Fumée blanche au 14, rue Gerty Archimède, au siège de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), dans le douzième arrondissement de Paris. On connaît désormais la personnalité qui dirigera très probablement le gendarme des télécoms pour les cinq prochaines années. Il s’agit de Laure de La Raudière.
L’intéressée a été confirmée dans cette nouvelle fonction par les commissions des affaires économiques à l’Assemblée nationale et au Sénat, à une très large majorité. Sur Twitter, Laure de la Raudière, dont le nom a été proposé par le président de la République le 5 janvier dans un communiqué, a partagé le 20 janvier la nouvelle. « Cela m’honore et m’engage », a-t-elle écrit.
Alors que les rumeurs filaient bon train ces derniers jours sur celui ou celle qui tiendrait la corde pour reprendre la présidence du régulateur des télécoms, dont l’ex-patron, Sébastien Soriano, file diriger l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), c’est donc finalement la députée élue dans l’Eure-et-Loir qui a été retenue, déjouant ainsi tous les pronostics.
Sa nomination est remarquable à deux niveaux.
Il s’agit de la première femme à occuper ce poste depuis la création de l’Arcep, en 1997. Avant elle, l’autorité de régulation a été présidée par Jean-Michel Hubert jusqu’en 2003, suivi par Paul Champsaur jusqu’en 2009, Jean-Ludovic Silicani jusqu’en 2015 et enfin Sébastien Soriano, jusqu’au début 2021. Jean-Claude Mallet fera un court passage, en 2009, mais démissionnera au bout de quelques semaines.
C’est aussi une personnalité qui n’est pas issue du Conseil d’État. Ce n’est certes pas une première — Sébastien Soriano ne sort pas non plus de ses rangs –, mais comme le signale Le Figaro, la présidence de l’Arcep revient traditionnellement à un conseiller d’État. Cette tradition, rompue avec le président sortant, semble de toute évidence un peu plus écartée avec l’arrivée de Laure de La Raudière.
Si elle n’est pas du sérail, elle n’en demeure pas moins compétente sur les sujets des télécoms — ce qu’on lui reconnait volontiers et elle l’a souvent montré sur les réseaux sociaux, dont le compte Twitter affiche plus de 22 000 abonnés (elle s’est inscrite en juillet 2009, ce qui fait d’elle une précurseure en la matière). Sa page Facebook existe également, mais dispose d’une visibilité moindre, avec près de 6 000 abonnés.
Avant d’être élue, l’intéressée a travaillé « dans le vrai monde ». Elle a passé 12 ans à France Télécom, jusqu’en 2001, note Cybercercle. Elle a été associée dans Pertinence, une startup de développement de logiciel de datamining. Elle a fondé et dirigé des sociétés de conseil en réseau et télécoms auprès de grandes entreprises. Elle est par ailleurs ingénieure des télécoms, diplômée de l’École normale supérieure.
Cette parenthèse professionnelle chez France Télécom a fait toutefois débat. Le 5 janvier, Xavier Niel, qui a fondé Free, un concurrent de France Télécom (devenu Orange), l’a mise en cause sur BFM Business. Elle serait partiale envers son ancien employeur — cela, alors que vingt ans se sont écoulés depuis. Le manque d’entrain de Laure de La Raudière à accepter un autre opérateur mobile nourrirait aussi son ressentiment.
La sortie du chef d’entreprise sur ce sujet a agacé un ancien collègue de Laure de La Raudière, Éric Bothorel. Le même jour, il a tenu à rappeler certaines propositions de l’élue qui n’étaient pas tendres envers son ex-patron. Dans un rapport d’information sur la couverture mobile et numérique du territoire, elle proposait par exemple d’ analyser le respect des conditions de non‑discrimination imposées à Orange.
Une femme politique qui suit de près le numérique
Pour qui suit l’actualité du numérique, et plus particulièrement les télécoms, le nom de Laure de La Raudière est souvenu revenu. Alors qu’elle en était à son troisième mandat à l’Assemblée nationale (élue en 2007 sous la bannière UMP, puis réélue en 2012 et 2017 en tant que Les Républicains, un parti qu’elle a depuis quitté pour plusieurs groupes, dont Agir Ensemble, le dernier en date), elle s’est illustrée en écrivant des rapports d’information comme sur la couverture numérique du territoire ou le développement de l’économie numérique française.
La couverture numérique du territoire, qui est de fait un sujet sur lequel l’Arcep est attendu, n’est pas le seul sujet sur lequel Laure de La Raudière s’est investie. Au début des années 2010, elle avait retenu l’attention avec une mission d’information sur la neutralité du net, qui avait été saluée par La Quadrature du Net, une association très vigilante sur ce type de problématique.
Après cette mission d’information, elle a souhaité imposer le respect de la neutralité du net et proposé que l’Arcep mesure la qualité et la disponibilité des services. Elle d’ailleurs été en 2012 à l’origine d’une proposition de loi sur le sujet — qui n’a toutefois pas abouti. Pour la petite histoire, la neutralité du net est aujourd’hui consacrée au niveau européen et l’Arcep travaille à mieux mesurer les débits.
En matière de fabrique de la loi, d’ailleurs, Laure de La Raudière avait aussi proposé en 2014 — sans succès — de rendre obligatoire l’enseignement de la programmation dès l’école primaire. D’ailleurs, quatre ans plus tard, sur un thème similaire, la députée demandait à ce que les cours d’humanités numériques et scientifiques arrivent non pas juste au lycée, mais dès le collège.
On se souvient aussi de sa proposition de loi visant à accélérer le passage à la norme IPv6, en prévision de l’épuisement à venir des stocks d’adresses en IPv4. Nous étions en 2014. Six ans après, la situation reste insatisfaisante. Là aussi, il s’agit d’un sujet sur lequel le régulateur est amené à intervenir. Il n’est par contre pas attendu sur le droit de rétractation pour le tourisme en ligne, qui était une autre proposition de loi.
Évidemment, Laure de La Raudière n’a pas déposé que des textes liés au numérique au cours de ses trois mandats — mais, dans le cas du dernier par exemple, on retrouve son soutien à des propositions de loi sur la ruralité, notamment sur la revitalisation de ces zones. Or, cela intéresse indirectement l’Arcep, du fait de la problématique de la fracture numérique, dans le fixe et dans le mobile.
À l’Assemblée nationale, Laure de La Raudière coprésidait deux groupes d’études sur le numérique (cybersécurité et souveraineté numérique d’une part et économie numérique de la donnée, de la connaissance et de l’intelligence artificielle d’autre part), et participait à deux autres structures liées à ce domaine en tant que membre : santé et numérique et startup, PME et ETI.
Au Parlement, elle prenait part aux réflexions sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne, et la construction et de la promotion d’une souveraineté numérique nationale et européenne. Sur un plan plus économique, elle a aussi signé un autre rapport d’information sur la chaîne de blocs (ou blockchain) — par le passé, elle a souhaité lui donner une valeur légale incontestable.
Laure de La Raudière a aussi siégé un temps au Conseil national du numérique en tant que représente du parlement, aux côtés de trois collègues.
Filtrage, Hadopi, StopCovid, haine en ligne…
Avec trois mandats de cinq ans chacun (même si le dernier ne sera pas complet), faire un inventaire exhaustif de toutes les contributions de Laure de La Raudière sur les sujets du numérique (aussi bien en amendements qu’en interventions dans les commissions ou à l’hémicycle, ou même dans les médias et sur les réseaux sociaux) serait une tâche herculéenne — ainsi que fastidieuse et pas toujours éclairante.
Son activité parlementaire peut néanmoins être parcourue sur le site de l’Assemblée nationale ou bien sur le portail NosDéputés.
L’observatoire de l’activité parlementaire permet de retrouver ses votes, ses dossiers parlementaires, ses questions orales posées en hémicycle et ses questions écrites. Il est à noter d’ailleurs que Laure de La Raudière a aussi su tourner à son avantage l’outil de suivi de NosDéputés, puisqu’à la fin de son premier mandat, elle a présenté un bilan chiffré à ses électeurs — manière de montrer qu’elle ne s’est pas tournée les pouces.
Si un inventaire à la Prévert n’aurait guère de sens, quelques interventions de l’ex-députée sont à signaler, comme son rejet du blocage administratif des sites, son hostilité à la taxation des FAI pour financer la culture, sa proposition d’un DNS racine alternatif, ses craintes sur le filtrage des accès par DPI, sa frustration envers le plan France Très Haut Débit ou bien son hostilité envers les boîtes noires algorithmiques.
Notons aussi une proposition de résolution demandant une protection internationale de la vie privée, son amendement contre la taxe sur l’achat de publicités, sa perplexité à l’égard de la licence globale. On l’a aussi retrouvée sur le budget de la Hadopi, la riposte graduée, la taxe copie privée sur les consoles, l’usurpation d’identité, la loi Renseignement, StopCovid, le fichier TES, la haine en ligne ou bien la cybersécurité en visioconférence.
Pour la petite histoire, Laure de La Raudière avait rendu un avis en 2010, au nom de la commission des affaires économiques, sur le projet de loi visant à transposer le Paquet Télécoms en droit français. Il faut savoir que ce texte avait engendré un bref psychodrame, car il était apparu que le gouvernement de l’époque avait tenté d’imposer de se faire représenter au sein de l’ARCEP.
Cela avait alors laissé craindre une perte d’indépendance de l’autorité de régulation des télécoms à l’égard de l’exécutif. Finalement, il n’en a rien été. Il faut dire que l’affaire était parvenue jusqu’aux oreilles européennes, qui n’avait pas vu cette manœuvre d’un très bon œil. À l’époque, Laure de La Raudière s’était amusée de cette affaire sur Twitter. Huit ans plus tard, sa présidence va pouvoir jouir de cette liberté.
(mise à jour du sujet avec la validation de la nomination de Laure de La Raudière par les deux commissions du Parlement)
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