« Tiens François, ça te dirait pas de tester Clubhouse ? » Début février 2021, toute une partie de Twitter s’enthousiasme pour l’arrivée de cette nouvelle app sur l’App Store français. Difficile de comprendre en quoi consiste ce nouveau « réseau social », décrit comme une hybridation entre podcasts et conférences. À Numerama, le nom paraît familier, mais difficile de se rappeler où on l’a lu ou entendu.
Quelques minutes plus tard, ça nous revient : le New York Times en parle depuis mai 2020 comme l’app préférée de la Silicon Valley. Autrement dit, l’app préférée des investisseurs, startuppers et autres entrepreneurs de la tech. Bref, l’app préférée d’un monde très américain, très masculin, plutôt riche, avide de discours inspirants et de rêves d’entrepreneuriat.
Business Insider expose très bien pourquoi l’app fait de nouveau les grands titres 11 mois après sa création. Si Clubhouse n’a toujours pas de modèle économique stable, elle lève régulièrement des fonds, et la startup serait déjà valorisée à plus d’1 milliard de dollars. Un chiffre choc, qui fait d’elle une « licorne » et attire l’attention. Des personnalités comme Elon Musk et Mark Zuckerberg y ont d’ailleurs fait des apparitions.
La situation peut cependant être résumée de manière moins pompeuse : les développeurs de Clubhouse ne savent pas exactement comment ils vont générer de l’argent. Seuls de nombreux optimistes pensent que l’app va trouver son public et in fine, générer un chiffre d’affaires conséquent. Après tout, plusieurs entreprises, comme Twitter, ont suivi ce cheminement. Nous avons donc décidé de voir si Clubhouse avait vraiment le potentiel de devenir une des apps de demain. Et après une première prise en main, nous sommes… confus.
Nous faisons partie des élus
Attention, évidence : dans Clubhouse, il y a l’idée de faire partie d’un « club », et on le ressent. L’app est disponible uniquement sur l’App Store, et donc réservée aux produits Apple. Si aux États-Unis, près de la moitié des smartphones sont des iPhone, c’est loin d’être le cas en France (25 % – 75 % environ). La part d’exclus Android sera donc bien plus importante. Ensuite, pour créer un compte, il faut une des deux invitations distribuées à chaque inscrit. Sans cooptation, vous ne pourrez que vous placer sur une file d’attente, et patiemment attendre. Dernier détail discriminant : si l’app est bien disponible en France, tout est écrit en anglais. Cette domination écrasante (et logique) de l’anglais se retrouvera dans les discussions qui nous seront suggérées plus tard.
Par chance, nous remplissons tous les critères pour nous inscrire. D’emblée, l’app nous prévient (en anglais) : « les gens utilisent leur vrai nom sur Clubhouse :) merci ! ». Une position tranchée par rapport au pseudonymat courant sur les réseaux sociaux comme Twitter ou Reddit. Reste que nous n’avons trouvé aucun signe d’un contrôle de l’identité affichée. Une fois notre identité déclinée, notre numéro de téléphone donné et après avoir choisi une photo de profil, l’app propose d’importer nos contacts Twitter.
Ensuite, elle suggère de choisir des « tags » correspondants à nos centres d’intérêt parmi une longue liste. L’influence de la Silicon Valley se ressent : on peut être intéressé par « le capital-risque », « l’IA » (pour intelligence artificielle), les « crypto » ou encore l’investissement comme « business angel ». Nous cochons approximativement plusieurs catégories, puis l’app nous suggère des profils à suivre, presque tous anglophones. Nous suivons son conseil.
Mais que se passe-t-il ?
Et là, c’est le drame. En principe, le fonctionnement de Clubhouse est simple : l’app vous propose des salles de conférences virtuelles à rejoindre. Au choix, vous pouvez les prendre au vol ou planifier votre horaire d’écoute grâce à un calendrier. Techniquement, c’est au point : un clic et c’est bon, vous rejoignez la conférence où les différents interlocuteurs sont généralement audibles et à des niveaux de sons équivalents. Votre micro est muet par défaut, mais selon les réglages de la conférence, vous pouvez demander aux modérateurs de prendre la parole.
Pourquoi parler de « drame » alors ? Car nous sommes perdus. Juste après notre inscription, Clubhouse nous suggère trois conférences : « ToxicWETTYZ », « STONKS $GME $CCIV $SLV $ARKK » et « ONLYFANS CONNECT : January recap ». Déjà, rien que les noms paraissent obscurs. Après quelques minutes dans la première conférence, impossible de savoir quel est son sujet. Dans la seconde, plusieurs personnes se coupent la parole, et divaguent sur des termes financiers. Nous n’ouvrons pas la troisième, visiblement créée par les créatrices de contenus pornographiques sur Onlyfans pour se partager les bonnes pratiques entre elles. Nous ne sommes pas le bon public.
En creusant un peu plus l’application, le classement par centre d’intérêt permet de trouver des conférences correspondant à nos attentes. Elles existent donc, et c’est plutôt l’onglet de recommandation qui n’est pas au point, du moins à la création du compte.
Ok, mais quel est l’intérêt des conférences ?
Reste à déterminer l’intérêt de ces conférences en ligne. Faciles d’accès, faciles à créer, elles peuvent permettre d’animer des communautés en ligne. Mais la plupart des sujets sont très orientés business, et reprennent des thématiques déjà abordées dans les salons professionnels ou dans les fameux « Ted talks ». La plus-value de l’app se situe donc clairement du côté des startupeurs et entrepreneurs qui baignent dans ces milieux et cherchent à réseauter, ou apprendre de nouvelles choses sur leur écoystème.
Difficile de voir la plus-value plus « généraliste » de l’app, de surcroit dans un monde qui ne serait pas confiné. Seul le côté participatif pourrait nous faire choisir une conférence Clubhouse plutôt qu’un podcast ou une vidéo YouTube dont nous contrôlons le déroulé. En résumé : il est facile de voir pourquoi des personnes ou organisations voudraient utiliser leur outil pour faire des conférences, et plus difficile de voir pourquoi des personnes les écouteraient.
Ensuite, le fonctionnement même des conférences contraint l’usage de l’app : il faut être présent à une heure précise, pour une longue durée. Clubhouse ne peut donc pas vraiment être utilisée comme une app de podcast, ou comme une app pour remplir les temps morts de sa journée. Il faut s’organiser pour en tirer profit.
Autre détail, et non par des moindres : les conférences en français sont pour l’heure très difficiles à trouver sur l’app, et c’est plutôt logique étant donné la nouveauté. En conséquence, il faut voir Clubhouse comme une fenêtre sur les communautés américaines, plutôt que comme une app française à part.
Bref, si vous attendez un renouveau des conférences professionnelles, que vous cherchez à construire votre réseau ou que vous êtes un énorme consommateur de certains sujets tech, peut-être que Clubhouse répond (ou répondra un jour) à vos attentes. Mais si vous cherchez une nouvelle source de divertissement, allez plutôt sur TikTok.
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