C’était un coup audacieux dans l’histoire de l’informatique mobile : alors qu’Apple et Google ont depuis toujours imposé aux développeurs d’applications et de jeux une commission pour leurs ventes réalisées dans l’App Store et le Google Play, Epic Games a brisé cette règle. Le développeur du mastodonte Fortnite a proposé le 13 août une modification de son application qui permettait aux joueuses et joueurs de payer des goodies et abonnements moins cher s’ils ne passaient pas par le paiement in-app d’Apple ou de Google.
Il n’aura fallu que quelques heures pour qu’Apple réagisse : le jeu Fortnite a disparu de l’App Store, sur iPhone et iPad, d’après nos constatations. Mais si Apple a mordu à l’hameçon, faisant respecter ses règles imposées à tous les développeurs, Epic Games a doublé son premier coup d’une action en justice et d’une campagne de communication. À 22h, heure française, le développeur a dévoilé une parodie de la fameuse publicité 1984 d’Apple, qui prônait l’émancipation.
« Epic Games a défié le monopole d’Apple. En retour, Apple bloque Fortnite pour un milliard d’appareils. Rejoignez la lutte pour que 2020 ne devienne pas 1984 », peut-on lire à la fin de la parodie. Que les enjeux du chef d’œuvre d’Orwell soient résumés à la disponibilité d’un jeu vidéo sur un smartphone fera lever quelques sourcils circonspects, mais qu’importe, Epic a déjà gagné la bataille de l’image : en quelques minutes, son hashtag est en tendance sur Twitter.
D’après plusieurs vidéos, Fortnite fonctionne toujours si vous l’avez déjà téléchargé, tout comme les microtransactions : pour bloquer Epic sur ce terrain, Apple devrait clôturer le compte du développeur, ce qui n’est pas (encore) le cas.
Google a suivi le mouvement et banni Fortnite d’Android.
Communication et justice
https://twitter.com/FortniteGame/status/1293984290326433792
Dans un tweet, le compte officiel en anglais de Fortnite a également publié une réponse légale à Apple juste après la suppression de Fortnite de l’App Store, portant l’affaire devant la justice au titre des pratiques anticoncurrentielles. Le document, copieux, a très vraisemblablement été rédigé bien avant cette opération et la provocation d’Epic Games un peu plus tôt dans la journée du 13 août n’était qu’un piège qui attendait les responsables de l’App Store.
On comprend assez simplement la stratégie d’Epic Games, dont le fondateur a toujours très virulent sur les taxes imposées par les magasins d’applications. S’ils ne publiaient pas Fortnite sur l’App Store, ils auraient été mal considérés par les joueurs. Mais s’ils publient Fortnite en enfreignant la loi des magasins et qu’ils se font bannir, l’opinion publique est renversée : c’est Apple et Google qui seront blâmés par les joueuses et les joueurs. En plus de gagner une position de victime dans une affaire de censure, Epic Games double sa communication d’une stratégie légale. Objectif : obtenir la levée de l’interdiction de Fortnite, ce qui créerait une jurisprudence historique.
Car c’est toute la question derrière les protestations de nombreux développeurs et studios aujourd’hui, entendus par les autorités qui scrutent Apple et Google pour des pratiques anticoncurrentielles : peut-on considérer que les smartphones sont des espaces de libre concurrence quand les éditeurs des stores qui prélèvent des commissions sont aussi des concurrents par ailleurs ? À cette question, Apple et Google répondent toujours que ce prélèvement sur les transactions comprend la mise en relation avec des acheteurs, qui n’existeraient pas sans leurs magasins virtuels et leurs écosystèmes, mais aussi une sécurisation des transactions et des opportunités pour diffuser des œuvres numériques. Sans compter la modération des applications.
Plus tôt dans le mois d’août, une affaire similaire a éclaté entre les éditeurs de cloud gaming et Apple.
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