2022 sera-t-elle l’année de la fin des publicités des téléphones portables en France ? C’est en tout cas le souhait des parlementaires de La France Insoumise, qui profitent de l’examen du projet de loi de lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pour pousser cette suggestion. La mesure, si elle passait telle quelle, entrerait en vigueur le 1er janvier prochain.
Les membres de La France Insoumise ont déposé un amendement (n°6672) pour étoffer l’article 4 du projet de loi, qui traite de la publicité pour les produits et services ayant un impact excessif sur le climat. À la base, celui-ci cible la publicité en faveur de la vente des énergies fossiles, qui doit être interdite. Mais les députés du groupe à la gauche de la gauche veulent se focaliser sur les portables.
Pollution, exploitation, surconsommation…
Pour motiver une mesure aussi radicale, l’exposé des motifs multiplie les reproches à l’encontre de l’industrie du smartphone : il faut des dizaines de kilos de matières premières pour concevoir un seul smartphone, dont des métaux et des minerais qui sont rares, ardus à extraire du sol et parfois provenant de zones en conflit — LFI cite le cobalt et le tantale, qui viennent surtout de la République démocratique du Congo.
L’utilisation d’enfants comme main-d’œuvre est aussi dénoncée, en s’appuyant sur les données de l’Unicef — il y aurait 40 000 jeunes dans les mines. Le phénomène avait aussi été dénoncé en 2016 dans un rapport d’Amnesty International, qui évoque des conditions de travail harassantes et sans protection particulière pour se protéger des poussières, des blessures et d’éventuels dégagements toxiques.
L’amendement reproche également aux constructeurs de ne pas en faire assez au profit de la réparation des smartphones (en France, toutefois, un indice de réparabilité a vu le jour et commence à produire certains effets) et du recyclage. L’impossibilité de changer la batterie est pointée du doigt : les députés reprochent notamment aux constructeurs, dont Apple et Samsung, de la coller ou de la souder.
« Sur les 47 millions d’iPhone vendus en 2010, seuls 10 % ont été recyclés », avance LFI. En avril 2019, Apple indiquait pouvoir désassembler 1,2 million d’appareils par an grâce à un robot spécial. Un an avant, la firme de Cupertino a déclaré avoir reconditionné plus de 7,8 millions d’appareils. Cela semble beaucoup, mais compte tenu des volumes écoulés par la société américaine, c’est en fait modeste.
Autre critique avancée, l’obsolescence programmée, matérielle et logicielle. LFI s’appuie sur les données de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et déclare que « 88 % des téléphones qui sont remplacés fonctionnent encore ». Pourtant, Samsung dit fournir des mises à jour pendant au moins quatre ans pour l’essentiel de sa gamme, et Apple s’occupe des cinq dernières générations d’iPhone.
Il existe une loi qui prévoit des sanctions, mais le concept fait débat. Il désigne un « ensemble des techniques par lesquelles [une société] vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement ». Une affaire ayant visé des iPhone, qui ont été ralentis pour préserver la batterie, n’a pas été considérée comme relevant de l’obsolescence programmée.
Mais LFI évoque un autre type d’obsolescence, sociale cette fois. « Lorsqu’on achète le dernier téléphone high-tech, plus que l’objet, on achète en réalité le sentiment que nous procure ce téléphone. Le sentiment de se sentir privilégié, d’accéder à quelque chose d’exceptionnel, de rare, de moderne ». Et ce mécanisme a un nom : la publicité, ajoute le groupe à l’Assemblée nationale.
« Pour rivaliser dans la course à la distinction sociale, on se précipite pour acheter la dernière nouveauté. Y compris, en s’endettant, en payant en plusieurs fois ce qu’on ne peut acquérir en une quand un seul appareil coûte l’équivalent d’un SMIC », poursuivent les élus, en référence aux modèles les plus hauts de gamme — l’offre est toutefois complétée par de nombreux produits beaucoup plus abordables.
L’amendement égratigne aussi Apple et Samsung pour les sommes d’argent qui sont investies dans la publicité : il est mentionné 2 milliards de dollars pour Apple en 2015 et 9 milliards de dollars pour Samsung en 2012 — des montants très élevés, mais à considérer avec du recul : ce budget, annuel, est certainement celui pour le monde entier, et sans doute pour tous les produits.
Traduire une demande la Convention climat, selon LFI
Bien qu’ils notent que « l’empreinte environnementale et le coût social sont considérables », il n’est pas question d’interdire la vente de smartphones en France. Ils estiment qu’un bon compromis est d’interdire toute publicité en faisant la promotion pour, peut-être, faire diminuer le niveau de la demande. Citant encore l’ADEME, ils avancent que 25 millions de smartphones sont vendus chaque année en France.
Les parlementaires se targuent d’ailleurs de traduire concrètement une demande de la Convention citoyenne pour le climat. Parmi ses recommandations, elle suggère en effet de bannir la publicité en faveur des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Pour LFI, les smartphones entrent dans cette catégorie compte tenu de leur nombre, mais aussi de leur production et des chaînes logistiques.
Il est à noter que l’amendement de La France Insoumise existe aussi sous la forme d’une proposition de loi relative à la limitation des impacts négatifs de la publicité, repérée par Next Inpact. Elle est composée d’un article unique, mais ratisse plus large, car il est aussi question de l’eau en bouteille plastique jetable, des vols intérieurs, de voitures jugées trop polluantes, mais aussi de certains sodas ou aliments.
Il reste quel sort l’Assemblée nationale réservera à cet amendement.
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