Le 737 Max est-il condamné ?
Dans ces conditions, le calendrier évoqué par Denis Muilenburg sur le retour opérationnel du 737 Max paraît intenable : il est question de soumettre le dossier de (re)certification aux autorités de la sûreté aérienne courant septembre, avec une remise en service de l’avion en octobre. Cette échéance paraît d’autant plus improbable que des soucis additionnels ont été identifiés cet été, y compris en Europe.
Au regard des difficultés initiales auxquelles fait face Boeing, ainsi que des nouveaux soucis qui ont été relevés ces derniers mois, il y a de quoi douter sur les dates avancées par le PDG de Boeing. Surtout que l’administration civile américaine (FAA), dont la réputation a été sévèrement écornée avec cette affaire, a tout intérêt à faire preuve d’une extrême rigueur dans le contrôle du 737 Max.
S’il est avéré que Boeing doit en plus agir au niveau du design de l’aéronef, les efforts de rénovation des appareils déjà produits ainsi que les réaménagements pour les modèles à venir vont immanquablement entraîner un retard de plusieurs mois, car il y a des centaines d’aéronefs à faire revenir au garage — sans parler du temps qu’il faudra pour trouver et tester la bonne solution matérielle.
D’ores et déjà, on parle d’un arrêt, temporaire pour l’instant, des lignes de production du 737 Max.
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