Un « Good morning » iconique résonne à la réception. C’est à Montpellier que Tim Cook, patron d’Apple, a posé ses valises ce mardi premier octobre. Dans un voyage aussi millimétré que celui d’un chef d’état, le boss de Cupertino est allé à la rencontre des créatrices et créateurs européens. En France, la ville occitane a été choisie pour deux raisons : Ubisoft Montpellier d’une part, qui, avec Pastagames, a sorti récemment Rayman Mini pour le lancement d’Apple Arcade et l’école Polytechnique d’autre part, qui forme de jeunes ingénieuses et ingénieurs à l’algorithmie et au développement informatique. Ici, le matériel Apple est utilisé dès la première année où un iPad est fourni et Swift est tout autant un outil de développement spécifique qu’un outil d’apprentissage général.
Monsieur l’ambassadeur
Pour les étudiantes et étudiants comme pour les développeurs, c’est en ambassadeur que Tim Cook s’est présenté. Chez Ubisoft, on sentait le nouveau bâtiment, tout juste inauguré et architecturalement très réussi, vibrer sous l’excitation des équipes. C’est une relation de longue date que le géant du jeu vidéo français entretient avec Apple — le premier Rayman Jungle Run en est le meilleur exemple –, mais recevoir la visite de M. Cook semblait être, pour les personnes réunies, une consécration. Résultat logique d’un travail bien fait sur le jeu vidéo mobile ?
C’est ce que nous a rappelé le CEO d’Apple dans un entretien exclusif après la visite des espaces de travail : « Apple Arcade est une réponse à la tendance générale du jeu vidéo sur mobile, qui est de concevoir des jeux Freemium, affirme Tim Cook à Numerama. C’est un modèle qui a ses avantages, mais qui ne laisse pas de place à l’expérimentation et au storytelling », poursuit-il. Le dirigeant de Pastagames, Fabien Delpiano, est aussi de cet avis : « J’avais arrêté de prendre du plaisir à jouer sur mobile avant Apple Arcade », dit-il, remerciant au passage Tim Cook pour l’initiative.
En privé, ce créateur montpelliérain affirme que la proposition d’Apple fait du bien à l’industrie : « Qui aurait acheté un jeu comme Cricket Through the Ages ? Personne ! ». Le jeu absurde de Devolver est en effet une expérience ludique qui ne saurait supporter aucun business model viable pour les développeurs : il n’incite pas à passer du temps à l’écran, il n’a pas de mécanique de microtransaction et le vendre serait un pari risqué. Pour M. Delpiano, si Arcade continue sur sa lancée, il deviendra un moteur de création.
C’est aussi ce que Tim Cook entend quand il nous confie la volonté d’Apple de proposer dans Arcade des expériences venues du monde entier. Pour le CEO, la proposition Arcade est éditorialisée : « Quoi de mieux que réunir des développeurs talentueux issus de toutes les régions du monde pour faire découvrir de nouvelles choses aux utilisateurs Apple ? » Quand on lui demande si la plateforme Arcade pourrait sortir de l’univers Apple, comme Apple Music, Tim Cook botte en touche : « Ce n’est pas dans nos plans pour l’instant, Apple Arcade a été pensé pour être lancé sur tous nos appareils. Avec Music, nous avions senti qu’il y avait un besoin d’une telle plateforme sur Android ».
Ce support unique, un frein pour la création ? Pour nos interlocuteurs à Ubisoft, pas le moins du monde : la contrainte d’avoir un business model à calquer sur un titre mobile n’est plus là ; cela ouvre à plus de créativité. Car c’est là la pierre angulaire de la stratégie Apple Arcade : contrairement à Google, qui avec son Game Pass mise sur un partage des revenus sur un gros catalogue de jeu, rémunérant les développeurs au temps que passent les joueurs sur leurs titres, Apple se projette pour l’instant en Netflix.
Le logo Arcade n’est pas là pour rien au début de chaque titre exclusif à la plateforme : Apple est co-producteur, ce qui sous-entend une participation financière pour la création d’un titre. Comme un Netflix produit des séries et films aux quatre coins du monde et se réserve le droit de les diffuser sur sa plateforme. Nul ne sait si Apple conservera cette approche après le lancement ou s’il s’agissait d’un coup de pouce pour la création — après tout, traditionnellement, un jeu vidéo rapporte de l’argent sur la durée au rythme des promotions, extensions et mises en avant et les développeurs pourraient y voir un manque à gagner.
Soft power from la France
À un niveau plus élevé de la hiérarchie d’Ubisoft, la visite de Tim Cook est aussi une démonstration de force… inversée. Yves Guillemot lui-même a guidé son homologue dans le dédale de couloirs du nouveau bâtiment. Chaque pause était une occasion de montrer le savoir-faire des Français, du son à l’image en passant par le développement d’outils maison pour créer des jeux vidéo. Toute une production peut être assurée à Montpellier, nous confie le directeur du site, « mis à part la motion capture. Elle se développe à Montreuil mais nos gros studios sont au Canada ».
Le point d’orgue de cette démonstration était sans nul doute l’arrêt dans la jungle, espace naturel à l’intérieur du building. Ici, Michel Ancel en personne a fait la démonstration très confidentielle des dernières évolutions de Beyond Good & Evil 2, vidéo, moteur et gameplay — le space opera si attendu est réalisé entièrement à Montpellier. Candide et à la manière d’un journaliste, Tim Cook a demandé quand le jeu qu’il a vu et visiblement apprécié sortirait. Ce à quoi Ancel a lancé un « Coming soon » mystérieux, formule si typique des géants de la tech, qui a déclenché un éclat de rire.
Ce parcours complet et efficace, suivi dans l’après-midi par une visite à Polytech Montpellier qui avait réuni ses meilleurs étudiants et étudiantes pour présenter des créations maison à Tim Cook, était l’occasion de montrer que la région Occitanie savait réunir les talents pour rayonner à l’international, attirant l’intérêt sincère des entreprises qui font le web et la tech d’aujourd’hui. La direction de l’école, réunie pour un cliché souvenir, n’aurait pas espéré mieux pour attirer des étudiants et étudiantes.
Et qui sait, peut-être que cette visite discrète en petit comité aura été plus efficace pour faire rayonner la France du numérique que les ronflants labels sortis du chapeau des différents gouvernements.
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