La nouvelle est tombée le 18 février 2021 et devrait faire grand bruit dans le milieu de la cryptomonnaie. Pour la sortie de sa prochaine carte graphique entrée de gamme, intitulée GeForce RTX 3060, Nvidia a pris la décision de procéder à des modifications techniques pour la rendre beaucoup moins performante, non pas pour le jeu vidéo, mais si elle est utilisée pour générer de la monnaie électronique.
Le but avoué de l’entreprise américaine ? Que le secteur de la cryptomonnaie arrête de s’accaparer toutes les cartes graphiques.
« Nous avons conçu les GPU GeForce pour les joueurs », écrit la société sur son site. Et avec la sortie de la GeForce RTX 3060, il a été décidé de « faire en sorte que les GPU GeForce se retrouvent entre les mains des joueurs », et pas dans celles qui ne sont pas censées les acquérir. Car l’entreprise entend répondre à un phénomène : le minage de cryptomonnaie à une échelle industrielle.
Il faut comprendre en effet que l’obtention d’unités dans une cryptomonnaie, par exemple le Bitcoin, peut se faire soit en en achetant sur une place de marché, soit en les générant : cela s’appelle le minage. Ce procédé implique d’effectuer des calculs mathématiques qui nécessitent de mobiliser d’importantes ressources informatiques. Pour être efficace, il est donc préférable d’avoir du matériel de pointe.
Surtout que, pour garder l’exemple du Bitcoin, la prime de minage diminue avec le temps. La prime par bloc est aujourd’hui de 6,25 bitcoins. Il est prévu qu’elle descende à 3,125 en 2024, et ainsi de suite. Il faut dire que 88 % des bitcoins ont déjà été générés. Ils sont de fait de plus en plus rares et de plus en plus durs à aller chercher.
Compte tenu de la rareté croissante de devises électroniques, et de la puissance de calcul requise pour générer de la cryptomonnaie, mais aussi des cours ahurissants que l’on voit depuis plusieurs mois, et qui incitent de fait à se lancer dans l’aventure avec le souhait de gagner gros, il y a une sorte de « course à l’armement » où des pros du minage essaient d’acheter le plus possible de cartes graphiques qui sont particulièrement efficaces pour cette tâche.
Cela a déjà occasionné des problèmes par le passé, parfois dans des domaines aussi surprenants que la recherche de vie extraterrestre, car ce type de projet scientifique a lui aussi besoin de puissantes cartes graphiques. Plus prosaïquement, les joueurs et les joueuses peinent aussi à acquérir certains modèles de cartes, qui sont accaparés par cette jeune, mais très active industrie du minage — nous n’avons pas mis à jour notre guide PC depuis quelques mois à cause de l’indisponibilité des composants les plus intéressants du moment.
D’ailleurs, l’engouement pour cette activité a fait naître des dérives plus stupéfiantes encore, comme des sites qui cachent des scripts pour faire travailler le processeur de l’internaute à son insu, ou des logiciels malveillants qui se diffusent sur un nombre plus important de postes informatiques, qui deviennent de fait des « fermes à crypto ». Et les supercalculateurs ne sont pas non plus épargnés.
Certes, les fabricants de cartes graphiques ont tenté de répondre à cet usage nouveau en proposant des modèles spéciaux. Ainsi, Asus annonçait par exemple en 2017 que la P106 pouvait être plus efficace de 36 % qu’une GTX 1060, avec quelques bidouillages à la clé, tout en soulignant sa durabilité dans le temps pour pouvoir travailler sans discontinuer — en clair, miner sans s’arrêter.
L’Ethereum est très compatible avec le minage par carte graphique
En l’espèce, c’est la monnaie cryptographique Ethereum qui concentre toute l’attention, car il est possible de générer cette devise grâce à des cartes graphiques destinées au grand public. Cela n’est pas surprenant au regard de la manière dont est conçu Ethereum, que nous décrivions alors, qui fonctionne lui aussi sur des preuves de travail — c’est-à-dire là aussi des calculs à effectuer.
Ces preuves de travail constituent un procédé coûteux en énergie. Nous précisions aussi que l’algorithme de preuve de travail d’Ethereum, Ethash, est calibré pour favoriser le minage par GPU, ce qui n’incite pas à laisser tranquille le marché des cartes graphiques même si un passage à un système de preuve d’enjeu (ou preuve de participation) est envisagé, ce qui pourrait constituer une porte de sortie.
Voilà donc pourquoi Nvidia a décidé de retoucher sa GeForce RTX 3060, qui doit sortir le 25 février. « Les pilotes logiciels RTX 3060 sont conçus pour détecter des attributs spécifiques de l’algorithme d’extraction de la cryptomonnaie Ethereum, et limiter le taux de hachage, ou l’efficacité de l’extraction de cryptomonnaie, d’environ 50 % ». Pour Nvidia, c’est une « étape importante ».
Et surtout, c’est logique : « Nos GPU GeForce RTX introduisent des technologies de pointe – telles que le ray tracing RTX en temps réel, la technologie DLSS AI d’upscaling d’image accélérée, le rendu de réponse ultra-rapide Reflex pour la meilleure latence système, et bien d’autres — adaptées aux besoins des joueurs et de ceux qui créent des expériences numériques », détaille le fabricant.
Toutes ces technologies n’ont aucun intérêt pour les cryptomonnaies. Mais Nvidia n’a pas non plus envie de se couper ce marché : aussi propose-t-elle des cartes adaptées, avec la gamme Nvidia CMP, pour Cryptocurrency Mining Processor. Ces produits sont des sortes de cartes graphiques, à ceci près que, justement, elles ne font pas de graphisme. Pour les joueurs, elles n’ont aucun intérêt.
« Par exemple, les CMP n’ont pas de sortie d’affichage, ce qui permet d’améliorer le flux d’air pendant l’exploitation minière afin d’obtenir une plus grande densité. Les CMP ont également une tension et une fréquence de crête plus faibles, ce qui améliore l’efficacité énergétique des mines », ajoute la société. Quatre cartes CMP ont été annoncées par Nvidia, avec des performances diverses.
Sur le papier, l’annonce surprise de Nvidia a de quoi contenter tout le monde, avec des produits bien segmentés pour différents usages. Il reste à savoir si la pratique suivra la théorie, car Nvidia avait déjà lancé dès 2017 des cartes spéciales pour le minage, mais ça n’avait pas empêché justement les « mineurs » de déborder largement sur le marché des CGU grand public, au risque de créer des ruptures ou des pénuries.
« Avec le CMP, nous pouvons aider les mineurs à construire les centres de données les plus efficaces tout en préservant les GPU GeForce RTX pour les joueurs », avance Nvidia. À moins que les cours invraisemblables des cryptomonnaies ne poussent en fait les mineurs à rafler toutes les CMP et toutes les GeForce, en pariant qu’il sera possible de modifier leur pilote pour qu’elles tournent à plein régime…
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