La vidéosurveillance à la rescousse de la bonne application des gestes barrières. Au Journal officiel du 11 mars, le gouvernement vient de faire publier un décret autorisant le « recours à la vidéo intelligente pour mesurer le taux de port de masque dans les transports ». Il s’agit d’une mesure temporaire : le décret doit s’appliquer pour une durée d’un an à partir de la date du 11 mars 2021.
Il n’est pas question de reconnaissance faciale dans ce décret. Autrement dit, il ne s’agit pas d’identifier les personnes sans masque dans les transports en commun pour ensuite leur infliger une amende de 135 euros — le tarif prévu pour sanctionner le non-respect de ce geste barrière dans les lieux publics. Le décret vise plutôt un suivi statistique du port du masque, pour ajuster éventuellement l’information au public.
Le décret, justement, prévoit aussi une information en amont pour les voyageurs et les voyageuses, afin de les prévenir « des principales caractéristiques du traitement » — c’est une exigence du Règlement général sur la protection des données. En revanche, certaines autres dispositions du RGPD (droits d’accès de rectification, d’opposition, à la limitation et à l’effacement) ne s’appliquent pas ici.
L’exécutif convoque justement un autre article du RGPD, qui liste les cas de figure où il est possible de passer outre, comme la sécurité publique et de santé publique, si la mesure est perçue comme « nécessaire et proportionnée » et qu’elle « respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux ». Là aussi, les personnes doivent être prévenues de ces limitations.
Le décret évoque le recours à la « vidéo intelligente » car la mesure statistique entre les personnes masquées et celles qui ne le sont pas ne sera pas calculée manuellement. Il est prévu un « traitement logiciel spécifique permettant l’analyse en temps réel du flux vidéo » afin d’automatiser le processus. Il est aussi précisé que les images doivent être par ailleurs « instantanément transformées en données anonymes ».
Il est également précisé que « l’ensemble des données issues d’une même station ou gare et ne peut être actualisé dans une période inférieure à vingt minutes », et que les images en question « ne font l’objet ni de stockage ni de transmission à des tiers ». Ces images, par ailleurs, ne doivent provenir que de « caméras fixes » dans les véhicules de transport ou bien les lieux accessibles au public, comme une gare ou une station.
Enfin le décret, qui avait été examiné le 17 décembre par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, rappelle aux responsables des transports en commun qu’ils doivent « s’assurer que les traitements de données sont mis en œuvre dans le respect des dispositions de la loi [Informatique et libertés] », lorsqu’ils participent à ce suivi des gestes par caméra de vidéosurveillance.
Des expérimentations en 2020
L’idée de se servir d’une « vidéosurveillance intelligente » pour mesurer le taux de port du masque n’est pas tout à fait nouvelle. En fait, elle avait déjà émergé quelques mois à peine après l’émergence du coronavirus en France : en mai, la RATP lançait une expérimentation dans la station Châtelet, à Paris. Un autre test semblable avait été identifié dans la ville de Cannes, cette fois sur les marchés.
À l’époque, la RATP avait présenté des contours du dispositif très similaires à ceux que le décret du 10 mars prévoit : pas de stockage des images, pas d’identification et pas de verbalisation des contrevenants. À Cannes, la CNIL observait que les mesures d’anonymisation prévues « présentent des garanties en matière de protection de la vie privée des personnes ».
Ces initiatives avaient fini par pousser la CNIL à s’exprimer spécifiquement sur le sujet en juin, en appelant « à la vigilance » face à des caméras intelligentes dont l’usage « n’est pas prévu par un texte spécifique » — le décret pris en mars corrige toutefois le tir. L’instance en profitait pour rappeler les « importantes problématiques » que ces dispositifs soulèvent, et sa préoccupation sur la montée en puissance de la vidéosurveillance et l’acclimatation à la reconnaissance faciale.
Concernant les caméras intelligentes, la CNIL signalait à l’époque que « leur utilité et intérêt réels, en fonction de circonstances précises, n’ont pu en ce sens être évalués et débattus à un niveau plus général que les organisations décidant de leur mise en place ». Et de glisser en filigrane que si la lutte contre la propagation de l’épidémie est un but tout à fait légitime, cela ne peut pas se faire au détriment des droits.
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