Ce n’est pas encore le monde d’après pour les bibliothèques numériques. Alors qu’en Italie, le projet Gunterberg dédié aux ouvrages du domaine public est l’objet d’une décision de blocage judiciaire, aux États-Unis c’est la « bibliothèque d’urgence » lancée par Internet Archive qui se voit contrainte de fermer ses portes, beaucoup plus tôt que prévu, sous la pression des géants de l’édition américains.
Il s’agit d’une organisation qui s’est mise en tête d’archiver la mémoire du web, en conservant des captures d’écran de sites et de pages, afin de pouvoir se replonger dans un passé numérique parfois révolu. L’initiative s’est propagée à d’autres secteurs, comme les jeux vidéo, les films ou encore les livres.
Cette initiative virtuelle a été lancée en plein confinement pour permettre aux internautes, essentiellement américains, de continuer à accéder à des ouvrages numériques, alors que les bibliothèques classiques, elles, fermaient leurs portes pour éviter de devenir des foyers de contamination. Après inscription, c’est à un vaste catalogue de plusieurs millions de livres numériques auquel on accède.
Au lieu de fermer le 30 juin, comme cela était envisagé au départ, la plateforme cessera ses activités le 16 juin, avec deux semaines d’avance.
Consciente du caractère sensible de son initiative auprès des ayants droit, Internet Archive avait imaginé un système de prêt numérique sous contrôle. Comme l’explique le New York Times, pas moins de 1,3 million d’ouvrages étaient disponibles, mais avec une limite d’un emprunteur à la fois par ouvrage, sur une période de deux semaines. Ce n’est qu’après ce délai qu’un autre internaute pouvait y accéder.
Il s’agissait de cette façon d’éviter de prêter le flanc à la critique inévitable de piratage du droit d’auteur, en reproduisant dans la sphère numérique une pratique du monde réel — même s’il peut sembler aberrant de chercher à instituer de la rareté artificielle à une ressource qui par nature peut être dupliquée et partagée à l’infini, sans devoir organiser des files d’attente pour y accéder.
Il s’avère cependant qu’au cours du mois de mars, alors que la crise sanitaire connaissait une accélération en Occident, Internet Archive a déclaré son intention de lever toutes les restrictions sur les prêts de livres jusqu’à la fin de l’urgence. Cette évolution dans les règles de la bibliothèque numérique a vraisemblablement joué un rôle dans l’appréciation des faits par les éditeurs.
Ainsi, les gros éditeurs que sont Hachette Book Group, HarperCollins Publishers, John Wiley & Sons et Penguin Random Hous ont déposé plainte le 1er juin devant une juridiction américaine. À leurs yeux, cette bibliothèque numérique ne permet rien d’autre qu’une « violation massive et délibérée du droit d’auteur ». La plainte à l’encontre d’Internet Archive était donc inévitable.
Les risques judiciaires sont beaucoup trop élevés et ses autres missions trop importantes pour qu’Internet Archive prenne un quelconque risque. La plateforme pourrait en effet se voir condamner à hauteur de 150 000 dollars par infraction constatée, note Engadget. La somme serait astronomique si elle était multipliée par le nombre d’ouvrages en jeu : plus de 1,3 million.
Fausse route des éditeurs, selon Internet Archive
Mais si la bibliothèque numérique d’urgence tire sa révérence, Internet Archive profite de cette séquence pour décocher quelques flèches à l’égard des maisons d’édition.
« La plainte attaque le concept même d’une bibliothèque possédant et prêtant des livres numériques, remettant en cause l’idée même de ce qu’est une bibliothèque dans le monde numérique », écrit l’organisation le 10 juin. « Le prêt numérique contrôlé dispose d’un cadre juridique », poursuit-elle, avant de rappeler que les ouvrages en cause bénéficient des mêmes dispositifs techniques de protection (DRM).
Internet Archive assure par ailleurs que son projet a rendu grand service, en évoquant des centaines de récits venant de libraires, d’auteurs, de parents, d’étudiants et de professeurs qui ont pu profiter de cette bibliothèque numérique alors que toutes ayant pignon sur rue étaient fermées ou bien évitées en ces temps de pandémie générale. En somme, le site « a comblé un vide important pendant la crise », assure-t-elle.
Internet Archive espère que du positif jaillira de cette séquence. « Nous sommes maintenant tous reliés à Internet et inondés de désinformation — pour lutter contre ce phénomène, nous avons plus que jamais besoin d’un accès aux livres. Pour cela, il nous faut la coopération des bibliothèques, des auteurs, des libraires et des éditeurs. Bâtissons un système numérique qui fonctionne ».
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