En 2012, une vidéo &de Samsung montrant un smartphone pliable, d’inspiration Galaxy Note premier du nom, mettait la presse en ébullition. Imaginé de longue date par la science-fiction, l’engin de poche pliable était né. Tout du moins en 3D. Cette image a fait naître de nombreuses attentes et le smartphone pliable est devenu un sujet. Brevet après brevet, fuite après fuite, chaque mention d’un tel objet faisait les gros titres. Et puis, en 2019, c’est arrivé : des smartphones pliables ont été présentés.
Royole, avec un concept risible, a coupé l’herbe sous les pieds des grands constructeurs qui ont investi des millions de dollars dans la R&D. Mais ces grands n’ont pas tardé à réagir : Samsung a dégainé par surprise son Galaxy Fold lors de l’événement Galaxy S10 et Huawei a dévoilé son Mate X. Deux smartphones abordant le concept de l’écran pliable différemment : celui de Samsung se ferme sur l’intérieur et propose un deuxième écran ; celui de Huawei se ferme vers l’extérieur et, une fois replié, s’utilise sur la moitié du grand écran.
Cela dit, une fois l’annonce passée, le soufflet est tout de suite retombé. Après des années de teasing et d’espoirs, la réalité était bien moins glamour que les promesses marketing. Le Galaxy Fold prêté à la presse internationale a tout de suite montré ses faiblesses, notamment du côté de la résistance de l’engin et les modèles ont dû être repensés avant d’être commercialisés. En panique et confronté à d’autres soucis plus urgents à cause de bisbilles avec Donald Trump sur sa gamme classique, Huawei a aussi repoussé ses sorties.
L’impossible smartphone
En octobre 2019 pourtant, le Galaxy Fold est une réalité. Le smartphone de Samsung, accompagné d’une liste de précautions à prendre et avec une charnière revue, est commercialisé — certes, de manière confidentielle. Dès lors, la question se pose : est-ce un vrai produit ? Peut-on le tester en face d’un smartphone classique, comme l’iPhone 11 Pro ou l’excellente gamme S10 ? Peut-on le tester en le comparant à une tablette tactile ? Et même, de manière plus générale, est-ce tout simplement un produit pour lequel un test aurait du sens ?
Toutes ces questions nous ont travaillés pendant la dizaine de jours passés avec le Galaxy Fold dans une poche. Nous l’avons fait essayer à qui nous pouvons et les réactions sont toujours mitigées : l’effet de surprise attendu est très vite contre-balancé par les limites apparentes du produit, qui sautent aux yeux même d’un utilisateur béotien et non technophile. Et c’est ce qui fait nous dire que le Galaxy Fold n’a pas sa place au rang des tests, pas sur Numerama où nous avons pour habitude depuis 4 ans d’associer une émotion à un produit en guise de note.
Sur les critères objectifs et d’expérience que nous utilisons pour nos produits, le Galaxy Fold serait tout en bas du tableau — alors même que son écran en lui-même est un rêve de gosse bercé à Star Wars et nous laisse rêveurs à chaque usage. Dans les faits, le Galaxy Fold est un brillant concept entouré d’un ensemble de concessions sur des tas de choses tenues pour acquises dans l’univers du smartphone, notamment sur les modèles haut de gamme vendus plus de 1 000 €.
- Les finitions : avec sa charnière d’une autre couleur que ses faces, des bouts mécaniques qui semblent bouger indument à chaque ouverture, une coque en plastique qui n’a rien de chic ou luxueux et que Samsung suggère de coller, le Galaxy Fold est loin des standards actuels — même de ceux du Coréen.
- La solidité : un smartphone en 2019 qui n’est pas waterproof, ne résistera pas aux chutes et pourrait souffrir à cause d’un grain de poussière mal placé dans sa charnière n’a rien de mobile ou de transportable.
- L’écran avant : l’idée de Samsung n’est pas bonne. L’écran sur la face pliée du Galaxy Fold est sujet à moquerie. Il semble complètement hors de propos, trop petit et à la fois gêné par le bas et le haut du smartphone. On a l’impression, à l’usage, de revenir des années en arrière, avec une interface et des applications qui ne peuvent plus tourner sur ce format.
- Le système d’exploitation : malgré quelques bonnes idées, on peine à voir une cohérence globale à l’usage. Le navigateur, par exemple, va charger les sites mobiles sur un écran qui est un écran de tablette. On a l’impression que les interactions sont toujours placées bizarrement (comme l’accès aux réglages rapides) ou qu’elles ne tombent pas sous les doigts. Aurait-il eu besoin d’un système d’exploitation à lui, conçu from scratch pour le format ? Peut-être.
Enfin, l’écran du Fold en lui-même n’est tout simplement pas aux standards. Quiconque l’utilise verra l’immense pliure au milieu qui prend la lumière, la poussière et la graisse des doigts. Samsung le sait très bien et a conçu un fond d’écran en papillon pour éviter que cela se voie trop, mais ce défaut nous suit partout. Dès qu’une vidéo bouge vite, la luminosité renvoyée dans cette douve centrale la fait ressortir.
Et même pour celles et ceux qui arriveraient à habituer leurs cerveaux et à passer outre, le Fold ne parvient pas à convaincre. Les deux « faces » du Fold ne sont pas synchronisées dans leur rafraîchissement et tout déplacement vertical sur l’écran entraîne une déformation. La partie de droite est plus rapide que la partie de gauche : quand vous scrollez sur une page web, elle remontera avant par la droite, montrant une déchirure immanquable.
Nos confrères de FrAndroid ont aussi remarqué que la colorimétrie est disparate entre les zones du Fold : on peut le voir à l’œil nu en regardant le smartphone en biais — une partie est plus chaude que l’autre. On s’est d’ailleurs demandé pourquoi les photos prises par le Fold semblaient si mauvaises sur l’écran. La réponse nous a été donnée une nouvelle fois par FrAndroid : comme il s’agit de l’excellent capteur du Galaxy S10, c’est l’écran qu’il faut pointer du doigt…
La charnière enfin est clairement sous-exploitée. Elle ne possède que deux positions : fermé et ouvert. Quand on a fait essayer le Fold autour de nous, plusieurs personnes se sont immédiatement mises à vouloir profiter de l’écran plié, ce qui semble évident. Elles ont alors pris le Fold comme s’il s’agissait d’une console de jeu repliable, espérant qu’il puisse se caler dans une position où les contrôles seraient sous le pouce et l’écran en haut — sorte de Nintendo 3DS. On peut simuler cela en ne verrouillant pas le Fold dans une position, mais c’est risqué pour la solidité de l’engin (la charnière est libre) et pas du tout prévu par les applications.
Dès lors, c’est un comble, on se retrouve avec un produit massif qui n’a aucun intérêt à être plié, proposant seulement deux surfaces planes — l’une trop petite, l’autre de basse qualité. Le concept de l’écran pliable lui-même semble si loin.
Pourquoi Samsung a raison de sortir ce Fold
Et pourtant, Samsung est loin d’avoir eu tort de sortir son Fold. Même inutilisable, même impossible à recommander, même sans le côté luxe qui aurait légitimé ce produit à petit tirage. La raison est bien simple : il fallait une version 1. Attendre plus encore, c’était laisser la concurrence passer devant ou risquer de voir le concept mourir avant même qu’il ait pu exister. Grâce au Galaxy Fold, Samsung peut essuyer les plâtres — ses propres plâtres — et apprendre avant tout le monde.
Il est à peu près sûr que ce deuxième lancement sert à la marque de bêta test. Les retours sont scrutés, de la presse spécialisée et des utilisateurs — qui, on le rappelle, doivent aller en magasin pour discuter avec Samsung avant achat. En France, le géant a même acheté la couverture de plusieurs quotidiens nationaux pour exposer son bijou : même s’il avait des clients, il n’y aurait pas assez d’unités produites pour les contenter. L’opération marketing n’avait qu’un intérêt… faire parler de l’idée, sans risque.
Ce faisant, Samsung a pris de court la concurrence : depuis que le Fold est sorti, le smartphone pliable n’est plus un truc du futur et n’engendre donc pas le même engouement que lorsque l’objet n’était qu’un rêve. Il y a fort à parier que les prochains modèles seront moins scrutés, moins décortiqués et moins critiqués : ils n’apporteront pas aux constructeurs autant de retours.
Car c’est comme cela que l’on voit aujourd’hui le Fold : un concept lâché dans la nature, quelque chose que rarement des constructeurs ont osé faire dans la tech grand public, où les ventes nombreuses font tout de même partie de l’équation. On ne parle pas d’un marché comme celui de l’auto de luxe où quelques unités vendues suffisent à remplir des comptes en banque et satisfaire des collectionneurs.
C’est en cela qu’on ne peut, in fine, que reconnaître l’audace du Coréen doublée d’un calcul très intéressant pour se projeter dans l’avenir. Ce faux produit amènera immanquablement à un vrai produit, peut-être radicalement différent, prenant en compte toutes les critiques adressées à la version bêta que nous avons entre les mains.
C’est aussi pour cela que nous refusons de noter ou de tester le Galaxy Fold : cela serait donner un mauvais signal aux lectrices et lecteurs cherchant une information d’achat sur le Fold. L’ère de l’engin mobile pliable n’est en réalité pas encore ouverte et il n’y a qu’à voir ce que Microsoft a présenté hier avec son Duo pour comprendre que le marché n’est pas qu’une mode. Samsung l’a compris en lançant son Galaxy Fold avant tout le monde et vous le comprendrez aussi en n’achetant pas un Galaxy Fold.
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