Un restaurant KFC offre depuis le début du mois de novembre une promotion de 15 % sur les commandes des utilisateurs de l’app de traçage des contacts TousAntiCovid. La Cnil ne s’oppose pas à cette pratique commerciale.

La capture d’écran circule sur les réseaux sociaux, mais la publication a été supprimée. Le 5 novembre, le KFC de Compiègne (Picardie) aurait publié une offre de promotion inhabituelle sur Facebook : « chez KFC COMPIÈGNE, on vous réconforte avec du bon poulet à -15% sur présentation de l’app tous anti-covid au DRIVE ou à Emporter ! Télécharger l’application : https://bonjour.stopcovid.gouv.fr/ ». Numerama ne repère la capture d’écran que 17 jours plus tard, lorsqu’elle est relayée par le hacker Baptiste Robert, très impliqué dans le suivi de l’application Tous Anti Covid.

La publication n’apparaît plus sur la page Facebook du fast-food, mais une page francophone suivie par plus de 87 000 personnes, « Indepenza webtv », en a fait une capture — celle relayée par Baptiste Robert. Dans les plus de 350 commentaires de la publication, l’initiative est vue unanimement d’un mauvais œil. « Incroyable ça fait des genre partenariat avec des gros lobbys pour nous faire télécharger leurs applications que personne ne veux » (sic) commente un des abonnés. Il se peut que le message publié sur la page du KFC ait reçu des commentaires similaires, ce qui aurait mené à son retrait. Numerama n’a pas pu confirmer, pour l’heure, l’existence de cette publication.

En revanche, nous avons contacté le restaurant franchisé par téléphone le 26 novembre : un équipier chargé des commandes nous a confirmé qu’il y avait bien eu une offre promotionnelle liée à l’app TousAntiCovid, mais il ne savait pas exactement si elle était toujours en cours. Contacté de manière plus formelle sur Facebook, notamment pour obtenir des explications sur les motivations de cette promotion et sur son retrait,  le KFC ne nous a pas encore répondu.

Le restaurant a-t-il le droit de lier sa promotion à l’installation de l’app de traçage des contacts ? D’après la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), référente sur le sujet, oui. Contactée par Numerama, elle précise : « En l’espèce, s’agissant d’une société privée qui propose une réduction de 15 % aux clients qui auraient téléchargé l’application, cela ne semble pas entraver le caractère volontaire de l’application. »

La notion de volontariat, essentielle au débat

Dès les premiers débats autour de StopCovid — nom de la première version de TousAntiCovid –, la question des conditions d’installation de l’app s’est posée. Allait-on vraiment avoir le choix ? Si ce n’est légalement, au moins dans les faits ?

Dès la première version de l'app, StopCovid, le débat sur les avantages a été posé.  // Source : Louise Audry pour Numerama

Dès la première version de l'app, StopCovid, le débat sur les avantages a été posé.

Source : Louise Audry pour Numerama

Pour répondre à ces inquiétudes, dès son avis du 24 avril sur StopCovid, la Cnil a insisté lourdement sur la notion de volontariat. L’installation de StopCovid serait volontaire ou elle serait considérée comme discriminatoire. L’institution précisait : « Le volontariat signifie qu’aucune conséquence négative n’est attachée à l’absence de téléchargement ou d’utilisation de l’application. » Puis elle listait plusieurs situations qui ne peuvent pas être conditionnées par l’installation de l’app : l’accès aux tests et aux soins ; les déplacements ; ou encore l’accès à certains services comme les transports en commun. « Les institutions publiques ou les employeurs ou toute autre personne ne devraient pas subordonner certains droits ou accès à l’utilisation de cette application », martelait-elle.

Mais cette position claire n’a pas empêché le débat de revenir sur la table. En mai, lors du premier déconfinement, le député LREM Damien Pichereau avait provoqué une levée de boucliers en proposant que les utilisateurs de StopCovid puissent se déplacer plus loin que leurs concitoyens. En septembre, L’Opinion rapportait que le gouvernement avait envisagé la possibilité de donner aux utilisateurs de l’app un accès privilégié au dépistage. Une information rapidement démentie par le gouvernement, par le biais de son porte-parole. Dans la foulée, plusieurs députés ont voulu inscrire dans la loi des garde-fous pour qu’un tel scénario ne se produise jamais. Sauf que la proposition de loi qui devait accueillir les amendements a été mise de côté avec le retour de l’état d’urgence sanitaire.

Attention au cadre de la promotion

Plusieurs municipalités recommandaient déjà aux restaurateurs d’installer TousAntiCovid. Le fast-food va dans ce sens, et crée même une incitation au téléchargement pour ses clients. Mais avec son initiative, le KFC de Compiègne ouvre donc une nouvelle page du débat : les sociétés privées ont-elles le droit de donner des avantages aux utilisateurs de l’app ?

Ces derniers, s’ils n’ont pas l’app, n’auront pas de « conséquence négative » à proprement parler comme un refus de commander ou un prix augmenté. En revanche, un client avec l’app aura  une conséquence positive, la ristourne de 15 %. Concrètement, le restaurant crée tout de même deux gammes de prix, basées sur le téléchargement ou non de l’app.

Mais pour la Cnil, la notion de volontariat est respectée. Elle met tout de même en garde :  « Il est cependant important de noter que la société qui propose un tel ‘incitant’ ne dois pas demander ou avoir accès à l’application de l’utilisateur : c’est un élément particulièrement sensible pour un utilisateur qui aurait reçu une notification via l’application par exemple (ce qui révèle donc que l’utilisateur a été exposé au virus) ou qui se serait déclaré comme diagnostiqué ou dépisté au COVID-19. »

Reste à savoir : cette situation sera-t-elle amenée à faire jurisprudence, ou la commission devra-t-elle statuer au cas par cas, quitte à être débordée ?

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