Cédric O en est persuadé : l’application StopCovid servira à lutter contre le coronavirus lorsqu’elle sera disponible, en principe au début du mois de juin. « Chaque téléchargement [sera] une chance de plus d’éviter le redémarrage de l’épidémie », confiait-il au Journal du dimanche, le 25 avril dernier. Dès lors, n’est-il pas sous-entendu que s’opposer frontalement à ce projet ferait, en fin de compte, le jeu de la maladie ?
En réalité, l’efficacité de ce genre d’application ne se constate pas vraiment sur le terrain. Le caractère volontaire de l’application constitue de fait une limite à l’adoption.
En Asie par exemple, il a été constaté début avril qu’un habitant sur six a téléchargé l’application locale pister les personnes infectées. C’est loin du seuil visé par le gouvernement, qui vise 75 % de la population, mais c’est quand même beaucoup. Le Premier ministre a bien rappelé que l’application doit être utilisée par tout le monde, mais de toute évidence sans succès au regard du changement de stratégie de la cité-État change, qui durcit sa politique.
Pas d’efficacité significative en Europe
Plus près de nous, l’engouement du public peine à se constater. Mi-avril, la République tchèque a lancé une application semblable à StopCovid, mais peine à convaincre sa population. Au bout d’une semaine, elle ne comptait que 100 000 utilisateurs, soit moins de 1 % de la population. Et trois semaines plus tard, selon ce site d’actualité local, la base n’est que de 180 000, en date du 7 mai.
Ailleurs en Europe, d’autres retours commencent à être collectés et ils ne plaident pas en faveur de ces applications. En Autriche par exemple, une application de suivi des contacts a été lancée fin mars, mais n’a été téléchargée que 500 000 fois, ce qui représente un peu moins de 6 % des 8,8 millions d’habitants du pays. Interrogé par Le Monde, un médecin le dit sans ambages : « elle ne nous sert à rien ». Il estime qu’un traçage artisanal, avec des moyens humains, fait tout aussi bien.
D’autant qu’un téléchargement depuis une plateforme applicative, que ce soit Google Play ou l’App Store, ne signifie pas que l’application est effectivement utilisée ensuite.
L’exemple de l’Islande est sans doute encore plus frappant, puisque l’application locale a été adoptée beaucoup plus massivement — environ 40 % des 360 000 habitants l’utilisent effectivement. Or, rapporte le magazine du MIT Technology Review, l’application appelée Rakning n’a pas été d’une aide notable. Si elle n’a pas été complètement inutile, parce qu’elle a été utilisée en complètement d’un pistage classique, elle n’a pas non plus changé la donne.
« Je ne dirais pas qu’elle est inutile », a déclaré un inspecteur chargé de superviser les efforts de recherche des contacts. « Mais c’est l’intégration des deux [le suivi artisanal et l’application, ndlr] qui donne des résultats. Je dirais que Rakning s’est avérée utile dans quelques cas, mais cela n’a pas changé la donne pour nous. Je dis très clairement à tout le monde que la recherche manuelle n’est pas moins importante ».
L’importance du suivi des contacts par des enquêtes de terrain ou à l’occasion de coups de téléphone avait été rappelée par le directeur technique de l’application de Singapour : « Si vous me demandez si un système de recherche des contacts par Bluetooth déployé ou en cours de développement, où que ce soit dans le monde, est prêt à remplacer la recherche manuelle des contacts, je répondrais sans réserve que la réponse est non. Ni maintenant et, même avec l’avantage de l’IA et l’apprentissage automatique et — Dieu nous en préserve — de la blockchain (ou toute autre technologie à la mode que vous voulez), ni dans un avenir prévisible ».
« Toute tentative de croire le contraire est un exercice d’hubris et de triomphalisme technologique. Des vies sont en jeu. Les faux positifs et les faux négatifs ont des conséquences sur la vie réelle (et la mort). Nous utilisons TraceTogether pour compléter la recherche des contacts — et non pour la remplacer », ajoutait-il dans une publication sur Medium, en insistant sur le travail humain pour qualifier l’environnement, ce que ne peut pas faire une application.
« Toute tentative de croire le contraire est un exercice d’hubris et de triomphalisme technologique »
De quoi remettre en cause le projet StopCovid en France ? En l’état actuel des choses, ce n’est pas ce qui est au programme : les tests ont commencé le 11 mai, avec des situations réelles simulées pour voir si tout tourne correctement, et l’application doit faire ses premiers pas début juin si son utilisation est votée par le Parlement. Le code source doit également être publié dans les jours à venir (pour l’instant, seuls des fichiers sans intérêt ont été partagés).
D’autant que selon Cédric O, ce n’est grave même si une fraction réduite des Français et des Françaises se sert de l’application. « Ce que disent les épidémiologistes, c’est qu’il n’y a pas de seuil minimum de téléchargements nécessaire pour que cette application soit utile. Parce qu’elle vient pallier les limites des enquêtes sanitaires », ajoutait-il au JDD, en citant le cas des bus où l’on ne sait pas qui l’on croise.
Quant aux personnes qui n’ont pas de smartphone (près 25 % de la population n’en a pas) ou qui sont éloignées du numérique, en raison de leur âge, de leur handicap ou de leur niveau social (elles sont estimées à 13 millions en France), Cédric O a la parade : « Le cœur du dispositif, ce sont les enquêtes sanitaires traditionnelles qui touchent tout le monde. L’application ne vient qu’en complément.»
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Marre des réseaux sociaux ? Rejoignez-nous sur WhatsApp !