L’État, bastion inaccessible pour le logiciel libre ? Pas si sûr : ces dernières années, les administrations s’ouvrent à ces programmes conçus en coopération et dont l’analyse, l’utilisation, la modification et la copie sont autorisées et même encouragées. Cela se voit par exemple du côté de l’Éducation nationale, qui s’appuie sur ces applications pendant cette période de confinement.
Mais cela s’observe aussi avec le travail de la direction interministérielle du numérique (DINUM, ex DINSIC : direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication). Tous les ans, elle met en ligne une nouvelle version de son socle interministériel de logiciels libres (SILL). La nouvelle édition a été annoncée au début du mois de mai.
Ce SILL est un guide à destination des services de l’État pour les accompagner dans le choix des logiciels libres, en fonction des besoins qui s’expriment. S’ils recherchent par exemple un outil pour tenir des webconférences, ils se verront proposer BigBlueButton et Jitsi. Un besoin à combler dans l’enregistrement et l’édition de fichiers sonores ? Le SILL suggère Audacity. Et ainsi de suite.
Ces sélections ne sont pas faites au hasard. Elles reposent sur le retour d’expérience des fonctionnaires qui s’en servent dans leur travail, au sein du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, de l’Académie de Versailles, du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, de l’université de Lille ou encore de Pôle Emploi. Les contributions sont très diverses.
D’ailleurs, dans le plus pur esprit collaboratif propre au logiciel libre, la DINUM se targue de ne pas avoir une approche verticale : le SILL est « actualisé par les groupes de travail et publié par Etalab », explique-t-elle, et est « coconstruit par des communautés d’agents publics informaticiens de l’État ». Elle invite même les agents publics désireux d’apporter leur pierre à l’édifice à se signaler auprès d’elle.
Des nouveautés substantielles en 2020
La mise à jour du SILL en 2020 se démarque toutefois des éditions précédentes par la mise en ligne d’un site web dédié, qui permettra de parcourir le contenu du référentiel beaucoup plus facilement qu’autrefois. Il était temps ! Avant, la DINUM diffusait le SILL dans un document PDF, sous la forme d’un vaste tableau. Quoique facile à comprendre, sa prise en main n’était pas idéale.
Autre changement notable, le socle interministériel de logiciels libres ne sera plus mis à jour une fois par an. À l’avenir, il sera actualisé en continu. Il faudra donc revenir de temps à autre pour chercher de nouvelles entrées et vérifier si tel ou tel logiciel libre a acquis le statut d’outil recommandé ou s’il est toujours en cours d’observation — les deux états que peut prendre un logiciel libre dans le SILL.
Pour cette nouvelle édition, la DINUM annonce le référencement de 190 logiciels, soit une hausse de 34 programmes par rapport à l’an passé. Les trois quarts (144) ont décroché le statut d’application recommandée. Les 46 autres sont en observation.
Parmi les changements qui sont évoqués figure par exemple PeerTube, qui est une sorte de YouTube décentralisé. Le kit de développement (SDK) de Géoportail, pour produire une carte dynamique avec les données du portail cartographique, est aussi inclus, tout comme OpenShot, un logiciel libre de montage vidéo. On trouve aussi Zimbra, un outil de webmail, même si ses jours sont comptés (sa future version ne sera plus libre).
L’usage des logiciels libres a fait l’objet en 2018 d’un commentaire favorable de la Cour des comptes. Ainsi, l’institution relève qu’ils « [étendent] la portée des mutualisations au-delà de la seule sphère de l’État » et permettent de « s’assurer des actions réalisées par le logiciel, se protéger contre les fonctions indésirables et éventuellement le modifier en fonction des usages identifiés ». C’est en outre un moyen pour « amplifier la modernisation numérique de l’État » et un atout pour la souveraineté numérique.
Le SILL est né en 2012 avec la circulaire Ayrault qui fixe des orientations et des conseils sur l’usage du logiciel libre, quand il a été constaté d’une part « une longue pratique de son usage », « le développement de compétences » et l’accumulation « de nombreuses expériences positives » dans l’administration, et d’autre part ses avantages (moindre coût, souplesse d’utilisation, levier de discussion avec les éditeurs).
Cette tendance a été accentuée en 2016 avec la loi pour une République numérique. Dans son article 16, il est demandé aux administrations qu’elles « encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information ». Cependant, ces incitations ne doivent pas aboutir systématiquement à écarter les logiciels propriétaires.
Comme le rappelle la DINUM, « l’approche de l’État privilégie l’efficacité globale, en dehors de tout dogmatisme, pour lui permettre de choisir entre les différentes solutions, libres, éditeurs ou mixtes ». Si une solution propriétaire s’avère plus pertinente, alors c’est vers elle que les administrations devraient se tourner. Du moins, jusqu’à ce qu’une alternative libre soit repérée.
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