Réponse courte : non.
Réponse longue : non, vraiment pas.
Plus exactement, si vous avez l’intention d’acheter un smartphone qui supporte la 5G, le motif qui doit emporter votre décision doit être tout autre: ses performances, la qualité de son écran, son autonomie ou même la sympathie que vous avez pour la marque. En fait, sa compatibilité avec l’ultra haut débit mobile ne devrait occuper qu’une place mineure dans votre grille de critères, en tout cas à court terme.
Et il y a plusieurs raisons à cela.
Un réseau 5G en France quasi inexistant
D’abord, la 5G est presque inexistante en France.
Le seul opérateur de téléphonie mobile qui a aujourd’hui, en date du 27 novembre, un réseau commercial actif est SFR. Et encore, il ne couvre qu’une partie de Nice et quelques communes aux alentours. Bouygues Telecom, Orange et Free Mobile ne se sont pas encore lancés dans l’ultra haut débit mobile. Les deux premiers comptent toutefois s’y mettre les 1er et 3 décembre, respectivement.
Bien entendu, cela va s’améliorer au fil du temps. Rien que d’ici fin 2020, ce sont quelques dizaines de villes qui vont être couvertes en 5G. Orange affirme qu’il pourra desservir plus de 160 communes avant 2021 — pour cela, l’opérateur compte sur la portée des ondes, en arrosant les territoires limitrophes aux grandes villes qu’il cible en priorité, comme Angers, Clermont-Ferrand, Le Mans, Marseille et Nice.
Si les opérateurs sont sortis du processus d’attribution des fréquences 5G, en échange de 2,8 milliards d’euros à payer à l’État pour emprunter de nouvelles portions du spectre électromagnétique, il leur faut aussi composer avec la possible réticence de maires à l’idée de voir la 5G débarquer sur leur territoire. S’ils n’ont pas les moyens de s’y opposer, ils sont toutefois incités à ne pas passer en force.
C’est pour cela par exemple que le déploiement à Paris va prendre un peu plus de temps que prévu, afin de laisser se dérouler une conférence citoyenne sur le sujet.
Les infrastructures capables de faire circuler les communications en 5G sont encore trop rares dans la métropole (et on ne parle même pas de l’outre-mer, qui en est à peine à un stade exploratoire). Certes, les smartphones 5G sont là, les forfaits existent et les réseaux sont progressivement allumés. Mais la couverture de la population comme du territoire est encore dérisoire.
Autrement dit, il y a un monde entre le coup d’envoi officiel pour utiliser les fréquences de la 5G (qui a eu lieu le 18 novembre) et le jour où vous vous trouverez dans une zone qui est effectivement desservie en 5G par contre opérateur. À moins bien sûr que vous ayez tiré le gros lot parce que vous vivez par hasard dans le quartier de la ville qui a été retenue pour rejoindre la première vague de déploiement. Et que vous ayez en votre possession un mobile et un forfait compatibles.
On pourrait certes objecter que l’achat d’un smartphone 5G smartphone maintenant est un investissement pour plus tard, pour être prêt le jour où la couverture de la population et du territoire sera suffisante. Il est vrai que les opérateurs ont l’obligation de déployer 3 000 sites 5G chacun en 2022, 8 000 en 2024 et 10 500 sites 5G en 2025 — peut-être même dépasseront-ils ces objectifs.
Ces nombres semblent spectaculaires, mais ils sont à mettre en perspective : à titre de comparaison, les opérateurs ont érigé entre 14 000 et 20 000 sites 4G chacun, et malgré ça, la couverture n’est pas parfaite, alors que cette génération est en chantier depuis une dizaine d’années. Les réseaux seront embryonnaires et leur couverture réelle sera limitée les premiers mois.
Par ailleurs, les échéances manquées ne sont pas inhabituelles dans les télécoms: cela s’est produit à diverses occasions, qu’il s’agisse du plan très haut débit ou de la résorption des zones blanches en 2G et 3G. En ce qui concerne la 4G, fin définitive des zones blanches n’est pas attendue avant 2022. Il n’y a pas de raison pour que la 5G y échappe, même cernée d’obligations : tout ira plus lentement que prévu.
De plus, l’idée d’un investissement pour après ignore que le cycle de renouvellement d’un smartphone tourne autour de 3 à 4 ans pour un mobinaute lambda.
Celui-ci risque donc de se retrouver à changer son smartphone 5G qui ne lui a pas servi à faire de la 5G pour, on l’imagine, un autre smartphone 5G — il n’y aura sans doute plus que ça sur le marché — au moment où, justement, la 5G atteindra un seuil de couverture intéressant. On a connu plus futé comme achat, surtout si un modèle 4G équivalent est moins cher aujourd’hui.
Accès à « une seule 5G » au début
Et même dans le cas de figure où toutes les planètes sont bien alignées, avec par exemple l’accès à l’ultra haut débit mobile à votre domicile et à votre travail en fin d’année, ce n’est en fait qu’à « une » 5G que vous aurez droit. Certes, elle offrira des performances supérieures à la 4G, mais le saut qualitatif ne sera pas si important, parce que cette 5G ne reflétera pas le plein potentiel de cette nouvelle génération. La raison ? Il existe en fait « des » 5G, qui sont associées à différentes bandes de fréquences. Or toutes ces portions du spectre électromagnétique ne seront pas mobilisées dès 2020.
Celle qui va être utilisée en priorité se trouve dans la tranche allant de 3 400 à 3 800 MHz (elle est communément appelée bande 3,5 GHz). Cette bande offre, selon la description faite par le régulateur des télécoms, un bon équilibre entre le débit, la portée et la couverture en intérieur. Mais pour un réel bond en avant en termes de débit ou bien pour accroître la portée et la couverture en intérieur, il faudra faire appel à deux autres bandes de fréquences.
Ces deux autres bandes se trouvent dans le segment des 700 MHz (celle-ci sert à la 4G, et avant à la télévision numérique terrestre) et dans la tranche des 26 GHz. La première est efficace pour la portée et la couverture — on la surnomme fréquences en or pour cela. La seconde donne accès accès à d’excellents débits, que l’on dit proche de la fibre optique. Or, l’attribution et la mise en œuvre de ces deux bandes pour la 5G ne sont pas prévues à très court terme en France. La bande 26 Ghz arrivera d’ailleurs avec son lot de polémiques, fondées ou non, puisqu’elle implique une multiplication de petites antennes de proximité.
En clair, la « vraie » 5G, celle que l’on dit révolutionnaire, qui doit faire basculer la France dans la société du gigabit, mettra du temps à arriver. Car il faudra attribuer toutes ces fréquences, sortir des smartphones compatibles, déployer les infrastructures adéquates sur le territoire, agréger toutes ces bandes entre elles. Dans ces conditions, l’achat à court terme d’un smartphone 5G apparaît encore moins censé, d’autant que la 4G bénéficie de temps à autre d’améliorations, avec des débits qui progressent.
Un intérêt surtout industriel
Enfin, dernière réalité à prendre en compte : la 5G est surtout une technologie qui aura une utilité industrielle. Certes, elle profitera aussi au grand public, qui accédera à plus de débit, ce qui sera pratique pour de la vidéo en très haute définition (4K) en mobilité ou pour servir d’alternative à la fibre optique, notamment dans les zones les moins densément peuplées, là où les raccordements trainent pour des raisons économiques. Mais ce n’est pas dans ce segment que résident les plus grands enjeux.
C’est ce qu’expliquait notamment le régulateur des télécoms en 2017, en listant plusieurs domaines dans lesquels l’ultra haut débit mobile sera pertinent et changera la donne : les véhicules connectés (y compris pour la sécurité et la communication entre véhicules), les infrastructures, les villes « intelligentes », les transports publics, la production industrielle, la gestion de réseaux d’eau et d’électricité, la consommation énergétique, la télémédecine, la chirurgie, la gestion des bâtiments.
Et c’est peut-être là tout le paradoxe de la 5G : le public tirera peut-être plus avantage des atouts la 5G par une utilisation indirecte, à travers des applications industrielles, urbaines ou médicales, qu’en ayant en main smartphone capable de se connecter à un réseau 5G. Même dans plusieurs années.
(Sujet mis à jour pour tenir compte de la fin du processus d’attribution des fréquences 5G en France et des dates de lancement des réseaux 5G par les opérateurs)
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