À côté de Tesla ou SpaceX, Elon Musk a lancé la start-up Neuralink. Le but : créer une interface entre les humains et les machines. Mais pour l’instant, il n’y a rien de révolutionnaire dans ce que présente l’entrepreneur.

« C’est un peu plus compliqué que cela, mais c’est comme une Fitbit dans votre crâne avec des câbles très fins », a illustré Elon Musk, faisant référence aux montres connectées capables de suivre votre santé. Pendant cette présentation, vendredi 28 août 2020, le célèbre entrepreneur a donné des nouvelles de Neuralink. Depuis la création de la startup, en 2017, son objectif est clair : être à l’avant-garde des interfaces humain-machine, en mettant au point un neural lace (une dentelle neurale, en bon français). Le prototype actuel (Link V0.9) prend la forme d’une puce connectée de 23 mm de largeur sur 8 mm d’épaisseur. Elle contient un millier de microcâbles, et se recharge par induction, à distance.

Au cœur de cette présentation : trois truies. Il y a d’abord Joyce, qui n’a pas d’implant. Elle intervient en tant qu’exemple d’un cochon « normal », comme point de comparaison. Ensuite, on a Gertrude : celle-ci a un prototype de l’implant dans son corps depuis deux mois. Pendant qu’elle cherchait de la nourriture, son activité cérébrale était retranscrite sur un écran, où l’on pouvait voir les signaux évoluer en fonction de son comportement — et l’IA pouvait prédire certains de ses mouvements. Enfin, il reste Dorothy, dont l’implant a été retiré récemment : « Ce que Dorothy illustre, c’est que vous pouvez mettre Neuralink, le retirer, et être en bonne santé, heureux et indifférenciable d’un porc normal. »

Il semblait assez important pour Elon Musk de montrer que le projet dispose d’un aspect réversible. Il a également insisté sur la légèreté de l’opération : d’après lui, il n’y aurait pas besoin de passer à l’hôpital ni de faire une anesthésie générale, tout serait réalisé en moins d’une heure par un robot chirurgical spécifique à Neuralink.

La chirurgie pour insérer la puce de Neuralink se veut peu invasive, d'après les descriptions fournies par Elon Musk. // Source : Neuralink

La chirurgie pour insérer la puce de Neuralink se veut peu invasive, d'après les descriptions fournies par Elon Musk.

Source : Neuralink

Si Elon Musk est un roi de la communication, certaines de ses entreprises sont véritablement à l’avant-garde dans leur domaine — Tesla et SpaceX sont deux exemples. Mais est-ce bien le cas ici ? Quelle est la portée actuelle de Neuralink ? Décryptage.

Quelle est l’utilité médicale ?

Neuralink se présente comme un projet médical en premier lieu, pour favoriser la guérison de tout ce qui est d’origine neurologique : Alzheimer, troubles de la parole, paralysies dues à des lésions de nerfs. Les premiers essais cliniques humains devraient par exemple avoir lieu sur des personnes paralysées à cause d’une lésion de la moelle épinière. Pour résoudre ce type de blessures, la startup planche sur une deuxième puce, qui sera quant à elle implantée directement sur la colonne vertébrale. La communication machine → première puce → deuxième puce permettrait alors de restaurer la transmission des signaux et donc de rétablir une pleine possession du corps.

Un projet pas vraiment à l’avant-garde

Si la présentation de « cyber-cochons » est spectaculaire et a beaucoup fait parler, il n’en reste pas moins qu’en soi, d’un point de vue strictement scientifique, la démonstration n’a pour l’instant rien de réellement spectaculaire. Côté ingénierie pure, la puce et le robot médical semblent certes être de petits bijoux dans leur conception, mais côté neurosciences — ce qui est au cœur du projet, il n’y a rien de nouveau aujourd’hui dans Neuralink. Dans son discours, Elon Musk s’est essentiellement concentré sur ce que l’implant pourrait potentiellement faire et apporter dans le futur.

Ce discours a quelque peu pris le pas sur la réalité dans l’image, et pourrait ainsi donner l’impression que Neuralink est en train de révolutionner les neurosciences. Mais la réalité en 2020 est plutôt que Neuralink se base sur plusieurs années de découvertes majeures dans le champ des neurosciences appliquées aux nouvelles technologies. Les prothèses bioniques contrôlables par des personnes amputées, grâce à des implants dans le cerveau notamment, existent déjà et sont de plus en plus performantes. Le domaine connaît même des percées encore plus innovantes, comme ces chercheurs de l’université de Canergie qui ont développé une interface humain-machine non invasive, permettant aux patients de contrôler les prothèses par un mécanisme sensitif qui ne nécessite aucun implant cérébral.

Des dispositifs de contrôle de prothèses par les signaux cérébraux existent déjà. // Source : Matthew Holt/Sara Moser

Des dispositifs de contrôle de prothèses par les signaux cérébraux existent déjà.

Source : Matthew Holt/Sara Moser

La plupart de ces avancées technoscientifiques ne connaissent pas l’immense publicité de Neuralink, mais ont tout autant de valeur. Le projet d’Elon Musk n’est pas un coup de génie venant de nulle part : il s’inspire d’autres travaux, sur lesquels il se repose. Le tout, sans apporter à la recherche de son côté : Neuralink ne fait aucune publication scientifique sur ses travaux.

Il ne faut donc pas considérer qu’Elon Musk vient de présenter un dispositif révolutionnaire. L’objectif de l’entrepreneur était d’ailleurs surtout de recruter pour préparer l’avenir, puisqu’il souhaite agrandir l’équipe de la startup d’un millier de personnes à 10 000.

La philosophie derrière le spectacle

On peut résumer les approches des technologies bioniques en deux démarches, deux philosophies, que sont l’humain réparé ou l’humain augmenté. « Humain réparé », c’est cette idée que les avancées technoscientifiques ont un but médical, pour guérir des humains de maladies, blessures, dysfonctionnements. « Humain augmenté » repose davantage sur une vision sociopolitique posée sur la science : le transhumanisme, ou la volonté de dépasser ce qui est perçu dans cette approche comme des limites au corps humain. Il en existe plusieurs versions (technoprogressiste, libertarienne…) et, dans certaines moutures, la motivation de l’« augmentation » vient d’une crainte d’être dépassé par les machines.

Si l’objectif annoncé de Neuralink est médical, il n’en demeure pas moins que l’objectif de la startup est plus large. C’est la philosophie qui anime Elon Musk : il est un transhumaniste notoire, s’illustrant régulièrement par des déclarations selon lesquelles les intelligences artificielles vont bientôt nous dépasser, qu’il faut les craindre, ou encore que le langage humain sera bientôt obsolète. Neuralink est aussi empreint de cet état d’esprit, Musk l’a rappelé à plusieurs reprises : ce sera une façon de rester compétitifs face aux IA. Il a évoqué d’autres fonctionnalités que les applications médicales, comme faire venir une Tesla à soi, stocker des souvenirs, jouer à des jeux vidéo.

Dans l’état d’esprit d’Elon Musk, son approche du transhumanisme implique une certaine urgence : il faut aller vite, avant que l’humanité s’éteigne. Raison pour laquelle il promettait des essais humains dès 2020, ce qui ne sera pas le cas, mais tout de même pour bientôt puisqu’il aurait obtenu une autorisation de l’administration pour des essais cliniques. Cette urgence se reflète aussi sur le management : comme en témoignent d’anciens employés, le rythme de la startup est souvent insoutenable, avec des deadlines impossibles à respecter et qui ne sont pas cohérentes avec le temps scientifique.

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