Apple a attendu la fin de l’année pour enchaîner ses annonces. Depuis septembre, l’entreprise de Tim Cook multiplie les conférences et, en miroir de cette année 2020 où le temps confiné s’étire et semble ne plus passer, Apple a choisi de nommer son dernier événement de l’année « One More Thing ». Comme s’il s’agissait d’un seul keynote, débuté en septembre et terminé en novembre par le clou de spectacle, cette petite formule employée par Steve Jobs pour annoncer ses grands produits. Ce One More Thing d’une heure sera immanquablement dédié en grande partie au MacBook tournant sous Apple Silicon — voire, à Apple Silicon de manière générale.
Et ces deux petits mots qui vont redéfinir le marché des nouvelles technologies méritaient bien une conférence à eux. Voilà pourquoi.
La promesse d’Apple
Si l’on veut schématiser le marché de l’informatique contemporain, on pourrait donner trois grandes catégories de machines grand public.
- Les premières sont des ordinateurs dits « de bureau » : ils bénéficient d’un large espace pour refroidir leur composant et ont une alimentation reliée en permanence au secteur qui permet aux différentes unités de calcul d’être très puissantes. La consommation n’étant pas un souci, on va plus se concentrer sur la puissance brute et la dissipation de chaleur.
- Le deuxième type de machine, c’est l’ordinateur portable. Dans la plupart des cas, il fait tourner exactement les mêmes systèmes d’exploitation et les mêmes logiciels que les ordinateurs de bureau. Problème : sa taille réduite ne permet pas de dissiper aussi efficacement la chaleur et il doit pouvoir fonctionner sans alimentation constante. Les constructeurs ont une équation plus complexe à résoudre, qui doit prendre en compte la mauvaise dissipation de la chaleur, l’énergie limitée (la batterie ne doit pas fondre en une heure chrono) et la nécessité d’exécuter des systèmes et logiciels lourds, pensés sans ces contraintes.
- Le troisième type de machine est le smartphone ou la tablette. Ici, l’équation est presque inversée par rapport à l’ordinateur de bureau : la dissipation active de chaleur est quasi inexistante et l’alimentation est très limitée par la taille des objets. Ces dernières années, on parvient à faire des smartphones plus puissants en multipliant les puces ou en réduisant la finesse de gravure des processeurs (plus c’est fin, moins ça demande d’énergie, moins ça chauffe et donc ça peut monter en fréquence).
La catégorie des ordinateurs portables et des ordinateurs de bureau est dominée par une architecture nommée communément x86, poussée par Intel (Core i que vous retrouvez dans les Mac) et AMD (Ryzen que vous retrouvez dans certains PC). La catégorie des objets mobiles est propulsée par une architecture nommée ARM, récemment devenue la propriété de Nvidia.
Cela étant posé, résumer le plan d’Apple est simple : utiliser une architecture ARM pour ses processeurs d’ordinateurs portable et fixe. L’avantage est résumé dans une diapo de la conférence WWDC 2020 où ce projet a été annoncé (ci-dessous) : avoir des processeurs consommant peu, demandant moins de dissipation de chaleur tout en étant plus puissants que les processeurs déjà embarqués dans les ordinateurs portables… et les ordinateurs de bureau. Et si des tas de constructeurs se sont essayés à résoudre cette équation apparemment impossible, Intel ou Microsoft en tête, aucun n’a, aujourd’hui encore, réussi à proposer un produit polyvalent, fiable et suffisamment puissant.
Mais alors pourquoi Apple pourrait-il y arriver ?
Le processeur, un trésor de guerre
Pour le grand public, Apple restera encore longtemps l’entreprise qui fait des iPhone. Pour les observateurs assidus du marché des nouvelles technologies en revanche, Apple a peut-être un nouveau métier au cœur de son activité : construire des processeurs, le cœur des objets technologiques. Cette expertise ne sort pas de nulle part.
Elle a débuté avec l’iPhone et a muri, année après année, faisant de chaque processeur « A » le plus puissant du marché, à sa sortie. Les concurrents experts (Qualcomm) ou nouveaux arrivants (Huawei) ne rivalisent pas, en 2020, avec Apple. L’iPhone 12 possède le premier processeur gravé en 5 nanomètres, prouesse d’ingénierie qui lui permet de dépasser le processeur de l’année dernière… encore largement plus puissant que la majorité des concurrents.
Avec les iPad Pro, Apple a également eu la possibilité de décliner son expertise : la gamme « Z » est une expérimentation technique dans la direction d’un processeur plus proche de ce qu’on attendrait sur un ordinateur (plus puissant, moins économe). Dès lors, les experts spéculent à partir de ces éléments depuis des années maintenant : que donneraient ces processeurs hors du commun, conçus par les brillants ingénieurs volés à Intel depuis 10 ans, dans un boîtier permettant de mieux les alimenter et mieux les refroidir ? En d’autres termes : que vaut la prouesse d’Apple sur le mobile dans un environnement quasiment sans contrainte ?
La réponse se nomme Apple Silicon et l’entreprise de Cupertino a annoncé qu’elle équiperait à terme tous ses Mac. Un moment déjà historique, car un changement d’architecture n’est pas une décision légère : on en a connu 2 en 20 ans. Cela signifie aussi qu’Apple a des plans lointains pour remplacer le processeur Intel Xeon W 28 cœurs à 2,5 GHz que l’on trouve dans un Mac Pro à plus de 15 000 €. Ou, en poussant la réflexion à l’extrême, les cartes graphiques Radeon Pro Vega II Duo avec 2 x 32 Go de mémoire HBM2. Ces monstres de calcul, utilisés par l’industrie et les professionnels pour les tâches les plus lourdes, sont dans le viseur de la stratégie Apple à long terme.
Le challenge MacBook
Mais avant de remplacer du matériel professionnel ultra haut de gamme, Apple va devoir convaincre sur un produit grand public. C’est pour cela que le MacBook semble être le premier ordinateur à sortir avec un processeur Apple Silicon. Il s’agira d’un véritable crash test à plusieurs niveaux :
- Un MacBook sous Apple Silicon devra tourner au moins aussi bien qu’un MacBook sous processeur Intel
- Il devra être plus silencieux (moins de ventilateurs) et moins consommateur d’énergie à puissance équivalente avec un MacBook sous processeur Intel
- Il devra être sans concession sur le système d’exploitation : la Surface Pro X avec un processeur ARM était un échec, car Windows ramait.
- Il devra être sans concession, également, sur les logiciels : un processeur ARM ne peut pas exécuter nativement un logiciel pensé pour un processeur x86. Soit les éditeurs construisent une version ARM de leurs logiciels, soit le processeur ARM sait émuler des instructions x86 pour les faire tourner, ce qui induit une allocation de ressource à cette tâche de conversion qui pourrait impacter les performances de l’exécution du logiciel. Apple a annoncé les deux cas : des éditeurs partenaires et la possibilité de d’émuler x86 en temps réel.
D’après les premiers leaks de scores de puissance (benchmarks), le processeur que dévoilera Apple le 10 novembre fait mieux que les meilleurs processeurs Intel Core i9 présents dans les MacBook Pro, ce qui tendrait à régler la première question.
Les trois suivantes sont encore à déterminer, mais si Apple relève ces défis, alors oui, on pourra dire que l’informatique a changé d’ère : en plus de perdre un partenaire commercial de premier ordre, Intel et AMD auront enfin un concurrent capable de relancer une course technologique qui a perdu de sa vigueur et de son intérêt ces dernières années.
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