Une fois encore, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) prend la parole sur le pass sanitaire, mais sans avoir la certitude d’être entendue. Après une première alerte en mai, où elle pointait un risque d’un « phénomène d’accoutumance », suivi d’un avis, en juin, sur l’application dédiée au contrôle du pass, la Cnil émet une nouvelle mise en garde.
Cette prise de position se fait dans le cadre de la discussion au Sénat du projet de loi relatif à la gestion de la crise liée au Covid-19. L’autorité administrative indépendante relève que le contexte dans lequel le pass sanitaire est envisagé a changé : il ne s’agit plus seulement de viser certains lieux fortement fréquentés, et de façon très ponctuelle, mais d’inclure aussi des endroits de la vie courante.
En effet, le pass sanitaire s’impose depuis le 21 juillet dans tous les lieux de culture et de loisirs accueillant plus de 50 personnes, ce qui inclut par exemple les salles de cinéma, les salles de sport, les musées, les théâtres, les bibliothèques. Auparavant, la jauge pour le pass sanitaire était fixée à 1 000 individus, ce qui restreignait le dispositif à quelques grands raouts, comme des concerts ou des festivals.
Or, cet élargissement du recours obligatoire au pass sanitaire n’est pas anodin. « Ce choix comporte une dimension éthique », prévient la Cnil, car il va de fait donner lieu à une sorte de contrôle d’identité quasi-permanent de la population alors qu’elle vaque à ses activités . Cela « soulève des questions inédites et complexes d’articulation entre protection de la santé publique et exercice de libertés fondamentales. »
« Ce choix comporte une dimension éthique »
Il s’avère qui plus est que le pass sanitaire sera encore étendu en août. S’ajouteront à la liste les cafés et restaurants, les centres commerciaux, les hôpitaux, maisons de retraite et établissements médico-sociaux et certains moyens de transport quand ils concernent des longs trajets (avions, trains et cars). Ces mesures doivent s’appliquer à tout le monde à partir de l’âge de 12 ans.
Ces évolutions rapides du pass sanitaire sont à apprécier au regard de la situation, admet la Cnil. « Le rebond de l’épidémie peut justifier des mesures exceptionnelles, pour éviter un nouveau confinement », écrit l’institution. Un confinement constitue, de fait, une restriction beaucoup plus sévère des libertés qu’un pass sanitaire, puisqu’il n’est quasi plus possible de se déplacer ou de se rendre dans des lieux publics.
Cela étant dit, continue l’autorité, « la mise en place d’un contrôle sanitaire à l’entrée de certains lieux ou moyens de transport questionne la frontière entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et ce qui relève du contrôle social. En principe, il ne doit pas y avoir de contrôle de l’état de santé à l’entrée de lieux de vie collective ». Dans les faits, le contrôle du pass risque de s’y apparenter.
Crainte d’une accoutumance et d’une banalisation
Comme la fois précédente, la présidente de la Cnil a encore prévenu les parlementaires du risque d’accoutumance et de banalisation vis-à-vis de tous les mécanismes qui sont inventés, au fil de l’eau, pour faire face à la pandémie de coronavirus. Elle rappelle, et le texte de loi en tient justement compte, qu’il est indispensable que le pass sanitaire soit limité dans le temps.
En effet, ces circonstances sanitaires exceptionnelles facilitent de fait le déploiement de « dispositifs attentatoires à la vie privée » et acclimatent, avec le temps, la population à de tels contrôles qui « seraient la norme et non l’exception ». En clair, il faut prendre garde à tout « glissement » et à la survenue d’un « effet de cliquet », qui empêche tout retour en arrière une fois que les mesures sont installées dans le paysage.
Profitant de son audition, la présidente de la Cnil a suggéré de resserrer le périmètre et les conditions d’emploi du pass sanitaire. Par exemple : est-il si pertinent d’inclure les plus jeunes dans ce mécanisme, alors qu’ils ne développent en général pas de forme grave de la maladie ? Si l’objectif est d’éviter l’engorgement des hôpitaux, faute de vaccination, les mineurs ne sont sans doute pas pertinents dans l’équation.
Resserrer l’emploi du pass sanitaire
L’emploi du pass sanitaire pourrait également être paramétré plus finement, y compris au niveau des jauges et des lieux publics, en tenant compte des autres gestes barrières et des caractéristiques locales. Par exemple, une terrasse est beaucoup plus aérée que la salle d’un restaurant. Le port du masque, la distanciation physique, la capacité d’accueil sont aussi d’autres facteurs à prendre en compte.
La Cnil relève avec satisfaction que des « garanties substantielles sont déjà prévues » dans le texte, sur l’exercice de certaines libertés fondamentales (accès aux lieux de culte, liberté politique et syndicale), mais aussi sur l’interdiction de conserver les données du pass à l’issue du processus de vérification, la prise en compte de contre-indication et le fait qu’il existe une alternative papier au pass sanitaire numérique.
Cela étant, il en faut davantage : l’autorité « souhaite que la loi précise davantage les modalités de contrôle du passe sanitaire, et notamment le contrôle de l’identité du porteur du passe. Il convient d’éviter la généralisation de contrôles d’identité poussés dans tous les lieux où le passe sanitaire est institué ». Des dispositions supplémentaires doivent aussi être intégrées pour le pass dans un cadre professionnel.
Ainsi, continue la Cnil, « les conditions de traitement des données médicales des salariés par leurs employeurs devraient faire l’objet de précisions, afin d’éviter la constitution de fichier contenant toutes les attestations vaccinales des employés : l’employeur ne devrait garder trace que du statut vaccinal, et en assurant la sécurité de cette donnée sensible ».
En conclusion, la présidente de la Cnil suggère qu’il serait peut-être temps, après un an et demi de pandémie, de questionner l’utilité des autres dispositifs déjà en place, si le pass sanitaire devient une clé de voûte pour vivre avec le virus. Peut-être que certains outils mis en place depuis début 2020 peuvent être abandonnés, notamment certains instruments numériques.
« La loi devrait prévoir le principe d’une évaluation rigoureuse et scientifique de ces fichiers et dispositifs », fait-elle observer, en rappelant qu’il y a déjà une ribambelle de mesures : Gestes barrières, obligation de port du masque, télétravail sanitaire, système d’enquêtes sanitaires d’une puissance inédite, application TousAntiCovid, cahiers de rappel, campagne vaccinale et passe sanitaire.
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