C’est une mise en garde adressée au gouvernement, mais aussi au législateur qui discutera du nouveau projet de loi contre le piratage sur Internet : les mesures de lutte contre le téléchargement illégal d’œuvres, imaginées par les autorités, pourraient être excessives. Et cet avertissement ne vient pas d’une quelconque association, mais du régulateur des télécoms.
L’autorité administrative indépendante a en effet rendu le 30 mars un avis sur le projet de loi sur la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Rendu public le 12 avril, il accueille avec une réserve notable les plans du gouvernement. En particulier, les dispositions que le texte contient et celles pour le mettre en œuvre pourraient conduire à une « obligation de surveillance disproportionnée ».
Avec ce texte, le gouvernement prévoit d’une part de fusionner la Hadopi avec le CSA pour faire naître une autorité de régulation de la communication audiovisuelle numérique (Arcom) aux pouvoirs élargis. L’Arcom doit combler les limites de la Hadopi, qui ne peut ni s’occuper du streaming ni du téléchargement direct, seulement du P2P, alors même que ces pratiques ne sont désormais plus en vogue.
Le projet de loi entend également adapter le droit pour qu’il soit plus réactif face aux efforts des internautes adeptes du téléchargement illégal pour contourner des mesures de blocage. En particulier, une attention spécifique est donnée aux sites miroirs, qui fleurissent dès que l’adresse d’un site illicite est entravée par les fournisseurs d’accès à Internet, à la demande de la justice.
La lutte contre le piratage, oui, mais pas n’importe comment
Certaines dispositions posent toutefois en filigrane, une question clé : la fin justifie-t-elle les moyens ? En effet, pointe l’autorité de régulation des télécoms, le texte autorise l’Arcom à demander à toute personne pouvant mettre en œuvre une mesure de blocage à la suite d’une décision judiciaire de prêter main forte. Les opérateurs, par exemple, mais aussi les fournisseurs de noms de domaine.
L’Arcep craint que les opérateurs ne puissent être contraints de bloquer la totalité d’un service de communication au public en ligne, parce qu’il donne accès à des « contenus jugés illicites par une décision de justice ». Et ce, même si ce qui leur est remonté ne cible que les fichiers illicites, et rien d’autre.
« Une telle obligation apparait en pratique techniquement irréaliste et sa proportionnalité soulève donc de fortes interrogations (impossibilité probable dans le cas général pour le FAI d’identifier tous les cas de mise à disposition du contenu jugé illicite, limitations intrinsèques au fonctionnement du réseau du FAI, présence de trafic chiffré opaque pour le FAI etc.) », développe l’Arcep.
Si le régulateur évoque avant tout le cas des fournisseurs d’accès à Internet, puisqu’ils sont des maillons clés des réseaux et entrent dans son périmètre, ses questionnements sont les mêmes pour les fournisseurs de nom de domaine (en vue de suspendre des adresses, comme nomdusitepirate.fr), et les moteurs de recherche ainsi que les annuaires (dans le but de déréférencer les sites et les rendre moins accessibles).
Les remarques du régulateur concernent de la même façon les mesures contre le piratage de retransmissions sportives, dont l’impact est différent : une fois le match passé, et piraté, c’est « trop tard ». La valeur du contenu devient pratiquement nulle. Dans le cas du piratage d’un film ou d’une musique, les efforts restent pertinents pour les ayants droit, car la valeur de l’œuvre ne s’effondre pas après la diffusion.
L’Autorité de régulation des télécoms s’inquiète d’un possible écart de la France vis-à-vis du règlement européen sur l’Internet ouvert, et dans lequel est consacrée la neutralité du net. « La compatibilité de ces dispositions […] est contestable », écrit ainsi l’Arcep. Certes, il y a la possibilité de « déroger » au cadre général, « pour répondre à des obligations issues d’une législation nationale », mais cela doit être proportionné.
« Si le règlement prévoit bien que les FAI peuvent déroger à l’interdiction d’appliquer des mesures de gestion de trafic, dont font partie les mesures de blocage, […] il prévoit que ces obligations doivent être proportionnées. Or, la proportionnalité des mesures envisagées pose fortement question », est-il analysé. La discussion du projet de loi au Parlement sera l’occasion de voir si la mise en garde de l’Arcep aura été entendue.
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