« GRAND CONCOURS : GAGNE UNE TESLA ». Les mots sont écrits en grand sur les affiches, accompagnés comme il se doit de l’image de la voiture et d’une photo d’un homme souriant. Pour gagner, nous informe la pancarte, rien de plus simple : il suffit de « suivre le compte Instagram de @yomidenzel », et de « commenter la dernière photo ».
Cette affiche, énorme, était visible sur les quais de la station de métro parisien de Trocadéro, mais aussi celles de Pyramides, Robespierre, Oberkampf, dans des stations de RER, ou encore dans certains arrêts de bus. Elle a été repérée par des journalistes sur Twitter (comme la journaliste Constance Vilanova qui a rédigé un thread complet sur le sujet), ainsi que la rédaction de Numerama, mais surtout par énormément d’internautes, qui n’ont pas tardé à inonder les réseaux sociaux des images de cette pancarte, croisée dans la nature. Et ce n’est pas tout : des publicités de Yomi Denzel, vantant son concours, ont également commencé à être diffusées sur plusieurs chaînes de télévision.
Comment une publicité pour un concours sur Instagram s’est-elle retrouvée placardée dans le métro et dans des spots publicitaires sur NRJ12 ? Et surtout, qui est Yomi Denzel, et ce qu’il propose rentre-t-il dans les clous de la loi ainsi que des règlements publicitaires ?
Un marketing hyper agressif
L’objectif du concours est simple, les consignes précises : sont mis en jeu une Tesla, l’équivalent d’un an de loyer, un sac Chanel, une PS5, et un iPhone 13. Il y aurait 5 heureux gagnants. Afin de pouvoir les sélectionner, Yomi Denzel demande à chaque personne de s’abonner à sa page Instagram, de partager sa publication en story, et enfin de la commenter en taguant deux personnes. Mais, explique Yomi, afin de « tripler ses chances de gagner », il faudra suivre les consignes supplémentaires, qu’il dévoilera au fur et à mesure dans ses stories Instagram.
Sur les réseaux sociaux, depuis le lundi 20 septembre, on ne voit que lui. Toujours souriant, posant sur la Tesla mise en jeu et entouré des autres lots, Yomi Denzel a pris d’assaut Instagram. Il n’est parfois pas seul sur les photos : quelques-uns des influenceurs français les plus suivis ont participé à sa campagne publicitaire. On peut notamment voir l’influenceuse Jessica Thivenin (6,3 millions d’abonnés sur Instagram), le youtubeur Michou (3 millions d’abonnés sur Instagram), la chanteuse Eva Queen (2 millions de followers) ou encore la youtubeuse EmmaCakeCup (1,8 million sur Instagram) poser avec lui sur la Tesla.
En plus de ses posts Instagram, Yomi Denzel a également acheté des spots publicitaires sur TF1, NRJ12, W9 et TFX, qui doivent être diffusés pendant une semaine, a-t-il indiqué dans une de ses stories. Numerama n’a pas réussi à visionner un de ces spots, mais de nombreux extraits ont été publiés sur Instagram et repartagés par Yomi Denzel. On peut le voir avec la Tesla, et expliquer que, « pour promouvoir l’entrepreneuriat », il a décidé d’organiser un concours, avec des lots d’une valeur de plus de « 60 000 euros ».
Le refrain est toujours le même : il faut aller sur Instagram, s’abonner à son compte, commenter ses publications. Et ce marketing extrêmement agressif porte ses fruits : en 24h, le compte Instagram de Yomi Denzel a reçu plus de 200 000 nouveaux abonnés.
« D’étudiant fauché à millionnaire en un an »
Qui est Yomi Denzel ? L’influenceur répète à l’envi sur les réseaux sociaux qu’il est passé « d’étudiant fauché à millionnaire en un an » grâce au dropshipping, sa spécialité. Le dropshipping est une pratique dont le nom n’est pas encore très connu du grand public, mais qui, pourtant, prend une part de plus en plus importante dans le e-commerce. Et c’est en grande partie grâce à cette activité qu’il aurait, selon ses dires, fait fortune. Mais depuis quelques années, Yomi Denzel ne fait pas que du commerce sur internet : il vend aussi des formations dédiées au dropshipping, ce qui est également un nouveau business à part entière.
Le dropshipping fonctionne comme le e-commerce traditionnel, à cela près que les gérants du site ne gèrent pas de stock : lorsqu’ils ou elles reçoivent une commande, ils passent commande auprès de leur fournisseur afin qu’ils livrent le produit directement chez leur client. Ce rôle de revendeur peut rapporter très gros : en soignant la présentation des produits, il est possible de faire une marge importante sur certains achats.
Et c’est exactement ce que fait miroiter Yomi Denzel avec sa formation : une méthode qui permet de se faire beaucoup d’argent, directement depuis son canapé. Avec ses cours, il promet des techniques et une expertise dans la vente en ligne, mais surtout un mode de vie : celui de l’entrepreneur riche. Une vie de rêve dont il entretient les apparences à coup de photo léchées sur Instagram, dans lesquelles il affiche voitures de luxe, montres et jets privés. Et le concours Instagram contribue également à faire fonctionner son business.
Une opération qui rapporte gros
Comment un tel concours, qui lui a couté plus de 60 000 euros rien que pour financer la Tesla et les cadeaux (sans compter le montant des partenariats et des pubs), peut-il être rentable ? Yomi Denzel sait parfaitement ce qu’il fait : ce n’est pas la première fois qu’il organise un tel concours. La première édition, qui a eu lieu l’année dernière et qui mettait en jeu une Mercedes et d’autres lots de luxe, avait également beaucoup fait parler sur les réseaux sociaux — en bien, mais aussi avec plus d’esprit critique, comme ce qu’a fait le youtubeur Un Créatif en 2020.
Comme Yomi Denzel l’expliquait dès l’année dernière, l’organisation d’un tel concours, c’est l’assurance d’engranger des bénéfices « sur le long terme ». Dans une vidéo, publiée en septembre 2020, à la fin de la précédente édition du concours, l’entrepreneur déclarait avoir dépensé plus de 200 000 euros pour l’organisation du concours, la plus grande partie de la somme ayant servi à la rémunération des influenceurs. « Pourquoi dépenser autant d’argent pour ce concours ? Est-ce que j’ai perdu la tête ? », demande-t-il, face à la caméra. « Non : c’est parce que ce concours va me permettre de faire croître mes différents business. »
Le concours lui aurait en effet permis de gagner plus de 700 000 abonnés l’année dernière (alors qu’il n’en avait que 60 000). « Parmi ces personnes, certaines vont aller voir mes vidéos sur YouTube, et parmi celles-là, certaines vont décider de se lancer dans le business en ligne, et d’acheter ma formation ». Et le calcul est vite fait : à 1 500 euros la formation, il suffirait selon lui que « 200 personnes » l’achètent pour qu’il rentre dans ses frais, et fasse du bénéfice. Loin d’être un acte généreux, ce concours a donc un objectif affiché et assumé : faire le buzz, et ramener le plus de nouveaux fans possible. Et l’édition de cette année, encore plus grande que l’année dernière, touche aussi plus de jeunes grâces aux publicités à la télévision.
Le concours de Yomi Denzel est légal
Il faut préciser d’emblée que le concours n’est pas une entourloupe. « Je confirme que les cadeaux existent bien », nous a dit par téléphone l’huissier de justice en charge du tirage au sort des gagnants, Maître Raphaël Moya, confirmant également son implication dans le projet. L’huissier a également attesté du fait que le règlement du concours avait bien été déposé chez lui.
Le dépôt du règlement chez un huissier est une étape obligatoire pour qui veut organiser des jeux : la création de concours est très encadrée par la loi. « Il faut que le concours ait un règlement, qu’il soit déposé chez un huissier, qu’il précise quels lots sont à gagner, et s’il y a une obligation d’achat », énumère Maître David-Irving Tayer, un avocat spécialisé contacté par Numerama. Et la liste est assez longue : « Il faut également préciser s’il y a des modalités de remboursement, si la personne qui a déposé le concours est bien identifiée au registre du commerce ». Et après ses vérifications sur la forme, « il faut aussi regarder le règlement en lui-même, voir s’il est conforme, comment sont répartis les lots, si c’est au tirage au sort, etc. ».
Le règlement du concours, qui est consultable ici, semble bien respecter toutes les conditions dictées par la loi. Il faut cependant préciser que les diverses publicités et les publications Instagram de Yomi Denzel ne mentionnent jamais un aspect important du concours, et qu’on ne découvre qu’en lisant le règlement : seules les personnes majeures peuvent participer. Ce qui peut interroger : tous les nouveaux followers mineurs de l’influenceur sont-ils au courant que même s’ils le suivent, ils ne pourront pas gagner de lot ?
Métrobus, la régie publicitaire des transports en commun parisiens, nous confirme de son côté que les affiches pour le concours respectent leurs conditions. « Nous avons fait valider les visuels avant leur affichage par l’ARPP (l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, ndlr), qui a suggéré d’apporter plus de précisions sur la date du concours. Les affiches ont été modifiées en conséquence », nous explique-t-on au téléphone. Chez M6, on confirme aussi que la campagne « est actuellement en diffusion sur nos antennes et est tout à fait conforme ».
Nous n’avons pas encore reçu de réponse des régies publicités de TF1 et de NRJ 12, ni d’Instagram. Le règlement de la plateforme autorise l’organisation de jeux concours, mais sous certaines conditions seulement, et les détails restent, encore aujourd’hui, flous.
Usurpations d’identité et arnaques
Ce n’est pas parce que le concours est légal qu’il ne présente pas de risque pour les participants — surtout pour les plus jeunes. Bien que les mineurs ne soient officiellement pas autorisés à participer, ils représentent une énorme partie des utilisateurs d’Instagram : 20 % des utilisateurs français d’Instagram sont au collège et au lycée. Le fait d’organiser un concours vu par des dizaines de milliers de mineurs, et lors duquel le style de vie luxueux de Yomi Denzel est sans cesse mis en avant, risque d’attirer de très jeunes personnes vers sa formation. Or, ces formations coûtent cher et ne sont jamais une garantie de succès.
Et il n’y a pas que pour les dropshippeurs en herbe que ce genre de concours peut être risqué. Comme souvent avec les concours Instagram, de nombreux comptes malveillants en profitent pour tenter de tromper les participants et leur soutirer de l’argent. En utilisant la même photo de profil et des noms de comptes très semblables à celui de Yomi Denzel, des imposteurs n’hésitent pas à contacter des participants et à leur promettre le gros lot afin de leur soutirer de l’argent. « Félicitations », peut-on lire dans le message ci-dessous, « vous avez une chance de gagner et une seule DERNIÈRE ÉTAPE pour vous d’obtenir ce prix ». Le faux compte demande ensuite à la personne de cliquer sur un lien, de s’inscrire « de manière gratuite », et de renseigner son numéro de carte bancaire. « Rappelez-vous que vous êtes les chanceux de recevoir ce message » (sic), conclut-il, afin de rajouter de la pression.
Il ne faut bien évidemment pas cliquer sur le lien, et ne pas renseigner ses données bancaires. Yomi Denzel, qui a été prévenu, a bien communiqué sur la présence d’usurpateurs et de faux comptes afin d’alerter sa communauté. Mais il ne l’a pour l’instant fait qu’en story, ce qui fait que l’avertissement ne sera disponible que pendant 24h sur son compte — le concours dure pourtant une semaine.
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