Octobre 2019, Google fait une annonce grandiloquente : ses chercheurs ont réussi, grâce à son ordinateur quantique, à faire un calcul irréalisable sur un ordinateur classique. Prouesse mathématique, le calcul n’avait que peu d’intérêt en lui-même, mais il prouvait, pour la première fois, qu’un ordinateur quantique pouvait dépasser une limite de l’informatique traditionnelle. L’événement braquait les projecteurs sur l’informatique quantique, un champ de recherche émergent, et rappelé son immense potentiel.
Cette avancée tombait à pic pour Paula Forteza, députée française spécialiste du numérique, qui était chargée depuis avril 2019 de faire un état des lieux de l’informatique quantique française. En janvier 2020, la députée a finalement remis son rapport au gouvernement avec son bilan et ses recommandations.
Un an plus tard, le 21 janvier 2021, Emmanuel Macron a annoncé les lignes directrices du Plan quantique de la France, lors d’une conférence donnée à Paris-Saclay, le principal plateau de recherche d’Île-de-France. En tout, l’État allouera 1,8 milliard d’euros au secteur sur les 5 prochaines années.
Pour mieux comprendre les enjeux de la technologie et ce plan de financement, voici quelques réponses à vos questions.
C’est quoi l’informatique quantique ?
- Une nouvelle façon de calculer. L’informatique quantique est une nouvelle façon de faire faire des calculs à une machine. Puisqu’un ordinateur quantique serait capable de réaliser des calculs hors de portée des ordinateurs classiques, il permettrait de s’attaquer à des problèmes encore irrésolus. À court terme, les chercheurs travaillent sur des applications d’optimisation, comme la gestion des flux de transports ou des stocks de la grande distribution. À long terme, l’ordinateur quantique permettrait de mieux comprendre les réactions chimiques complexes. Bref, s’il remplit ses promesses, il pourrait révolutionner de nombreux secteurs, à commencer par la médecine, l’agriculture ou encore l’écologie.
- Une brique supplémentaire à l’informatique classique. Attention, l’ordinateur quantique n’est pas l’équivalent d’un super ordinateur. Ses composants sont différents, son architecture est différente, son fonctionnement est différent, et sa finalité est différente. Autrement dit, l’informatique quantique n’écrasera pas l’informatique actuelle, mais la complètera plutôt. Oui, tout un ensemble de calculs irréalisables aujourd’hui pourra l’être par ces ordinateurs du futur, et certains calculs seront simplement accélérés. Mais à l’inverse, ils ne devraient pas (et n’a pas pour objectif) de dépasser l’efficacité des ordinateurs traditionnels pour certaines tâches.
- Une technologie émergente, poussive aujourd’hui. Le problème, à l’heure actuelle, c’est que tout ce pan de recherche est au conditionnel. Si certains spécialistes se projettent à cinq ou dix ans, rien ne garantit que les scientifiques parviendront à créer un jour un ordinateur quantique capable de remplir ces belles promesses. En l’état actuel, les chercheurs ne s’accordent même pas sur la façon de créer un ordinateur quantique. Il existe plusieurs écoles (ou méthodes d’ingénierie) sur la façon de créer puis de stabiliser les qubits — le phénomène physique qui permet le fonctionnement de ces machines, également considéré comme leur unité de puissance. Chacune de ces méthodes s’accompagne de ses contraintes (refroidissement nécessaire, coût des matériaux…) et ses avantages (facilité à passer à l’échelle, capacité à stabiliser les qubits…). Plusieurs entreprises et laboratoires de recherche s’affairent sur chacune de ces méthodes d’ingénierie, dans l’espoir que la leur devienne l’équivalent des circuits intégrés de l’informatique classique. Pour ne rien arranger à ces débats scientifiques, comparer ces différentes architectures d’ordinateur est un véritable casse-tête : un qubit d’un type d’ordinateur n’équivaut pas forcément au qubit d’un autre. Le nombre de qubits n’est donc pas le seul indicateur à prendre en compte : le taux d’erreur et le temps de cohérence sont par exemple deux autres critères essentiels.
Pourquoi la France investit-elle autant ?
- La France ne veut pas rater le prochain virage technologique. Le virage quantique n’aura pas forcément lieu, mais le louper aurait des conséquences désastreuses. Les États-Unis ont écrasé le virage des plateformes grâce aux Gafas, et l’Europe espère ne pas réitérer cet échec. Même si pour l’instant, les Américains Google et IBM semblent faire la course à l’ordinateur quantique en tête.
- La France a des champions : certains scientifiques considérés comme « pères » de l’informatique quantique sont français, et l’école de mathématiques est toujours réputée dans le milieu. Un petit écosystème s’est créé ces dernières années, autour du seul fonds d’investissement européen dédié au sujet, Quantonation, et d’une poignée de startups. Et ce n’est pas tout : deux projets d’ordinateurs quantiques, l’un mené par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), l’autre par la startup Pasqal, ont encore leur chance dans la course. Certains géants industriels comme Atos investissent également dans cette évolution.
- Les États-Unis, la Chine et d’autres ont déjà sorti les gros billets. L’administration canadienne a déjà investi plus d’un milliard de dollars dans l’informatique quantique, les États-Unis financent la recherche depuis 2015, le Royaume-Uni depuis 2013. La Chine, plus mystérieuse, aurait déjà investi plus de 10 milliards de dollars.
Quels sont les différents secteurs visés par le plan quantique ?
- 800 millions pour l’ordinateur quantique. Le principal poste de dépense du plan alimentera la course à l’ordinateur quantique. Mais le gouvernement a aussi précisé que près de la moitié de l’enveloppe serait allouée à des projets de court terme comme les « simulateurs quantiques ». Ces ordinateurs traditionnels ont une architecture spécifique qui leur permet de simuler le fonctionnement de l’ordinateur quantique. Ils n’atteindront jamais le même niveau de puissance, mais ils permettent déjà d’essayer la technologie sur certains problèmes.
- 325 millions d’euros dans la communication quantique. C’est un système de communication alternatif, qui s’appuie sur le phénomène d’intrication quantique, et donc sur un réseau de câbles différent. Deux projets de réseaux du genre font l’objet de recherches en France, l’un en Île-de-France, l’autre près de Nice.
- 150 millions d’euros dans la cryptographie post-quantique. Les capacités de calcul de l’ordinateur quantique devraient permettre de casser les algorithmes de chiffrement actuels. Autrement dit, il compromettrait les protections des transactions bancaires ou des communications. Pour anticiper sur ce potentiel désastre, la cryptographie post-quantique cherche des algorithmes résistants aux attaques des ordinateurs quantiques. Son nom peut prêter à confusion : à l’inverse de ceux de la cryptographie quantique, ces nouveaux algorithmes suivent les règles de la cryptographie classique, et ne font pas appel à des phénomènes quantiques. Il s’agit, tout simplement, de nouvelles façons de chiffrer les données.
- 300 millions d’euros dans les « technologies habilitantes » qui permettent à l’informatique quantique de fonctionner. Le président donne l’exemple de la cryogénie. La plupart des méthodes d’ingénierie capables de générer des qubits requièrent des capacités de refroidissement hors-normes. Les constructeurs y attachent donc un cryostat capable de refroidir à une température de quelques centièmes de kelvins, proche du zéro absolu (-273°C). C’est sur le développement de ce genre de composant que la France dirigera ces investissements.
- Des investissements dans les formations, « de la licence au doctorat ». Concrètement, le président a promis 100 bourses de thèses et 50 financements de postdoctorat supplémentaires par an sur les 5 prochaines années, en plus de 10 contrats dédiés à l’attraction de chercheurs étrangers. Ces nombres ne paraissent pas impressionnants, mais compte tenu de la taille encore limitée de l’écosystème de l’informatique quantique, c’est une augmentation significative.
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