Que se passe-t-il ?
Un ancien ministre de la Culture, Jack Lang, qui se dit « très en colère » à l’idée qu’on « veuille remettre en cause la loi qui est un des socles de notre protection des droits des auteurs et des artistes ». La locataire actuelle de la rue de Valois, Roselyne Bachelot, qui prend elle aussi la parole pour expliquer que « la redevance copie privée est cruciale et permet de rémunérer les créateurs ».
Pour qui suit l’actualité politique, la copie privée est devenue un sujet d’importance ces derniers jours, accentué par la publication le 29 mai d’une tribune dans le Journal du Dimanche, signée par plus de 1 600 artistes. L’enjeu ? Un débat à venir au Parlement sur l’empreinte environnementale du numérique. Plus spécifiquement, la question de savoir si on inclut les téléphones reconditionnés dans la copie privée.
En effet, un texte de loi en cours d’examen inclut un article qui propose de modifier le code de la propriété intellectuelle pour sortir du champ de la redevance pour copie privée les supports d’enregistrement — comme les smartphones — qui s’en sont déjà acquittés une première fois, lorsqu’ils étaient mis sur le marché en tant qu’appareils neufs. Il s’agit de ne pas les retaxer quand ils sont reconditionnés.
Pour les signataires, cet article de loi oppose l’écologie à la culture et paraît avoir été rédigé par cette nouvelle filière. « Les vendeurs de produits reconditionnés refusent de contribuer à un système vertueux », dénonce ainsi la tribune, qui pointe les manœuvres du leader du marché, Backmarket, pour exonérer le secteur et ainsi proposer des prix plus attractifs — ou récupérer à son profit la somme prévue pour la copie privée.
Qu’est-ce que c’est, la copie privée ?
Ce qu’on appelle copie privée, ou redevance sur la copie privée, est un mécanisme qui a été mis en place en France en 1985 et qui demeure toujours opérationnel aujourd’hui. Il s’agit d’une exception au droit d’auteur qui autorise le public à faire, comme son nom le suggère, une copie d’une œuvre à titre privé, dans un cadre familial. Enregistrer un film qui passe à la TV entre par exemple dans ce cadre.
Ce dispositif a été installé au motif que cette exception au droit d’auteur (enregistrer pour soi une œuvre culturelle) constitue de facto un préjudice économique pour les artistes, vis-à-vis duquel ils ne peuvent rien faire. Pour compenser ce manque à gagner — les ayants droit ne touchent rien quand une copie privée est faite –, un prélèvement est donc effectué sur les supports permettant ces enregistrements.
Roselyne Bachelot avance qu’en plus d’assurer une part de la rémunération des créateurs, cette disposition soutient « fortement les activités culturelles » en France. Dans la tribune, il est avancé que 12 000 évènements en ont bénéficié — « 64% des festivals de musique sont financés en partie par ce mécanisme » — et 200 000 personnes « sont soutenues dans leur travail » à travers lui.
Cette ponction est modeste par rapport au prix global d’un appareil, mais elle est obligatoire et concerne une vaste étendue d’équipements. Le barème est établi par une commission, qui détermine quels supports sont taxés et dans quelles proportions. Au rythme des usages et des évolutions technologiques, certains appareils ne sont plus taxés, tandis que d’autres le deviennent.
Quel est le statut des appareils reconditionnés ?
Aujourd’hui, la redevance sur la copie privée est organisée à travers l’article L311-4 du code de la propriété intellectuelle. La loi fixe des règles, à commencer par déterminer quel est le fait générateur qui déclenche ce prélèvement. Ainsi, il doit y avoir une mise en circulation en France des supports d’enregistrement. Or des appareils reconditionnés ont, de facto, déjà été mis sur le marché.
La loi ajoute également « qu’il ne peut porter rémunération des actes de copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière », ce qui écarte ces équipements du dispositif. À ce propos, le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, indiquait le 12 janvier « qu’à ce stade, les biens reconditionnés ne sont pas assujettis à la rémunération pour copie privée ».
Les signataires de la tribune pointent toutefois un enjeu : compte tenu du la montée en puissance des smartphones reconditionnés, qui d’après eux représentent 15 % des téléphones achetés en France, n’y a-t-il pas un risque que les sommes perçues baissent petit à petit, si la clientèle privilégie des mobiles d’occasion qui ont été remis en état, au lieu de se porter sur les nouveaux modèles ?
« Toute notre économie a vocation à devenir green. Créer cette exception pour un secteur d’activité qui a vocation à devenir la norme, c’est condamner à terme un des piliers du financement de notre exception culturelle », écrivent-ils. Et d’ajouter, à toutes fins utiles, que « ce n’est pas une taxe qui va dans les caisses de l’État, c’est un système original qui finance la vie culturelle en France ».
Quelle est l’évolution de la copie privée ?
Au fil des ans, la redevance sur la copie privée a démontré une certaine adaptabilité, y compris alors que les pratiques en matière culturelle ont beaucoup évolué. Par exemple, qui enregistre encore vraiment de la musique avec son smartphone pour la conserver ? Celle-ci est davantage consommée sous forme de flux audio, avec le streaming. Il n’en demeure pas moins que les smartphones y sont soumis.
Cette acclimatation s’observe dans le rapport annuel 2020 de la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins. Il ressort que le montant de la rémunération pour copie privée évolue à la hausse. En 2016, il était de 275 millions d’euros environ. Il est passé à un peu plus de 285 millions l’année suivante, puis 312 millions en 2018. La hausse sur cette période est de 13,7 %.
Pour 2019, le montant est plus bas, à 260 millions d’euros. Mais globalement, la redevance a connu une évolution favorable — sa valeur en 1986 n’était « que » de 36 millions d’euros. Récemment encore, l’assiette a été modifiée pour inclure les « téléphones idiots ». Se pose maintenant la question de savoir s’il faut mettre aussi dans la boucle le reconditionné, le marché prenant de l’ampleur et devenant un enjeu économique.
Et maintenant ?
Fondamentalement, l’article de loi ne remet pas en cause le principe de la redevance pour copie privée. Il s’agit plutôt de confirmer juridiquement l’exclusion des appareils reconditionnés du dispositif, ce qui est déjà le cas en pratique — et manifestement, l’existence et le développement du marché du reconditionné n’ont pas empêché le produit de la redevance d’évoluer à la hausse.
Cependant, le débat autour de la redevance pour la copie privée relance tout un débat, qui existe depuis longtemps, sur le fonctionnement de la commission. C’est ce que pointe d’ailleurs un député, Éric Bothorel, dans un amendement qu’il a fait adopter dans le cadre de la proposition de loi sur l’empreinte environnementale du numérique. Son souhait ? Que l’on produise un rapport sur le sujet.
« Face à l’élargissement régulier de l’assiette de la taxe et du manque de transparence du fonctionnement de la commission pour la rémunération de la copie privée, il est légitime que le Parlement se saisisse de cette question et demande au Gouvernement un rapport sur ce sujet », explique l’élu. En outre, il pointe le déséquilibre de la composition de cette commission, qui avantage les ayants droit.
Ce rapport de force bancal entre les membres de la commission (12 voix pour les ayants droit, 6 pour les fabricants et importateurs de supports, 6 pour les associations) constitue depuis longtemps un reproche à son encontre, car cela tend à aller vers un « toujours plus », alors même que les usages ne sont plus les mêmes : on ne stocke plus à proprement parler de la musique sur son smartphone.
Cet alignement des planètes n’est donc pas, à l’évidence, très favorable à la copie privée dans son mode de fonctionnement actuel : un article de loi propose d’écarter les appareils reconditionnés et un amendement appelle à un rapport pour « objectiver la situation », selon les mots du député. Et, de fait, cela pourrait mettre au jour les dysfonctionnements du mécanisme actuel et son décalage au regard des usages.
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