Onlyfans a finalement décidé de revenir sur sa décision. Après avoir annoncé abruptement le 20 août qu’à compter du 1er octobre, la pornographie serait interdite sur Onlyfans, le site a déclaré le 25 août qu’il « suspendait » les mesures. Annoncées à chaque fois de manière laconique dans un communiqué de presse ou sur Twitter, les nouvelles successives ont choqué les créatrices et créateurs de contenus, qui ne savent plus vraiment à quoi s’en tenir.
Bien qu’Onlyfans n’ait jamais mis en avant le fait que de nombreux travailleurs et travailleuses du sexe étaient sur sa plateforme, le site est connu depuis l’année dernière comme un « Instagram du sexe ». Les communications officielles de l’entreprise ont eu beau vanter les cours de cuisine de grands chefs ou les entraînements particuliers dispensés par les coachs sportifs inscrits sur la plateforme, Onlyfans était synonyme de pornographie.
Pour tous les créateurs de contenu dits « X », l’annonce de l’interdiction du porno a été vécue comme un bouleversement. Même si Onlyfans a depuis choisi de faire marche arrière, les créateurs ne sont pas rassurés. Et beaucoup se demandent comment ils vont faire pour continuer leur métier.
« Comment je fais, pour nourrir ma fille ?»
« Pour moi, le monde s’effondre », nous explique avec dépit Liza. « Le premier truc que je me suis dit en apprenant la nouvelle, c’est ‘comment je fais, en octobre, pour nourrir ma fille ?’ Ça va être la merde niveau financier ». Sur Onlyfans depuis 2017, elle tire la totalité de ses revenus de la plateforme. Pour elle, plus que la perte de son emploi, l’interdiction du porno signifie l’insécurité.
Comme beaucoup, Liza a commencé en envisageant les revenus qu’elle tirait d’Onlyfans comme un bonus, en plus de son job à plein temps. Mais au fur et à mesure que son succès et ses revenus ont augmenté, elle a décidé de s’y consacrer à plein temps. « C’est devenu mon revenu principal, mais ça a été mon erreur, en fait : ne pas avoir de plan B. Les gens n’ont pas en tête le fait que ça apporte une vraie sécurité et que ça leur permet d’avoir des projets », explique-t-elle en citant l’exemple d’une amie qui comptait sur Onlyfans pour financer ses études.
« Je le vis vraiment une trahison, et je suis très en colère, tout en me sentant impuissante… », abonde Shamandalilie. Elle s’attendait cependant à une telle décision de la part d’Onlyfans : « Je le redoutais, mais je l’ai vu venir.» Depuis le mois de juin, Onlyfans essayait d’attirer de nouveaux investisseurs et de lancer une levée de fonds afin d’obtenir une valorisation à plus d’un milliard de dollars. Et pour cela, la plateforme avait déjà cherché à effacer ses côtés NSFW (non safe for work, ndlr). Malgré les signaux annonciateurs, beaucoup n’ont pas voulu y croire. « Certaines créatrices étaient dans le déni, jusqu’à ce qu’on reçoive le mail officiel d’Onlyfan », raconte Indriya, elle aussi performeuse sur la plateforme.
« La fin d’une époque »
À la peur de perdre leurs revenus, s’ajoutent beaucoup d’incertitudes. « J’espère que nos abonnés et nos fans vont nous suivre sur les nouvelles plateformes, mais c’est compliqué, les gens ne vont pas migrer si facilement. Mes abonnés me disent que certaines plateformes ne sont pas bien, qu’il y a plein de bugs », explique Liza. Dès l’annonce d’Onlyfans, elle a longuement discuté avec sa communauté. « Il y a beaucoup d’incompréhension de leur côté aussi, beaucoup de tristesse… Certains m’écrivent tous les jours pour me dire que c’est la fin d’une époque. »
Où aller, alors, si Onlyfans venait vraiment à rester sur cette position ? C’est la grande question. Entre les sites français Mym et Swame, ou bien les plateformes américaines, le choix peut sembler vaste, mais ce n’est pas toujours facile de faire un choix. « Mym n’est pas à la hauteur, il y a beaucoup de problèmes techniques, ça n’est pas ergonomique, la messagerie, c’est la croix et la bannière pour s’en servir, mes fans n’aiment pas l’utiliser », relève Liza. D’autres n’offrent pas la possibilité de diffuser des vidéos en direct, et d’autres n’acceptent que Paypal, ce qui représente un frein pour certaines. « Nous laisser 3 mois pour faire le changement, c’est brutal. On n’a pas le temps de reconstruire une communauté », regrette-t-elle.
« Dans ce milieu comme dans d’autres métiers, il faut toujours avoir un plan B. Voire, un plan C », explique quant à elle Indriya. « J’assure toujours mes arrières, donc j’avais déjà un compte Fansly prêt à prendre la suite. Et maintenant, je vais prévoir un autre site au cas où Fansly ferait la même chose. »
« Pour avoir déjà vécu un changement de plateforme, je sais à quel point c’est difficile, et je suis fatiguée de repartir à zéro, encore », explique Shamandalie. « Mais la différence, c’est qu’aujourd’hui ça nous arrive à toutes en même temps, et c’est très médiatisé, donc j’ai bon espoir que nos abonnés feront la démarche de nous suivre. Dans nos groupes, on est aussi extrêmement motivées pour se soutenir et faire en sorte que ça marche. Donc c’est rassurant. »
L’exemple de Tumblr
Ce n’est pas la première fois que les travailleuses et travailleurs du sexe sont mis à la porte des sites qu’ils utilisaient — et dont ils avaient pourtant contribué au succès. Et on sent aujourd’hui beaucoup de lassitude. « Ce n’est pas la première fois qu’un site rejette le porno pour essayer de s’agrandir et redorer son image », indique Indriya. Le premier exemple qui vient à l’esprit est celui de Tumblr, qui a interdit complètement toute nudité en 2018.
La plateforme, qui abritait jusque-là une large communauté d’amateurs et de professionnels, a décidé de ne plus autoriser les photos de nudité — officiellement pour lutter contre le partage de photos pédopornographiques. L’interdiction avait laissé toute la communauté déconcertée — et avait participé à une très forte chute de trafic sur le site.
Avant Tumblr, c’était le site de financement participatif Patreon qui avait sévi sur les contenus explicitement sexuels. « J’ai vécu ça en 2018 », se souvient Shamandalilie, « À l’époque, je ne faisais que du nu, mais ils ont décrété que c’était pornographique et m’ont demandé de tout supprimer. Comme j’ai été obligé de supprimer mon post payant du mois, j’ai supprimé mon revenu en même temps. C’est suite à ça que je suis passée sur Onlyfans. C’est d’ailleurs eux qui m’ont contactée pour que je les rejoigne, en me disant que contrairement à Patreon, ils ne me mettraient pas dehors », explique-t-elle, bien consciente de l’ironie de la situation.
Un futur « incertain »
Mais cette répétition fait aussi craindre pour le futur : après Tumblr, Patreon et Onlyfans, les sites qui vont prendre la relève ne vont-ils pas, eux aussi, subir la pression des banques ? Des rumeurs circuleraient déjà à propos de Mym, confient certaines créatrices, qui penserait à emboiter le pas à Onlyfans prochainement. « Pour l’instant le futur, il est incertain », soupire Liza. « On est toujours à la merci de ces sites. Et c’est impensable de se faire un site personnel, il faut un webmaster, un serveur, et il y aurait toujours le même problème de moyen de paiement », regrette-t-elle.
Même écho du côté de Shamandalilie. « J’ai peur que d’autres sites suivent leur exemple. On verra. Pour l’instant, j’essaye de pas trop y penser, je suis déjà soumise à pas mal de stress pour les mois à venir.»
Indriya se montre, elle, plutôt confiante : « Onlyfans va se faire racheter une bouchée de pain, parce que le site sera devenu impopulaire. Les autres fansites se frottent les mains ». Elle explique également attendre avec impatience la sortie prochaine du fan site de Cumrocket. « C’est une plateforme où on peut déjà acheter des NFT coquins », indique-t-elle, et qui est basée sur sa propre cryptomonnaie, le Cummies. « Avec les restrictions de plus en plus importantes des processeurs de paiement, la crypto, c’est l’avenir du porno. »
À la surprise générale, cinq jours après son annonce originale, Onlyfans est finalement revenu sur sa décision. Dans un court tweet, le site a déclaré avoir « suspendu les changements prévus pour le 1er octobre », et avoir réussi à obtenir « les assurances nécessaires pour supporter la communauté de créateur ». Aucun autre détail n’a pour l’instant était dévoilé, et beaucoup de questions restent en suspens.
Mais le mal est fait, malgré la tentative de réparation d’Onlyfans. « Je pense que le site a perdu la confiance des sex workers. C’est pas en nous informant par des tweets de 250 caractères qu’ils vont faire amende honorable », juge Indriya. Néanmoins, certaines sont en partie rassurées : « Ça donne du temps pour trouver un plan B, et c’est déjà beaucoup », explique Liza.
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