Le 6 novembre, Apple veut faire entendre un message : ses produits sont sécurisés. Hors du business de la publicité et de la donnée, il est l’un des derniers géants de la tech à faire du respect de la vie privée un composant essentiel de son offre. Une position durable ?

Depuis quelques années, Apple a articulé une partie de ses produits et de sa communication autour de la sécurisation des données et des communications de ses utilisateurs. Des procédés de chiffrement et de cryptographie inscrits by design dans l’architecture des produits et des services Apple de longue date, mais qui, année après année, ont pris une importance considérable dans les prises de paroles publiques de la marque. On se souvient de ses positions fortes contre les backdoors ou de l’affaire des accès bloqués à Facebook et Google qui n’avaient pas respecté des engagements relatifs à la confidentialité des utilisateurs de certains programmes de test.

Ce 6 novembre 2019, Apple écrit une nouvelle page dans cette aventure en déployant une section complète sur son site web à l’intention de ses clients. Objectif : faire comprendre au grand public que les produits Apple ne sont pas comme les autres quand on parle respect de la vie privée et confidentialité des données.

Entre de bonnes mains ?

Utilisatrices et utilisateurs aguerris des produits Apple savent sûrement qu’ils paient autant pour des objets que pour un écosystème composé de plusieurs systèmes d’exploitation. Peu savent en revanche qu’ils baignent dans un univers numérique ultra-protecteur et que la plupart des scandales liés aux données et à la vie privée ne les concernent que marginalement. C’est tout l’intérêt de cette communication : montrer que chaque facette des logiciels qui propulsent les iPhone, les Mac ou les iPad a été réfléchie avec la sécurité en tête.

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Sur ces nouvelles pages, Apple rebondit astucieusement sur des faits bien ancrés dans l’imaginaire collectif. Par exemple, l’internaute de 2019 sait à peu près qu’il est pisté sur le web par des cookies publicitaires chargés de construire un profil plus ou moins pertinent sur lui qui permettra à des régies de cibler des annonces. C’est le phénomène de l’aspirateur sur Amazon : vous avez acheté un aspirateur et d’un coup, tous les panneaux publicitaires numériques vous en montrent. Si vous utilisez Safari, le navigateur présent par défaut sur les produits Apple, cela n’arrivera pas : l’entreprise a pris la décision de réinitialiser très rapidement les cookies « tiers », c’est-à-dire ceux qui ne servent pas à rendre la navigation sur vos sites confortables (en retenant vos identifiants par exemple). C’est un sujet que nous avons traité sur Numerama, mais en l’état, il est impossible de le savoir quand vous allumez un produit Apple.

L’entreprise de Cupertino déroule ainsi plusieurs phénomènes qui ont fait l’actualité ces dernières années — sans les nommer. Ainsi, utiliser Plans ne partage pas vos données de géolocalisation, qui ne sont même pas associées à votre identifiant : adieu le marketing géolocalisé, qui était au cœur de l’affaire Teemo. Tous les traitements algorithmiques de l’application Photos sur vos clichés sont faits en local sur votre appareil, de la reconnaissance de lieu à la reconnaissance de personnes : ce ne sont pas des données qui viennent enrichir des algorithmes.

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Santé est présenté comme une plateforme qui ne partage jamais vos données et les conserve chiffrées en permanence — on reconnait en creux les scandales liés à la transmission des données à des laboratoires, pratique récemment pointée du doigt dans les applications de suivi des règles. Hasard ? Non : Apple a sorti son propre logiciel de suivi en septembre 2019. Pour Siri et Messages, Apple rappelle son utilisation du chiffrement bout en bout des données et de la confidentialité différentielle pour anonymiser les requêtes faites à des serveurs.

Le message est clair : vous payez pour des produits premium qui vous proposent un environnement surprotégé. Le tout, de manière (presque) transparente.

La recommandation segmentée

Apple a d’autant plus besoin de mettre en avant ces forces méconnues qu’elles sont en parfaite opposition avec la direction prise par la plupart des géants de la tech et du numérique. Côté tech, Google a par exemple évoqué son désir de créer de l’informatique ambiante, décrivant un assemblage d’algorithmes, de produits et de logiciels qui ajoutent à notre environnement et nos interactions une couche de prédiction. Prédictions basées, bien entendu, sur la collecte et le traitement de nombreuses données — certes, anonymisées. Côté service, Netflix n’a que son algorithme à la bouche : il permettrait de recommander dans la quasi-totalité des cas des séries et films que la personne ciblée est susceptible d’aimer.

Pionnier côté assistant et entré récemment dans le secteur du divertissement, Apple ne peut pas échapper complètement à cette facette des usages du web. La question que le géant se pose est alors la suivante : de quoi avons-nous besoin pour rendre une playlist Apple Music pertinente ? Combien de données faut-il pour savoir recommander des applications ? De quoi Siri a-t-il besoin pour accompagner la vie physique de ses utilisatrices et utilisateurs ? Dans les faits, en respectant ses principes, la réponse est toujours la même : peu de chose.

Le logo de Siri // Source : Apple

Le logo de Siri

Source : Apple

Plutôt qu’un profil universel et très déterminé, Apple choisit de constituer des recommandations qui n’identifient pas l’utilisateur, reposent sur des algorithmes n’utilisant que des données très précises et reposent sur une bonne part d’humain. Par exemple, la section Pour vous d’Apple Music pourrait être enrichie avec l’intégralité de votre consommation culturelle : si vous avez regardé le dernier Star Wars sur iTunes, pourquoi ne pas vous recommander la BO sur l’application musicale ? Apple s’y refuse et préfère agréger des données anonymisées d’écoutes et laisser à des humains le soin de pousser des playlists à des groupes de profils.

C’est ce qui se passe également sur l’App Store et sur Arcade : pas grand-chose n’est mis en avant selon vos habitudes. Vous retrouverez bien plus des sélections éditorialisées ou des catégories générales que des recommandations constituées spécialement pour l’utilisatrice ou l’utilisateur que vous êtes. Et même s’il y en avait, Apple ne veut pas savoir qui vous êtes, seulement, occasionnellement, à quoi vous avez pu aimer jouer.

En ce sens, Apple peut faire de sa faiblesse une force et se permettre de vendre un côté artisanal à ses recommandations. Pourtant, à long terme, le pari est risqué. Si les modèles algorithmiques qui reposent sur la collecte de quantités colossales de données ont tant le vent en poupe, c’est qu’ils marchent et marcheront de mieux en mieux. Demain, un Google Home pourrait indiquer seul à haute voix qu’il faut s’équiper pour un temps pluvieux, car un Pixel aura détecté une intention de quitter l’appartement et d’aller à vélo dans un endroit où la pluie vient à peine de se mettre à tomber.

Le choix moral d’Apple est encore un avantage aussi précieux que méconnu en 2019, mais met l’entreprise dans une position où elle ne pourra pas répondre à toutes les avancées technologiques de ses concurrents. Dans la balance, ce sera au consommateur de peser entre sa sécurité et sa vie privée numérique et la promesse, peut-être vaine, d’un confort décuplé.

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