Dernier épisode dans le procès Capitol Records contre Jammie Thomas. L’affaire avait fait grand bruit dans la communauté du peer-to-peer car elle fut la première à finir devant un tribunal après 4 ans de persécutions menées par la RIAA. Le verdict tant attendu est d’autant plus important que son impact serait considérable sur la stratégie adoptée par l’association défendant l’intérêt des majors. Si elle l’emporte, cela ne ferait que légitimer encore plus sa chasse aux sorcières aveugle et bornée. Mais en cas d’échec, c’est tout son système de poursuite qui serait mis en cause et l’opportunité offerte pour ses « victimes » de venir réclamer leur dû.
Mais n’est-il pas étrange de renverser le tableau en désignant sous le terme « victimes » les personnes qu’elle poursuit ? Car, après tout, d’un point de vu juridique, ce sont les majors qui ont subi le préjudice et les P2Pistes les fautifs. Mais dans les faits, ce sont surtout 20.000 américains qui font les frais d’un modèle économique qui se cherche, et qui se crispe sur ses acquis pendant que les nouvelles technologies offrent des possibilités d’accès à la culture jamais égalées.
Dans un tel contexte, comment considérer comme victime un puissant lobby orchestrant une campagne de terreur afin de tenir la tête hors de l’eau, et comme criminels ces 20.000 internautes qui ont pour seul péché le fait d’avoir voulu écouter de la musique ou regarder un film.
De tous temps la création a existé, et ce n’est pas le fait de lui couper ses vivres qui la fera disparaitre. C’est ce que tente de faire croire les majors mais ce discours a autant de crédibilité que celui d’un halluciné annonçant à grand coups de cloche le retour prochain de l’homme à l’état animal. Bien sûr, cela ne justifie en rien une absence totale de contribution à des œuvres qui ont nécessité des moyens financiers pour exister. Mais l’équilibre entre moyens de production et fruit artistique, de par son caractère abstrait, a toujours été instable ; et cela depuis l’époque même où les artistes de rue lorgnaient sur la générosité des mécènes. L’art n’a pas de définition mais si on peut bien lui accorder un trait récurrent, c’est bien dans cette inégalité persistante entre ce qui est reconnu, et ce qui ne l’est pas.
Le point nouveau qu’ont apporté les majors dans l’histoire de la musique, c’est un haut parleur comme jamais les artistes ont pu en avoir ; et cela a contribué à renforcer encore plus cette inégalité entre le petit rien et le grand universel. Doit-on les blâmer pour ça ? Surement pas. Mais si il y a bien une chose qu’on peut leur reprocher, c’est d’avoir réagi de manière aussi pernicieuse quant aux possibilités offertes par les nouvelles technologies ; comme finalement à chaque fois qu’un nouveau dispositif technique faisait son apparition, depuis la diffusion radiophonique jusqu’à l’invention du magnétoscope. Comme par le passé, après la stupeur vient le temps de l’adaptation. Mais en attendant, sa machine à faire tomber les têtes, la RIAA (entre autres), continue de tourner.
220.000 dollars pour 24 morceaux
On attendait donc aujourd’hui le verdict d’un procès qui, tout au long de son déroulement, marqua un profond déséquilibre. D’un côté, une défense flanquée d’un avocat peu expérimenté ayant passé son temps à invalider le lien entre Jammie Thomas et l’adresse IP utilisée sur Kazaa. De l’autre, le ténor du barreau Richard Gabriel à la solde de la RIAA qui avait visiblement tous les dons nécessaires pour se mettre le jury en poche.
Après s’être renseignés auprès du juge afin de connaître la peine minimale pour une infraction de copyright, les jurés se sont concertés pour d’établir le verdict. Ce minimum s’élève à 750 $. Sachant que seuls 24 morceaux sur les 1.700 soupçonnés ont été portés dans l’affaire, la peine minimale pour Jammie Thomas aurait donc dû s’élever à 18.000 $, tandis que la maximale aurait pu se chiffrer à 3,6 millions de dommages.
Après cinq heures de délibérations, c’est une peine de 222.000 $ qui a été prononcée. Jammie Thomas aurait sans doute pu être moins sévèrement punie si elle avait reconnue ses fautes mais la stratégie choisie a été de se déclarer non coupable en misant sur le fait que la RIAA ne possédait pas son adresse IP. C’est le jeu du quite ou double. Peut être cela aurait-il pu marcher, si du moins son avocat avait été à la hauteur de Richard Gabriel…
La victoire est mitigée pour la RIAA mais elle a réussi son principal objectif, qui était de faire un coup médiatique en gagnant ce procès, quelque soient les dommages perçus. Et quoi de mieux pour elle qu’une telle disproportion pécuniaire par rapport à l’acte commis, dans une période où elle efface de plus en plus les critiques selon lesquelles sa stratégie n’a pas réussi à endiguer le P2P, encore moins à freiner la chute du CD ? Peut être cela n’aura-t-il aucun impact, ou peut être que cela retardera pour un moment cette inévitable évolution ; mais dans tous les cas, on est en droit de se poser la question : « Et pour combien de temps encore ? »
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