Nous n’avons porté aucun intérêt au « Livre Blanc » communiqué à la presse par le SNEP la semaine dernière, et qui préconisait le filtrage des réseaux P2P et l’installation d’un organisme public pour réguler le piratage. Comment accorder du crédit à un livre blanc soit-disant rédigé par des experts indépendants, lorsque l’on retrouve pèle-mèle parmi les auteurs Marc-Michel Pic, le fondateur de la société AdVestigo spécialisée dans la lutte contre le piratage (et déjà employée par la SCPP), Frédéric Goldsmith, l’ancien directeur des affaires juridiques du Snep, Olivier Bomsel, prophète depuis des années du filtrage des réseaux et de la taxation de l’upload, ou encore Pierre Sirinelli, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, célèbre chez les initiés pour être l’un des juristes les plus attachés au monde à la vision ultra-conservatrice du droit d’auteur exclusif, et auteur d’un rapport très controversé sur la loi DADVSI. Ce Livre Blanc ne méritait vraiment pas qu’on s’y attarde pour plus que ce qu’il n’est : de l’eau de lobby pour remplir le moulin de Denis Olivennes.
Mais nous avions sous-estimé le SNEP, qui ose dire aujourd’hui ouvertement ce qu’ils disaient jusqu’à présent lorsque les micros étaient éteints. Dans une interview au Point, le directeur général du SNEP Hervé Rony lâche une bombe. Interrogé sur les méthodes de filtrage qu’il préconise, il répond :
« Par le biais du filtrage protocolaire, qui va permettre de bloquer le protocole des logiciels peer to peer. C’est le système de filtrage le plus efficace mais qui contient un risque : celui de faire barrage à tout type de téléchargement, y compris légal. Mais puisqu’on sait très bien que le peer to peer est pour l’essentiel lié au piratage, nous estimons qu’il ne faut pas tergiverser. Pour exemple, imaginez qu’un kiosque vende 98 % de journaux illégaux, faudrait-il le laisser ouvert sous prétexte qu’il y a 2 % de ventes légales ? Nous pensons que non.«
Nous affirmons que non, effectivement, un kiosque qui vend 98 % de journaux illégaux doit être fermé. Mais comparer un réseau P2P décentralisé à un kiosque de journal est encore une fois ne rien comprendre à ce qu’est le P2P. Et nous affirmons que même si 98 % des contenus d’un réseau P2P sont illégaux, le réseau lui-même ne doit pas être fermé. Contrairement au marchand de journaux, personne n’est à la tête du réseau P2P pour passer commande de « journaux illégaux ». Chaque client arrive avec ses journaux et se les échange dans le kiosque, sans qu’aucun dirigeant de boutique n’ait ni son mot à dire, ni la possibilité de dire quoi que ce soit. L’utilisateur légal propre sur soi ne voit jamais circuler les « journaux illégaux », car le réseau est neutre. Il est simplement une place d’échange entre utilisateurs, qui sont seuls et uniques responsables de ce qu’ils échangent.
Vouloir fermer les réseaux P2P dans leur ensemble, sans prendre en compte ce qui n’est pas la propriété du SNEP ou de ses membres, c’est vouloir fermer la porte à toute possibilité de concurrence et s’accaparer les réseaux de distribution. Jamendo et ses 5000 albums ne pourront pas survivre sans P2P, car les coûts de la distribution traditionnelle client-serveur sont trop élevés. Ratiatum non plus, qui a distribué légalement plus de 8 millions de téléchargements grâce aux réseaux P2P, ne pourrait pas survivre. Osons croire que ça n’est pas le but poursuivi.
Car le but est autre. C’est un aveu d’échec et une ultime tentative sur un filtrage que le SNEP sait impossible, car, dit Hervé Rony lui-même, « [un] outil [qui] permet de s’assurer qu’on ne filtre que du contenu illégal… est moins efficace que le système protocolaire et coûte plus cher ». Et donc parce qu’il ne serait pas rentable pour l’industrie du disque de ne bloquer que ses contenus, il faudrait que l’ensemble des autres éditeurs de contenus s’interdisent d’utiliser les réseaux P2P.
De quoi donner raison à Bob.
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