Depuis que le cloud gaming est devenu un sujet pour les géants de l’industrie, les yeux se tournent vers Apple. D’une part, parce que la firme de Cupertino n’a pas proposé sa déclinaison de Netflix du jeu vidéo, préférant un simple abonnement pour télécharger des jeux exécutés sur les smartphones (Apple Arcade). D’autre part, parce que son contrôle de l’App Store l’autorise à ne pas laisser ses concurrents proposer leurs solutions aux joueuses et aux joueurs. Un sujet qui a été longtemps sous-entendu, avant d’éclater au grand jour le 6 août par une déclaration d’Apple à Business Insider, qui confirme qu’il ne laissera pas des services de cloud gaming sur son App Store.
Résultat, Google Stadia, Microsoft Game Pass, Nvidia GeForce Now et Facebook Gaming ne sortiront pas sur iOS — ou alors, dans une version tronquée. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut détailler les raisons et les mécanismes économiques à l’œuvre.
Le paragraphe 4.7 de la discorde
Pour Apple, le sujet est finalement assez simple à comprendre et repose sur le paragraphe 4.7 des lignes directrices que les développeurs doivent suivre pour proposer des applications dans l’App Store. On y apprend qu’une « app peut contenir du code qui est exécuté ailleurs (comme des jeux en HTML 5), à la condition que l’exécution de ce code ne soit pas l’objectif de l’application, qu’il ne soit pas proposé dans un magasin d’applications et qu’il soit gratuit ou achetable avec un paiement in-app ».
Si l’on prend Stadia ou xCloud, on comprend très exactement pourquoi ils sont refusés en lisant ces lignes. Stadia n’a pour seul objectif que d’exécuter du code tiers non contenu dans l’app et vend ses jeux dans une interface qui ressemble à un magasin d’application. En clair, on pourrait presque fermer la discussion ici : Apple a fait des règles pour son Store, comme Microsoft en a pour ses consoles de jeu ou Google pour Android, et quiconque souhaite utiliser l’App Store doit y adhérer. Le point 4.7 n’est pas nouveau et Google, Facebook et Microsoft ont consenti à le respecter.
De même, sa formulation montre bien qu’Apple n’est pas contre tout cloud computing, accès à distance à des services ou virtualisation. Shadow, qui permet de lancer un PC dans le cloud, a toute légitimité, même si l’on voit où il pourrait toucher les limites de la tolérance d’Apple : une fois connecté sur un Shadow, on se retrouve sur Windows et l’on peut ouvrir Steam… et acheter un jeu pour y jouer.
À Business Insider, Apple explique que « les applications doivent toutes respecter les mêmes lignes directrices qui sont conçues pour protéger les utilisateurs ». Avant de poursuivre : « Des services de jeu peuvent tout à fait se lancer sur l’App Store, du moment où ils respectent les règles imposées à tous les développeurs, ce qui inclut une vérification de chaque jeu publié, qui doit aussi apparaître dans les top et dans les résultats de la recherche ». Les deux dernières lignes confirment en creux que le cloud gaming n’a pas droit de cité : on imagine peu Rockstar Games faire valider son Red Dead Redemption à Apple pour qu’il puisse figurer dans une expérience qui ne ressemble pas à un store proposée par Microsoft.
Sur le papier, l’affaire est réglée avec un rappel à la Loi Apple : c’est une histoire que de juger si ces guidelines sont justes. Mais dans les faits, les choses se compliquent.
Les contre-arguments du cloud gaming
L’un des principaux contre argument se conçoit facilement : Netflix. Certes, Netflix n’enfreint aucune règle de l’App Store, puisque le géant de la SVoD n’a pas pour seul projet d’exécuter du code tiers et de le vendre sous la forme d’un catalogue. Mais si l’on remplace code par contenu, Netflix est tout autant fautif : il propose un catalogue de films et de séries non disponibles sur l’App Store, sous la forme d’un magasin, et sans aucun contrôle d’Apple. Si l’on prenait l’essence de la loi plutôt que sa simple expression, Netflix et le Game Pass de Microsoft sont strictement la même chose. Mais voilà, l’un a fait son business avec des contenus multimédias, l’autre avec des jeux vidéo. Et dans l’univers Apple, l’un a le droit d’exister, l’autre non.
Agacé de ne pas réussir à ramener Apple à la raison sur ce blocage qui lui semble absurde, Microsoft a annoncé abandonner l’idée de sortir le projet xCloud associé au Game Pass sur iOS. Facebook, de son côté, a sorti la carte de l’ironie : son service de jeux vidéo sort sur iOS sans jeux vidéo. Les utilisateurs d’iPhone et d’iPad ne pourront que regarder des vidéos en streaming d’autres personnes jouant sur Android.
Les éditeurs du cloud gaming sont d’autant plus agacés qu’Apple est l’unique pourvoyeur de services sur iOS. Android autorise dans une certaine mesure l’installation de magasins alternatifs, même si Google incite à passer par sa plateforme Play Store et prend, comme Apple, une commission sur les transactions. Cette bataille du cloud gaming se joue enfin dans un contexte où la position dominante des éditeurs de logiciels est scrutée partout dans le monde et où Apple est en première ligne.
Même si ses récents audits montrent qu’il n’est pas plus ni moins fautif que le divertissement capitaliste dans sa globalité : après tout, comme le rappelle Factornews, Microsoft est aussi maître en sa demeure quand il s’agit des consoles de salon. On imagine mal la prochaine Xbox accueillir Google Stadia, alors qu’elle accueillera sans nul doute Netflix. C’est cette ligne de défense qu’Apple adopte lors des auditions : nous ne sommes pas pires que les autres.
Que faut-il penser de tout cela ?
Eh bien ce que vous voulez.
Si vous êtes plutôt légaliste, la position d’Apple se tient et tant pis pour le cloud gaming — peut-être qu’un jour viendra où Apple trouvera l’idée attrayante et fera son propre service et les utilisateurs Apple auront la version Apple d’un concept qui existait avant. Comme cela arrive souvent.
Si en revanche vous pensez que des règles ne devraient pas freiner une opportunité de faire émerger un secteur alors vous pourrez croire que le point 4.7 n’a pas lieu d’être — il est utilisé pour freiner toute une industrie sans qu’Apple n’ait une véritable bonne raison de le faire. Si ce n’est, bien entendu, la perte d’une commission sur toutes les transactions réalisées sur ces plateformes tierces, qui est peut-être, in fine, la vraie raison du refus catégorique d’Apple. Car une fois cette liberté accordée au cloud gaming, qu’est-ce qui s’opposerait au lancement de magasins d’applications, jeux et services alternatifs à l’App Store ?
Vraisemblablement, l’entreprise Cupertino de bougera pas avant d’avoir trouvé le moyen de profiter aussi de cette nouvelle forme d’accès au jeu vidéo, sans prendre le risque de saboter son modèle d’affaires numérique. Pour l’heure, une personne souhaitant profiter du cloud gaming devra se tourner vers Android — Samsung souhaite par exemple faire de son Note 20 le porte-étendard des services de Microsoft.
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