« Les gens ne devraient pas avoir à accepter d’être suivis sur le web pour bénéficier des avantages d’une publicité pertinente. Et les annonceurs n’ont pas besoin de suivre les consommateurs individuels sur le web pour bénéficier des avantages de la publicité numérique ». Cette phrase, ce n’est pas un internaute rêvant d’un autre web, sans ciblage publicitaire, qui l’a écrite. C’est Google.
Plus exactement, c’est David Temkin, directeur chez Google en charge de la gestion des produits, publicité, confidentialité et confiance. Dans un billet de blog mis en ligne le 3 mars, et intitulé « Tracer la voie vers un web plus respectueux de la vie privée », il suggère que son entreprise va tourner la page d’une certaine publicité ciblée, celle qui suit chaque internaute individuellement.
Changer d’échelle pour la publicité ciblée
« Les progrès réalisés en matière d’agrégation, d’anonymisation, de traitement sur l’appareil et d’autres technologies de préservation de la vie privée offrent une voie claire vers le remplacement des identifiants individuels », explique David Temkin. L’intéressé indique que de nouveaux procédés sont en train de voir le jour, à l’image de Federated Learning of Cohorts (FLoC).
Avec FLoC, les navigateurs pourraient permettre la publicité basée sur les intérêts sur le web. Sauf qu’au lieu d’observer le comportement de navigation des individus, et donc de faire un pistage individuel les entreprises du secteur publicitaire observeraient plutôt le comportement d’une cohorte de personnes similaires. Dans une telle cohorte, il pourrait y avoir des milliers de personnes.
« En fait, écrit David Temkin, nos derniers tests de FLoC montrent qu’il y a une façon de retirer efficacement les cookies tiers de l’équation publicitaire et de cacher à la place des individus au sein de grandes foules de personnes ayant des intérêts communs ». David Temkin fait référence ici aux travaux de Google visant à se débarrasser des cookies tiers dans son navigateur Chrome d’ici 2022.
Les cookies, ou témoins de connexion, sont des petits fichiers informatiques déposés sur le PC ou le smartphone par le site lors d’une visite, via le navigateur web. Un cookie peut avoir plusieurs fonctions : il peut servir à reconnaître un internaute lorsqu’il revient sur le site, de façon à lui éviter d’avoir à se ré-identifier. Mais il peut aussi servir au pistage d’un usager sur le net, afin de lui servir de la publicité ciblée.
Cependant, compte tenu du modèle économique de Google, qui repose presque que sur la publicité en ligne (88 % du chiffre d’affaires de sa maison-mère, Alphabet, vient de cette activité, selon des chiffres de 2017), il était évident que l’entreprise américaine n’allait pas se tirer une balle de pied sans penser au coup d’après. En clair, Google va utiliser d’autres signaux et, manifestement, changer d’échelle avec les cohortes.
Et il n’est pas question, assure Google, de remplacer ses outils de pistage dépréciés par quelque chose d’autre qui ne ferait que déplacer le problème. « Aujourd’hui, nous disons sans ambiguïté qu’une fois les cookies tiers supprimés, nous ne créerons pas d’autres identifiants pour suivre les internautes lors de leur navigation sur le Web, et nous ne les utiliserons pas non plus dans nos produits », dit David Temkin.
Cette logique à l’œuvre chez Google était déjà perceptible sur un domaine proche, celui de la confidentialité différentielle. La firme de Mountain View s’est intéressée à cette méthode qui lui permettrait de régler la quadrature du cercle : collecter des données personnelles en protégeant la vie privée, en ajoutant du « bruit » dans les informations, ce qui a pour effet de mettre de l’aléatoire, et donc de l’incertitude.
« Nous ne créerons pas d’autres identifiants pour suivre les internautes lors de leur navigation sur le Web »
Les tests publics à plus grande échelle de FLoC sont prévus avec Google Chrome à partir de mars, et l’intégration de cette méthode est prévue dans Ads — la régie publicitaire de Google — au cours du deuxième trimestre 2021, toujours dans le cadre de tests avec les annonceurs. D’autres étapes sont au programme, dans la perspective d’affiner ce projet avec les retours de l’industrie publicitaire et des usagers.
Google s’adapte au sens de l’histoire
Google admet que son approche pourrait l’amener à être moins exhaustif — et intrusif — que la concurrence : « Nous sommes conscients que cela signifie que d’autres fournisseurs peuvent offrir un niveau d’identité d’utilisateur pour le suivi des publicités sur le web que nous n’offrirons pas – comme les graphiques de données personnelles basés sur les adresses électroniques des personnes ».
Mais Google estime que ce désavantage ne durera pas dans le temps, parce que le sens de l’histoire, de toute évidence, va vers un désir croissant des internautes pour de la confidentialité et de la vie privée — ce que l’on constate avec la généralisation des outils de chiffrement, dans les messageries instantanées (WhatsApp, Signal, Telegram…) ou sur le web (avec le HTTPS généralisé).
Et puis il y a aussi la pression de la réglementation, qui s’accentue au fil du temps : outre le Règlement général sur la protection des données dans l’Union européenne, on voit fleurir ailleurs dans le monde des initiatives similaires, y compris aux États-Unis. La Californie, qui est le berceau de la Silicon Valley, s’est même dotée de son propre RGPD avec le California Consumer Privacy Act (CCPA),
« Nous ne pensons pas que ces solutions [qui iraient plus loin que ce que propose Google à l’avenir, NDLR] répondront aux attentes croissantes des consommateurs en matière de protection de la vie privée, ni qu’elles résisteront à l’évolution rapide des restrictions réglementaires, et ne constituent donc pas un investissement durable à long terme », déclare Google.
Dès lors, autant prendre les devants et démarrer le chantier pour ne pas avoir à subir plus tard les prochains tours de vis réglementaires. L’entreprise américaine peut d’autant plus se le permettre qu’elle semble désormais disposer d’outils relativement satisfaisants pour prendre la suite, tout en répondant dans l’ensemble aux besoins des annonceurs et des attentes des internautes.
Il reste à voir si le Diable n’est pas caché dans les détails.
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