Non, vous ne rêvez pas, le titre n’est pas inversé. Après avoir été cordialement invité à se présenter devant les juges fédéraux américains par les industriels du divertissement, c’est Sharman Networks (KaZaA) lui même qui fait la politesse aux majors du disque et de la cinématographie en les priant de répondre à une plainte pour abus de leur droit de propriété intellectuelle.

Les choses sont un peu complexes juridiquement, mais nous allons essayer de les simplifier au mieux pour rendre l’affaire intelligible :

Dans une société, la loi confère à chacun un ensemble de droits et d’obligations. En théorie, il n’est pas possible d’abuser d’un droit, et ce particulièrement en droit de la propriété. Ce qui est à soi est à soi, nul ne peut le contester, et la défense de sa propriété est libre. C’est ce qu’on appelle la propriété absolue.
Mais depuis bien longtemps maintenant, il s’est avéré parfois utile de freiner les ardeurs de certains propriétaires, qui semblaient abuser de leur droit.

L’idée de Sharman Networks dans sa plainte déposée lundi, est de dire que les majors de l’industrie du disque et du cinéma abusent de leurs droits de propriété intellectuelle. Là encore, il est important sans doute de préciser que l’on parle d’abus de droit lorsque le droit n’est mis en œuvre que dans le but exclusif de nuire à autrui, ici, à Sharman Networks.

L’éditeur de KaZaA cherche à faire entendre que son logiciel de P2P qui est actuellement le plus populaire et sans conteste celui qui fait transiter le plus de fichiers illégaux, n’est pas en soi illégal. Il y voit même de nombreuses applications légales, appuyées par son partenaire AltNet qui propose par exemple des téléchargements licites d’œuvres protégées sur le réseau.

Or selon Sharman, la RIAA et d’autres associations du secteur du divertissement auraient toujours refusé d’ouvrir leur catalogue à KaZaA pour une diffusion légale et protégée de leurs œuvres, et auraient régulièrement fait pression pour qu’aucun label n’accepte de marché avec le plus grand réseau de pirates du monde. Dans le même temps, les majors se sont mises d’accords pour ouvrir des plateformes légales comme Pressplay ou Musicnet.

Ainsi pour en revenir à nos considérations juridiques, Sharman Networks demande au juge de constater que les majors abusent de leurs droits d’auteur, ceci en violation de la loi antitrust américaine. Il y aurait une entente tacite entre elles pour laisser le marché en ligne parfaitement fermé à d’éventuels nouveaux concurrents.

Quelles chances de succès ?

Cet argument n’est pas totalement nouveau, puisqu’il avait déjà été soulevé durant le procès qui opposait l’industrie du disque à Napster, mais l’affaire s’est éteinte avant que l’enquête n’aboutisse sur ce point. Le ministère américain de la Justice a cependant commencé sa propre enquête antitrust en 2001, pour laquelle nous attendons toujours les résultats…

Les chances de succès pour Sharman sont toutefois bien minces. Listen.com, qui édite le système Rhapsody, a montré qu’il était possible d’obtenir une grande part du catalogue des majors pour le diffuser légalement sur Internet (le cas est ceci dit différent puisque Rhapsody fonctionne en streaming et non en P2P). Mais surtout, il paraît bien difficile de concevoir qu’il y a véritablement abus de droit dans cette affaire. Comme nous l’avons vu, l’abus de droit n’existe que si le droit est exercé dans le but exclusif (à tout autre) de nuire à autrui. Or sans doute, avant de nuire à une concurrence potentielle, les majors cherchent-elles en premier lieu à protéger leurs droits violés continuellement sur KaZaA…

Cette question ne sera probablement résolue qu’en déterminant la part de responsabilité de KaZaA dans les contenus échangés, ce qui finalement revient toujours au même problème dont la solution est attendue de toute part avec grande impatience…

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