La dernière vidéo de Bowblax, un youtubeur américain, a fait l’effet d’une bombe chez les vidéastes anglophones. Intitulée « ce que YouTube vous cache » et publiée le 29 octobre, elle repose sur l’analyse du code source de la plateforme. Bowblax y a trouvé des indices sur le fonctionnement de l’algorithme, mais aussi des notes, appelées P-score, attribuées aux vidéastes. YouTube n’a jamais caché avoir recours à ce procédé. Cependant, les notes n’étaient jamais censées être publiques.
5 % des créateurs concernés
Bowblax n’a pas travaillé seul sur ce projet. Les youtubeurs Nicholars DeOrio, Optimus et Josh Pescatore ont également contribué à l’enquête. Dans sa vidéo, il commence par évoquer le P-score. Il s’agit d’une note que YouTube octroie à certains vidéastes.
YouTube avait détaillé ce procédé dans une vidéo publiée en avril dernier. La plateforme expliquait que seuls les 5 % des créateurs et créatrices de contenus les plus populaires étaient notés et classés.
La note dépend de plusieurs critères. Le premier est la popularité d’une chaîne. Elle est mesurée grâce au « watch time », c’est-à-dire le temps passé par les abonnés à regarder les vidéos. Il y a ensuite la « passion », qui dépend de l’engagement des utilisateurs sur la chaîne (likes, commentaires, partages), ou le critère « plateforme », qui privilégie les chaînes dont on regarde les vidéos sur « de grands écrans comme des télévisions ». Ceci serait gage de qualité, d’après la firme.
La « production » renvoie à la qualité des contenus (matériel et techniques utilisées). Le dernier critère enfin, est la « protection ». Il est lié au fait qu’une chaîne soit adaptée aux annonceurs ou non, mais YouTube ne précise pas comment cela est mesuré, tout comme pour la production.
Une note rendue accessible par inadvertance
Le P-score est normalement réservé aux annonceurs. Mais il était accessible depuis le code source public de certaines pages YouTube. Bowbax et d’autres vidéastes, ainsi que le journaliste et auteur Chris Stokel-Walker, ont pu le consulter.
Ils ont listé les notes obtenues par un peu plus de 230 vidéastes et les ont consignées dans un document Excel, accessible via ce lien. Numerama n’a pas été en mesure de les vérifier, YouTube ayant rendu inaccessible ces P-score depuis la publication de la vidéo de Bowbax.
Le tableau montre des scores contenus entre 230 et 1 050 environ (et qui diffèrent selon les pays). Les notes les plus hautes ont été attribuées à des shows télévisés comme le Late Show de Stephen Colbert, le Tonight Show de Jimmy Fallon, le Jimmy Kimmel Live, ou des chaînes télévisées comme CBC, Fox News, CNN ou la BBC.
Viennent ensuite l’acteur Will Smith, puis des vidéastes indépendants. PewDiePie, le plus suivi d’entre eux, a par exemple un score de 994.
Ce classement a fait renaître certaines frustrations. Pour beaucoup, il prouve que YouTube favorise des entreprises, personnalités du monde du spectacle et médias plutôt que les créateurs de contenus qui ont fait sa renommée. La très bonne position de Will Smith est symptomatique de ce décalage. L’acteur a une chaîne active et de qualité, mais il ne compte que 7 millions d’abonnés. Pourquoi se retrouve-t-il au dessus de PewDiePie, qui en a plus de 100 millions, et de bien d’autres vidéastes plus populaires que lui ? Des internautes y voient un simple traitement de faveur, pour un acteur qui avait déjà été mis en tête d’affiche sur le Rewind (vidéo bilan de l’année) controversé de 2018.
À quoi sert le P-score ?
L’autre question qui reste en suspens est : à quoi sert vraiment ce P-score ? À en croire la vidéo de YouTube sur le sujet, ce score est soumis aux annonceurs. Plus la note est élevée, plus les annonceurs qui monétisent les vidéastes au travers de publicités, en tireraient des bénéfices importants. Cela signifierait donc que Will Smith n’est pas tant privilégié, mais bien plus bankable.
Un porte-parole de YouTube a indiqué à Numerama que l’entreprise avait « développé des systèmes en interne pour s’assurer de la conformité des contenus avec ses règles d’utilisation ». Ils servent, a-t-il précisé, « à déterminer lesquels respectent ces règles ». « Une partie des chaînes monétisées sont éligibles aux programmes Google Preferred, qui permettent aux marques d’apparaître sur les chaînes les plus engagées et populaires de YouTube », a-t-il conclu.
Le porte-parole a précisé que le P-score n’était volontairement pas partagé avec les vidéastes car il était réservé aux modérateurs de la plateforme ou aux annonceurs. Cependant, l’existence de cette note n’a jamais été secrète, a-t-il rappelé. La manière dont le P-score est utilisé n’est pas précisée.
Quelques informations sur l’algorithme
Dans sa vidéo, Bowbax évoque d’autres trouvailles qu’il a faites dans le code source de YouTube. Il mentionne notamment le « ContentLabelRating », qui classe en différentes catégories les contenus. Il détermine s’ils sont adaptés à tous les publics. Ils peuvent être classés par exemple comme « adaptés à la famille », « pour adultes » ou « pour adolescents et plus ». Il est spécifique à chaque vidéo, contrairement au P-score qui est rattaché à la chaîne dans son ensemble.
Enfin, le vidéaste a relevé un dernier détail. Dans le code, il a vu l’inscription suivante : « REASON_BRAND_SAFETY_ADS_THROLLING » ou d’autres ensembles de mots contenant le terme « THROLLED ». Ces inscriptions apparaissaient sur les vidéos considérées comme adaptées aux adolescents et personnes plus âgées. Il explique que selon lui, YouTube appliquerait ce label à des vidéos monétisées, mais non recommandées par les algorithmes. Là encore, ce n’est pas tout à fait secret : en théorie, le système de monétisation et celui de recommandation sont indépendants.
Un porte-parole de YouTube a indiqué à ce sujet que la plateforme accordait un traitement spécifique aux contenus pour adultes. Si une vidéo est répertoriée comme étant destinée aux adultes, elle sera labellisée comme telle par YouTube et cela pourra influencer à la fois la monétisation et le niveau de recommandations. La plateforme dit tenter de recommander des contenus adaptés aux utilisateurs en fonction de leur historique ou contenus visionnés. YouTube évitera de recommander des contenus pour adultes, monétisés ou non, à un utilisateur qui regarde des comptines pour enfants. C’est apparemment à ce cas de figure que les termes « THROLLED » ou « THROLLING » correspondent.
Les informations ne sont en elles-mêmes pas toutes inédites, mais elles permettent de mieux comprendre l’algorithme de YouTube. Il est réputé particulièrement opaque et fait l’objet de nombreuses critiques. C’est d’autant plus le cas depuis 2017, YouTube ayant peu à peu durci ses conditions de monétisation sous la pression des annonceurs.
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