C’est une bizarrerie que vous avez peut-être vous-même observée en visitant la carte de couverture du réseau mobile de Bouygues Telecom. En zoomant sur l’Île-de-France par exemple, et en ne conservant à l’écran que les informations de couverture pour la 5G, on constate que la zone desservie en ultra haut débit mobile est en fait beaucoup plus vaste par rapport à l’annonce de l’opérateur le 30 novembre.
À cette date, l’opérateur a mentionné vingt villes couvertes en 5G, dont cinq pour la région parisienne, à savoir Argenteuil, Boulogne-Billancourt, Montreuil, Saint-Denis et Versailles. Les quinze autres communes sont dispersées sur le reste du territoire, plutôt dans le nord et dans le sud du pays, là où la densité de population est élevée, afin de pouvoir atteindre un important vivier de clients potentiels.
Or, comme le montre la carte, il y a un décalage considérable entre la liste de Bouygues Telecom et sa carte. Des villes comme Évry ou Melun au sud seraient en fait desservies, mais aussi Créteil, Vitry-sur-Seine, Nanterre, Courbevoie, Poissy, Sartrouville, Cergy, Les Mureaux, Franconville,Sarcelles et des dizaines d’autres communes de plus petite envergure.
Questionné à ce sujet le 1er décembre, Bouygues Telecom n’a pour l’instant pas donné suite.
En France, le choix a été fait d’utiliser les fréquences allant de 3,4 à 3,8 gigahertz (GHz) pour acheminer la 5G. Cette bande dite de 3,5 GHz est la première à servir à l’ultra haut débit mobile. Mais à terme, d’autres seront aussi mobilisées, dans des portions du spectre qui n’ont jamais servi aux télécommunications, mais aussi en recyclant les fréquences de la 2G, 3G et 4G.
Cette bande est la plus intéressante pour démarrer la 5G car elle offre de bons résultats sur trois principaux critères : le débit, la portée et la pénétration des bâtiments. Elle n’est certes pas aussi spécialisée que certaines autres bandes (par exemple, la bande 700 MHz a une portée et une pénétration énormes, mais un débit faible, alors que la bande 26 GHz en est l’exact opposé), mais est équilibrée.
Mais si sa portée est bonne, elle ne l’est pas suffisamment pour arroser à ce point toute l’Île-de-France. Ses performances moyennes sont de 400 mètres en zone urbaine et de 1,2 kilomètre en zone rurale, rappelle l’Agence nationale des fréquences. Impossible donc de s’en servir comme explication. Et il ne s’agit pas non plus d’une carte de la couverture à venir de Bouygues, car la cartographie date du 1er décembre.
« Vraie 5G » et « fausse 5G »
Cet écart tient manifestement au fait que Bouygues agrège sur une même carte une « vraie 5G » et une « fausse 5G », en affichant une autre bande que la 3,5 GHz. C’est ce que suggère sa légende, qui affiche deux niveaux de couleur. La première décrit la couverture 5G en bande haute (supérieure ou égale à 3,5 GHz), tandis que la seconde affiche la situation de la 5G en bande haute (mais inférieure à 3,5 GHz).
Pour l’Agence nationale des fréquences, il est impropre de parler de vraie ou de fausse 5G. « La 5G en bande basse sera de la 5G », explique-t-elle, même si elle admet que « les débits atteints ne pourront pas être aussi élevés que ceux dans la bande 3,5 GHz », du fait de ses propriétés physiques. Ces bandes basses offriront toutefois des bénéfices, comme une portée et une pénétration accrues.
En effet, plus la bande est basse, plus sa portée est grande. Cela a toutefois un défaut : son débit chute. Ainsi, la bande 700 MHz porte à 2 kilomètres en ville et 8 à la campagne (elle a d’ailleurs été surnommée bande en or, car elle permettait de couvrir plus facilement des territoires). À l’inverse, la bande 26 GHz, qui n’est pas encore utilisée, a des débits tout à fait exceptionnels, mais ne va que jusqu’à 150 mètres.
« Les débits ne pourront pas être aussi élevés que ceux en 3,5 GHz »
Sur la carte, il n’est pas dit avec quelle autre fréquence basse Bouygues Telecom s’appuie pour étendre sa couverture 5G au-delà de la 5G officielle. Mais son communiqué du 30 novembre est plus loquace : il s’agit de la tranche 2,1 GHz. Il est d’ailleurs est loin d’être le seul : Orange le fait aussi et ne s’en cache pas. Dans une page listant des communes qui en profiteront fin 2020, il déclare qu’il utilise aussi la bande 2,1 GHz.
Aujourd’hui, la bande 2,1 GHz sert à la 4G.
À Europe 1, SFR a confirmé la même approche. « On se déploie principalement en 3,5 GHz et on utilise la bande 2,1 GHz en complément ». SFR est le premier opérateur à avoir activé son réseau 5G, le 20 novembre. Il a été suivi le 1er décembre par Bouygues Telecom. Le 3 décembre, ce sera au tour d’Orange. Quant à Free Mobile, il se lancera plutôt à la fin du mois de décembre.
Mais comment cette astuce est-elle possible ? Dans le cas des fréquences basses, elle est très simple à mettre en œuvre : une simple mise à jour logicielle sur un site télécoms qui opère en 2G, 3G ou 4G suffit, précise l’Agence nationale des fréquences. Cela présente un double avantage pour les opérateurs : d’abord, profiter du réseau existant et limiter de fait les chantiers. Ensuite, étendre bien plus vite le réseau 5G.
« La 5G qui se déploiera sur les bandes de fréquences traditionnelles ne demande aucun aménagement supplémentaire », explique l’Agence nationale des fréquences, alors que la bande 3,5 GHz requiert d’installer une antenne dédiée sur un pylône. Voilà pourquoi, sur les quasi 16 000 sites 5G autorisés, en date du 1er novembre, seuls 1 092 sites sont vraiment en 3,5 GHz. Tout le reste, c’est du 700 MHz ou du 2,1 GHz.
Comme le rappelle Europe 1, ce procédé est légal. Seulement, s’il plaît aux opérateurs, il est à manipuler avec précaution, car il fait passer de la 4G et de la 4G+ pour de la 5G, alors que les débits ne sont pas du tout les mêmes, bien que, pour les bandes basses, ce sont plutôt d’autres propriétés qui sont recherchées. La « vraie 5G » atteint en effet des débits dix fois plus importants que la 4G.
À terme, bien sûr, ces écarts entre « vraie 5G » et « fausse 5G » seront progressivement gommés. Les stations passeront toutes en 3,5 GHz et les bandes basses utilisées pour la 2G, 3G et 4G seront petit à petit utilisées pour la 5G. Cela prendra des années, sans doute dix ans. En effet, il y a plus de 54 300 sites 4G autorisés en France, dont 49 000 sont en activité. La 5G pour tout le monde, ce n’est pas pour demain.
Par la suite, de nouvelles fréquences viendront soutenir davantage l’ultra haut débit mobile, en allant chercher des bandes qui n’ont encore jamais servi aux télécoms (à l’image de la bande 26 GHz, qui est très particulière puisqu’elle utilise des ondes dites millimétriques). Et, bien sûr, de nouveaux sites seront implantés un peu partout sur le territoire, en fonction des besoins, nécessitant là aussi des travaux importants.
Pour éviter tout risque de tromperie sur la marchandise, l’enjeu sera de publier des cartes de couverture très précises et très pédagogiques. Des travaux sont justement en cours, sous la supervision du régulateur des télécoms, pour que les opérateurs se montrent les plus transparents possible. Une distinction claire entre les différents niveaux de 5G apparait ainsi indispensable.
En attendant, les opérateurs en jouent, aussi pour des raisons économiques et de rivalité commerciale. Orange a ainsi promis d’amener la 5G dans plus de 160 communes en France avant fin 2020. SFR, plus de 120 villes. Bouygues n’a évoqué que 20 communes, mais sa carte arrose un territoire nettement plus important. Free Mobile n’a encore rien annoncé. En tout cas, le risque d’escalade existe entre les quatre opérateurs.
Dès lors, les mobinautes doivent redoubler de vigilance en attendant plus de visibilité sur les zones où la 5G arrive vraiment. Et ils seraient bien avisés de retarder peut-être l’achat d’un smartphone 5G ou d’attendre avant de sauter sur le premier forfait 5G venu. La 5G est déjà l’objet d’assez de critiques, parfois légitimes, parfois complètement farfelues, pour qu’elle ne subisse pas en plus une polémique sur les abus des opérateurs.
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