La crise du disque frappe en premier les plus précaires de la chaîne. Depuis quelques années, la scène electronique expérimentale est mise à mal. Ceux qui ont constitué les fleurons de ce que l’on appelle l’IDM (Intelligent Dance Music) peinent à trouver leur place. Certains ont changé de voie (Warp vers le rock, Planet Mu vers le dubstep) ; d’autres n’ont plus sorti de disques depuis un bout de temps (Schematic) ; et les derniers ferment simplement (Sublight Records en juin 2007).
Il n’est pas rare de les voir tenus par des passionnés qui y investissent des fonds sans en récupérer l’investissement, à l’image de Sublight Records ou d’In Vitro Records en France (dont la survie est dûe à l’activité commerciale de l’entreprise qui le gère). Certains tentent alors le tout pour le tout. Pour la dernière sortie de The Flashbulb, voici ce que son producteur Benn Jordan laisse comme message à l’intention de l’auditeur.
« Salut l’auditeur… le téléchargeur… le pirate… le pseudo-criminel…
Si tu peux lire ça, c’est sûrement que tu as téléchargé cet album d’un réseau Peer-to-Peer ou d’un Torrent.
Tu t’attends sûrement à ce que le reste de ce message te dise que tu nuis aux musiciens et que tu enfreins toutes les lois sur la propriété intellectuelle. Et bien non.
Ce que je voudrais te dire, c’est que ma maison de disque comprend qu’une grande partie des gens piratent la musique parce que c’est plus facile que de l’acheter. Les CDs se rayent facilement, la plupart des sites de téléchargement payant proposent des titres de basse qualité et protégés par ces foutus DRM, et les vinyles sont presque impossibles à trouver et se faire livrer sans soucis. Dans la plupart des cas, je me demande pourquoi les gens continuent finalement d’acheter des CDs. Quelques uns pour l’artwork palpable, d’autres parce qu’ils ne se sont pas encore adaptés au MP3, mais la plupart le font parce qu’ils ont un profond amour dans la musique et veulent soutenir les artistes qui la font. Un façon de se redonner, l’espace d’un instant, foi en l’humanité, hein ?
Bon, et puis maintenant ? Tu aimes l’album ? Tu t’apprêtes à aller « supporter l’artiste » sur iTunes ? Bien, ne le fais pas. Alphabasic est actuellement en procès contre Apple parcequ’AUCUN titre de notre catalogue, y compris Sublight Records [NLDR : Depuis sa fermeture, Alphabasic en a récupéré une partie du catalogue], ne reçoit une once de royalties de l’énorme quantité de titres vendus sur iTunes.
Tu veux acheter un CD juste pour montrer ton soutien ? Si tu n’aimes pas particulièrement les CDs, ne t’embêtes pas. Les revendeurs comme Best Buy ou Amazon mettent les prix si hauts que leur part est souvent 8 fois plus grande que ce que les artistes touchent. En plus, la plupart des CDs sont fait dans un plastique non recyclable qui laisse une sale empreinte sur l’environnement.
Si t’aimes les CDs, achètes les d’un label (dans notre cas, alphabasic.com). Une fois les coûts de fabrication dégagés, nos artistes reçoivent habituellement plus de 90 % de l’argent qui sort de ton portefeuille. De plus, tous nos produits physiques sont faits en matière 100 % recyclable.
Tu veux montrer ton soutien ? Viens ici et parcours notre catalogue de téléchargements sans DRM et sans perte de qualité. C’est déjà fait ? Alors libre à toi de donner ce que tu veux à ton artiste favori. Tout lui reviendra. Tu peux même donner juste un penny pour le remercier.
Si t’aimes vraiment The Flashbulb – Soundtrack To A Vacant Lite et que tu veux montrer ton soutien sans que ça aille à ces rapaces de revendeurs et distributeurs, alors clique sur le bouton en bas. Si tu nous envoies ton adresse e-mail, Alphabasic peut t’envoyer occasionnellement divers goodies (surplus de stock, stickers, et même des CDs rares) en remerciement et encouragement pour ton soutien.
Merci d’avoir lu. Qui sait si mon petit business plan fonctionnera pour lancer de nouvelles sorties ? Même un échec serait toujours mieux que ce minable système de label/distributeur/revendeur que les musiciens se coltinent depuis 50 ans. Nous espérons que tu prendras autant de plaisir à écouter la musique que nous en avons eu à la sortir. Si tu prévois de partager cette sortie, merci d’y inclure ce fichier [NDLR : le .NFO lié à l’album et dans lequel est écrit le texte]. L’unique raison, c’est qu’il nous permet de montrer à l’auditeur où il peut soutenir ses artistes favoris ! »
Tout est dit. Au final, les labels « équitables », labels « communautaires » et autres farces dernièrement émergées du net ne sont que des tentatives de se placer là où tout le monde cherche un chaînon manquant. Peut être l’un d’entre eux réussira à percer, sait-on jamais, mais il semble que ce ne soient là que des avatars devant leur naissance au seul contexte transitionnel actuel.
La véritable innovation ne semble pourtant pas s’esquisser chez ces prophètes qui prétendent avoir tout compris de la toile. Elle se trouve chez ces labels ou ces groupes qui ont le courage de faire table rase sur le passé et de repartir sur des bases complètement neuves.
Alors, on pourra toujours questionner autant qu’on veut la viabilité économique du modèle proposé par Alphabasic. Il n’empêche que Benn Jordan a compris une chose essentielle. On ne rétablit par un contrat de confiance bafoué en jetant un autre type de poudre aux yeux de l’auditeur. On commence par être honnête avec lui, proposer quelque chose de qualité, passer un nouveau type de marché, et avoir la modestie d’accepter son éventuel échec.
Ne soyons pas trop naïfs. L’avenir de la musique ne sera sûrement pas conduit par des gens comme lui. Souhaitons tout de même que son opération soit un succès car elle le mérite amplement.
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