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Si Orange a pu observer un exode des Parisiens vers la province lors de la mise en place du grand confinement en France, départ qui a concerné 20 % des habitants de l’Île-de-France, il y a une autre entreprise qui a également été aux premières loges pour suivre les mouvements de la population lorsque les appels à la distanciation sociale ont commencé à se faire entendre un peu partout dans le monde.
Cette entreprise, c’est Google. Le géant californien a partagé le 3 avril une synthèse des données de géolocalisation qu’il détient pour chaque pays, basée sur la mesure de la position des mobinautes. Cette synthèse inclut des graphiques décrivant l’évolution de la fréquentation de certains lieux publics entre le 16 février et le 29 mars 2020. Pas moins de 183 pays bénéficient d’un rapport dédié, dont, évidemment, la France.
Chaque bilan national se compose de six graphiques, chacun d’eux montrant l’évolution des déplacements pendant le développement de la pandémie de Covid-19. Ils détaillent la situation pour :
- les commerces de détail et les loisirs (y compris les restaurants, les cafés, les centres commerciaux, les parcs d’attractions, les musées, les bibliothèques et les cinémas) ;
- les épiceries et les pharmacies (ainsi que les marchés d’alimentation, les entrepôts alimentaires, les marchés d’agriculteurs, les magasins d’alimentation spécialisés, les pharmacies et les drogueries) ;
- les parcs (catégorie qui recouvre les parcs nationaux, les plages publiques, les marinas, les parcs pour chiens, les places et les jardins publics) ;
- les stations de transport public (métro, bus et train) ;
- les lieux de travail ;
- les lieux de résidence.
Il ne surprendra évidemment personne que dans les pays où l’épidémie de coronavirus bat son plein, la plupart des statistiques chutent, parfois brutalement. En particulier si en plus les autorités ont pris des dispositions légales, assorties de sanctions, pour forcer la population à limiter considérablement ses déplacements. En France par exemple, les forces de l’ordre peuvent infliger une amende de 135 euros en cas d’infraction.
Qu’en est-il de l’Hexagone ?
L’évolution des courbes reflète bien le comportement des Français à la mi-mars, lorsque les appels à la distanciation sociale se sont multipliés, avant que le confinement se mette en place. Ainsi, on observe un pic de + 40 % un peu après le 8 mars dans les magasins alimentaires et les pharmacies, avant l’effondrement de la fréquentation. Vous devez vous en souvenir : c’est le moment où l’on stockait déraisonnablement.
Le troisième graphique retranscrit bien lui aussi l’incertitude sur la possibilité de prendre l’air ou non : des reportages avaient par exemple noté que des parcs restaient un peu trop fréquentés — les images de certains lieux à Paris, comme les Buttes Chaumont ou le canal Saint-Martin, le week-end précédant la mise en place du confinement avaient heurté. Idem sur la possibilité de faire du jogging ou non.
Les quatre autres graphiques concernant la France montrent des courbes plus classiques : les courbes stables et normales avant le 17 mars, date de la mise en place du calfeutrage généralisé, plongent à cette date : cela vaut pour les loisirs et les commerces (ceux-ci ayant été fermés sur décision gouvernementale), les lieux de travail et les transports en commun (faute de n’avoir nulle part où aller).
Seule courbe en hausse, évidemment, celle relatant les mouvements chez soi et dans les zones résidentielles : puisqu’il est demandé à la population de ne pas sortir, sauf pour des motifs valables et impérieux, et, le cas échéant, de ne pas s’éloigner de plus d’un kilomètre, la fréquentation de ces endroits progresse mécaniquement. Et significativement : + 18 % par rapport à l’accoutumée.
Et en Europe et dans le monde ?
Mais ce qui est très intéressant avec les données agrégées de Google, c’est que l’on peut voir l’attitude des passants dans d’autres pays et, du coup, la comparer. Nous avons jeté un œil à cinq autres pays, dont trois européens, et extrait les statistiques pour vérifier si les comportements sont différents de la France. Il s’agit de l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les États-Unis et la Corée du Sud.
Ces cinq pays sont considérés comme représentatifs. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont des États comparables à la France et se trouvent à différents stades de la pandémie. Pour le continent américain, le choix s’est fixé sur les USA, qui sont en train d’entrer dans le dur de l’épidémie. Quant à l’Asie, c’est la Corée du Sud qui est choisie, le pays étant cité comme exemple après avoir été durement touché.
Évidemment, la comparaison de ces cinq pays a des limites. Si Google a homogénéisé les dates (du 16 février au 29 mars), il faut garder en tête que tout le monde n’en est pas au même point devant la pandémie. Des statistiques qui peuvent paraître faiblardes, comme aux USA, peuvent simplement dire que la distanciation sociale débute à peine. Qui sait si dans deux semaines, ces mesures ne vont pas chuter encore plus ?
Catégorie | France | Allemagne | Italie | Espagne | USA | Corée du Sud |
Loisirs | – 88 % | – 77 % | – 94 % | – 94 % | – 47 % | – 19 % |
Alimentation & Soins | – 72 % | – 51 % | – 85 % | – 76 % | – 22 % | + 11 % |
Parcs | – 82 % | – 49 % | – 90 % | – 89 % | – 19 % | + 51 % |
Transports | – 87 % | – 68 % | – 87 % | – 88 % | – 51 % | – 17 % |
Travail | – 56 % | – 39 % | – 63 % | – 64 % | – 38 % | – 12 % |
Résidence | + 18 % | + 11 % | + 24 % | + 22 % | + 12 % | +6 % |
Comment Google a-t-il procédé ?
Une fois passée la lecture de ces différents chiffres, une question jaillira peut-être dans votre esprit : comment se fait-il que Google connaisse la fréquentation de tel ou tel endroit ? L’entreprise américaine utilise en fait la géolocalisation de votre smartphone. Si vous avez activé l’historique des positions, alors vos déplacements ont pu être versés dans ces statistiques globales.
Anticipant les critiques qui vont inévitablement lui être adressées, Google rappelle que l’historique des positions est « est désactivée par défaut ». Ce sont les utilisateurs qui font le choix de s’en servir ou non. Bien sûr, ce réglage peut être coupé à tout moment dans le tableau de bord mis à disposition par l’entreprise. Quant aux données recueillies, elles peuvent être effacées également à tout moment.
Google propose de recueillir les positions des mobinautes pour leur fournir « des plans personnalisés, des recommandations basées sur les endroits où ils sont allés ». Cela sert par exemple à indiquer la fréquentation moyenne des lieux accueillant du public. Ainsi, si vous cherchez un centre commercial sur Google, il vous indique les pics d’affluence selon l’heure et le jour, pour vous aider à vous organiser.
Quid de la vie privée et de l’anonymat ?
Dans le cas de données provenant d’Européens, Google a l’obligation de se conformer au Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui l’oblige à respecter un cadre précis pour la collecte, le traitement et le stockage des données personnelles. Cela inclut la nécessité de recueillir, pour chaque utilisateur, un consentement libre, explicite, spécifique et éclairé, sur cette géolocalisation.
Pour générer ces données, Google déclare n’avoir utilisé que celles des mobinautes qui ont activité l’historique des positions. Ces informations ont ensuite été agrégées et anonymisées dans des ensembles de données. C’est cette même approche que déclare avoir suivi Orange dans le cadre de ses travaux avec l’INSERM : il ne s’agit pas de suivre un individu en particulier, mais d’avoir des tendances globales. D’autres entreprises, comme l’app Transit dédiée aux transports, ont publié leurs statistiques.
Et si Google a la capacité technique de savoir l’identité, la localisation, les contacts ou les déplacements d’une personne unique, l’entreprise assure que ce type d’information ne sera pas rendu public, à aucun moment. Ce serait un désastre pour la firme de Mountain View.
Sur le plan technique, justement, Google dit avoir appliqué le même niveau de sécurité et d’anonymisation qu’il utilise pour ses autres services et produits. S’il n’a pas listé toutes les mesures prises, le groupe californien a cité une méthode à la mode : la confidentialité différentielle. Celle-ci ajoute du « bruit » dans les données, pour avoir des informations utiles en général, mais que l’on ne peut rattacher à une personne.
Quelles suites pour ces rapports ?
Google déclare que ces rapports « ont été élaborés pour être utiles ». Ils demeureront en ligne « pendant une période limitée, tant que les responsables de la santé publique les trouveront utiles dans leur travail pour arrêter la propagation du Covid-19 », poursuit le géant du net. L’entreprise américaine cherche à contribuer à différents niveaux, par des conseils, de l’innovation médicale, ses moyens techniques et sa puissance financière.
Ces informations pourraient éventuellement être reprises par les autorités françaises, qui réfléchissent justement à une « stratégie numérique d’identification des personnes » — qui est encore floue. Le 24 mars, un comité ad hoc a été installé, composé de scientifiques, pour réfléchir sur l’opportunité de connaître l’identité des personnes ayant été en contact avec des malades.
La réflexion d’une stratégie numérique, si elle existe, ne dit de ce qu’elle sera, ni si elle sera mise en place. Plusieurs possibilités existent (messages de prévention géolocalisés, comme le SMS du gouvernement ? Alertes en cas de détection d’un attroupement de personnes, via la géolocalisation des smartphones dans une aire donnée ?) et n’ont pas les mêmes implications sur les libertés.
C’est d’autant plus vrai si les données de santé, qui sont des informations sensibles, sont utilisées. Toutefois, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), note que le RGPD comme le Code de la santé publique prévoient des dispositions assouplies en cas de circonstances exceptionnelles, comme une crise sanitaire. Dès lors, la loi donne de la marge de manoeuvre, mais pour un temps seulement.
Aujourd’hui néanmoins, le gouvernement ne tient pas mettre un traçage fin à la façon de la Corée du Sud ou de Singapour. Cela a été dit le 24 mars par Olivier Véran, le ministre de la Santé, et le 1er avril par Édouard Philippe, le Premier ministre. Ce dernier a d’ailleurs déclaré devant la représentation nationale que l’exécutif n’a pas « d’instrument qui rendrait légal ce tracking » et qu’il ne travaille pas sur un tel outil.
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