Qu’est-ce qu’un euro numérique ?
Depuis février 2002, l’euro est la seule monnaie ayant cours légal dans l’ensemble des pays de la zone euro — dont la France fait partie. Cette devise existe sous deux formes : la monnaie fiduciaire (les pièces et les billets de banque) et la monnaie scripturale (l’argent est inscrit par un jeu d’écriture sur les comptes en banque, permettant les virements, les paiements par carte bancaire ou les chèques).
L’euro numérique appartiendrait à une troisième catégorie, la monnaie électronique, une catégorie dans laquelle on retrouve les cryptomonnaies comme le bitcoin ou même des stablecoins. Selon la définition de la Banque centrale européenne (BCE), l’euro numérique est une valeur monétaire, représentant une créance sur l’émetteur qui est :
- stockée sur un support électronique (comme un smartphone) ;
- émise contre la remise de fonds (par exemple des billets) d’un montant dont la valeur n’est pas inférieure à la valeur monétaire émise ;
- acceptée comme moyen de paiement par des entreprises autres que l’émetteur.
L’euro numérique serait donc la déclinaison de l’euro sous une forme de monnaie électronique. Cette forme particulière serait émise directement par la BCE, exactement comme les billets de banque aujourd’hui. Elle autoriserait de régler des paiements n’importe où, en s’ajoutant aux multiples solutions existantes, par exemple lors d’un passage en caisse ou bien sur Internet : espèces, carte bleue, chèque, virement bancaire…
La monnaie traditionnelle disparaîtra-t-elle ?
Il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on entend par « monnaie traditionnelle ». S’il s’agit des pièces et des billets, c’est-à-dire de l’argent liquide, la tendance est à un recul de la manipulation des espèces, même si l’emploi du cash demeure très élevé. Enfin, c’était le cas avant la crise du coronavirus : avec l’épidémie, le phénomène tend à s’accentuer, du fait des gestes barrières et de la limitation des contacts physiques.
De nombreuses craintes existent quant à la disparition du liquide avec l’arrivée de la monnaie numérique. Cependant, en déposant un dossier législatif sur le sujet le 28 juin 2023, la Commission européenne a tenté d’apaiser les peurs. Le document indique clairement et spécifiquement que l’euro numérique ne va « absolument pas » remplacer les billets de banque.
Si à court et moyen terme, voire à long terme, le cash n’est pas fondamentalement en péril, rien ne dit que ce sera toujours le cas à un horizon encore plus lointain. Et surtout, la survenue d’un évènement planétaire comme le Covid-19 — qui est, pour ainsi dire, une vraie surprise — est de nature à rebattre les cartes et à accélérer le calendrier. Aussi l’Europe souhaite-t-elle parer à toutes les éventualités.
« Un euro numérique permettrait de faire face à une éventuelle désaffection des Européens pour les espèces », déclare la BCE. Mais pour l’heure, il n’est pas question de remplacer la monnaie fiduciaire par la monnaie électronique. Ce nouvel euro « existerait parallèlement aux espèces, sans les remplacer. L’Eurosystème continuera dans tous les cas d’émettre des espèces », prévient la Banque centrale.
Pourquoi concevoir un euro numérique ?
Il existe non pas un, mais plusieurs scénarios en faveur d’un euro numérique — et qui sont en outre cumulables.
- Le premier, le plus évident, est la « forte diminution du recours aux espèces dans la zone euro ». Cette hypothèse serait vraisemblablement combinée à une « hausse de la demande de paiements électroniques dans la zone euro ». Le second prend la place du premier, en somme.
- Mais il y a aussi le souci de contester certaines initiatives privées, comme les stablecoins. Ces crypto-monnaies, qui sont indexées sur les valeurs de monnaies fiduciaires comme le dollar ou l’euro, sont de plus en plus plébiscitées par certains milieux, dont la crypto-industrie. Ils ne sont cependant pas sans risque (on a vu l’UST de Terre s’effondrer, et l’USDC connaitre de graves difficultés, comme l’a récemment rappelé la banque centrale italienne. Malgré cela, dans son dossier, la Commission européenne s’inquiète de leur popularité croissante, qui pourrait « challenger le rôle de l’euro dans les paiements, au sein de l’UE ou en dehors ».
- Le « lancement, à l’échelle internationale, de moyens de paiement privés qui soulèveraient des questions prudentielles et menaceraient la stabilité financière et la protection des consommateurs », relève la BCE. Et, on l’a vu avec le ministre français de l’Économie et des Finances, il est hors de question de laisser-faire.
Autre scénario à prendre en compte : la perspective que la monnaie numérique émise par d’autres banques centrales extérieures à la zone euro soit largement utilisée dans le monde, entraînant un décalage ou un retard du Vieux Continent avec des pratiques se généralisant un peu partout — ce qui pourrait éventuellement avoir des répercussions en matière touristique si les facilités de paiement ne sont pas là.
La Chine a ainsi commencé à expérimenter avec sa propose MNBC. Lors de la tenue des Jeux olympiques d’hiver à Beijing, en début d’année 2022, le pays avait lancé un essai grandeur nature de son e-yuan sur le site des JO. Depuis, le test a été étendu à plusieurs autres provinces — il n’y a cependant pas encore eu d’annonce du gouvernement quant à un lancement officiel à travers tout le pays.
Dernière grande hypothèse : la survenue d’un évènement extrême, qui mettrait à mal les moyens de paiement déjà en place. Il pourrait s’agir d’une cyberattaque d’ampleur, d’une catastrophe naturelle ou… d’une pandémie. Pour la BCE, l’euro numérique pourrait « atténuer les répercussions » de ce genre de désastre, qui sont de nature à affecter les services de paiement, voire à les mettre à terre.
En tout, le groupe de travail de l’Eurosystème, qui rassemble des experts de la BCE et des 19 banques centrales nationales de la zone euro, a relevé sept raisons pour lesquelles un euro numérique émergerait. Ces scénarios, qui incluent aussi la dimension écologique, sont détaillés dans un rapport remis au mois d’octobre 2020, qui aborde également des considérations plus techniques et juridiques.
L’euro numérique verra-t-il vraiment le jour ?
À l’heure actuelle, l’existence de l’euro numérique n’est pas garantie. « Nous en sommes encore au stade de l’examen et de la réflexion », admettait ainsi Christine Lagarde en 2020, lors du lancement d’une phase de consultation. Au début du mois d’octobre 2020, la BCE annonçait le lancement d’expérimentations, indépendamment de la décision finale sur cette monnaie électronique. Il s’agissait notamment d’éprouver les différents modèles qui existent.
Depuis, les travaux de la Commission européenne ont avancé, comme en atteste le dépôt le 28 juin 2023 du dossier législatif. Il n’est cependant pas encore dit que le projet d’euro numérique verra véritablement le jour. Il reste en effet de nombreuses étapes avant une possible introduction.
Tout d’abord, des débats vont être organisés au Parlement européen, qui prendront un certain temps. Le Conseil aura également son mot à dire sur la situation. Il ne faut pas non plus oublier les élections européennes de 2024, qui pourraient considérablement changer la répartition des sièges au sein de l’assemblée — et donc, la direction des travaux.
Enfin, même si les instances européennes se prononcent en faveur de la création d’une MNBC, le dernier mot reviendra à la Banque centrale européenne — la seule à pouvoir d’émettre de nouvelles unités monétaires. L’institution admet de plus volontiers qu’accoucher d’un tel projet « prendra du temps ». Selon toute vraisemblance, il faudra attendre quelques années avant que l’euro numérique ne soit plus simplement un concept, mais devienne bel et bien un véritable outil de paiement. Et pour ce qui est de convaincre la population son utilisation, cela prendra peut-être encore plus de temps.
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