Cela faisait des années que Facebook développait son projet. Mais ce n’est que récemment que le réseau social a réellement commencé à en faire la promotion : le métaverse est désormais au coeur de la stratégie de développement du groupe. Mark Zuckerberg y voit en effet le futur de l’entreprise, comme le montre le récent changement de nom du groupe. En devenant Meta, la multinationale veut se placer encore plus en tant que leader dans le domaine. Mais qu’est-ce que le métaverse dont il est question ?
Qu’est-ce qu’annonce Facebook ?
L’un des derniers signes de l’accélération du développement du métaverse chez Facebook était la parution, le 17 octobre 2021, d’une annonce de recrutement, de prime abord tout à fait classique. Le réseau social ouvre des postes et cherche de nouveaux talents pour les occuper. Jusqu’ici, rien de très particulier. Sauf que cette campagne d’embauche est à l’échelle du réseau social : colossale. Et surtout, elle se focalise sur un projet encore mal connu du site : le métaverse.
Dans le détail, l’entreprise américaine a l’intention de recruter 10 000 profils au cours des cinq prochaines années. Elle ne compte pas les chercher n’importe où : c’est dans l’Union européenne que Facebook dit vouloir chercher des individus « hautement qualifiés », notamment des « ingénieurs hautement spécialisés » pour développer ce que le site décrit comme la « plateforme informatique du futur ».
C’est quoi, un « métaverse » ?
C’est l’autre nom de ce que Facebook décrit comme la « plateforme informatique du futur ». Il s’agit d’un univers virtuel fictif, dans lequel les individus pourraient évoluer dans des espaces persistants et partagés, en trois dimensions. Ce serait une sorte de futur Internet, où l’on ne naviguerait plus en ligne en deux dimensions, avec les navigateurs web, mais avec des avatars, de la 3D et des casques de réalité virtuelle.
Pour sa part, Facebook décrit le projet ainsi : « une nouvelle phase d’expériences virtuelles interconnectées utilisant des technologies telles que la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Au cœur de son cœur se trouve l’idée qu’en créant un plus grand sentiment de présence virtuelle, l’interaction en ligne peut devenir beaucoup plus proche de l’expérience d’interagir en personne. »
Le concept de métaverse est une notion que l’on pourrait retrouver à l’état embryonnaire dans les jeux massivement multijoueurs — qui disposent de mondes persistants — ou dans une version beaucoup plus avancée et futuriste dans le film de science-fiction Ready Player One, de Steven Spielberg, où les protagonistes enfilent des visières et des tenues haptiques pour rejoindre un monde hors du monde, l’Oasis.
Y a-t-il d’autres « métaverses » ?
L’exemple le plus souvent évoqué dans le domaine des « métavers » est sans doute le très célèbre Second Life. C’est lui qui a médiatisé l’idée de ces mondes virtuels dans lesquels on pouvait mener une existence un peu différente, dans un univers de bits, en parallèle de celle survenant dans un monde d’atomes. C’est un projet ancien, car il a vu le jour en juin 2003, après quatre ans de gestation. Une éternité à l’échelle du net.
Second Life est toujours opérationnel, même s’il reste cantonné à une niche d’usagers. En 2012, le jeu comptait 60 000 connexions simultanées selon Les Inrocks et un article de blog consacré à Second Life publié en 2013 affirmait qu’il avait une base active de 600 000 usagers. Un article plus récent de 2020 signalait que l’univers demeure fréquenté, tandis qu’un autre notait en 2018 qu’il y avait toujours des inscriptions.
Le succès de Second Life au début des années 2000 a attisé les appétits. En 2007, nous avions suggéré dix alternatives. On ne peut pas dire que leur destin ait été brillant. Certains n’ont pas dépassé le stade de la rumeur ou du vague concept. D’autres ont existé un temps, avant de disparaître. Pendant un temps, il a même été question d’un Google Earth à la sauce Second Life ! Seul Entropia Universe a tenu bon.
Bien plus près de nous, le studio Epic Games, à qui l’on doit l’incontournable Fortnite, décrit régulièrement ce titre comme une plateforme sociale et non uniquement un jeu. En septembre 2020, l’éditeur a rappelé sa volonté de faire de ce jeu « un métaverse complet qui soit un espace virtuel interactif, persistant, avec de multiples utilités. »
Le patron d’Epic Games lui-même a rappelé cet objectif en mars 2021 : « ce n’est pas un secret : Epic investit dans la construction d’un métaverse ». Autrement dit, Facebook ne sera du tout précurseur dans les métaverses. Cela étant, le site communautaire dispose d’une force de frappe certainement jamais vue dans le milieu des mondes virtuels et persistants. Et cela pourrait faire toute la différence.
Depuis quand Facebook s’intéresse-t-il au métaverse ?
Il est certainement très difficile de dater précisément l’instant où Mark Zuckerberg s’est dit qu’il allait lancer un métaverse, d’autant que le réseau social assure ne pas vouloir travailler seul sur le sujet — dans son communiqué, Facebook précise que la construction de cette plateforme informatique du futur se fait « en collaboration avec d’autres ». Mais de toute évidence, l’idée flotte depuis presque une décennie.
On se souvient qu’en 2014, à l’occasion des dix ans du réseau social, Mark Zuckerberg se livrait à un exercice d’anticipation en imaginant les dix prochaines années du site : « au cours de la prochaine décennie, la technologie va nous permettre d’ouvrir de nouvelles voies pour capturer et communiquer de nouvelles formes d’expériences ». Nous étions alors en février. Et en mars, Facebook rachetait Oculus VR.
Facebook a dépensé sans compter, puisqu’il a déboursé en tout 2 milliards de dollars pour mettre la main sur cette société américaine spécialisée dans les périphériques de réalité virtuelle. Et deux mois après, Brendan Iribe, le directeur général d’Oculus VR, a évoqué la perspective éventuelle de profiter de la communauté de Facebook pour avoir une sorte de MMO avec un milliard de membres — nombre d’inscrits à l’époque.
On peut supposer que, contrairement à un World of Warcraft, il n’y aurait pas d’aventures. Ce serait plus une ambiance à la Second Life, où tout le projet serait de s’incarner ou bien d’incarner un autre avatar et de conduire des interactions sociales diverses. En somme, le métaverse de Facebook pourrait être la version d’après de Second Life, en bien plus aboutie, en profitant des technologies de réalité virtuelle d’Oculus.
Les initiatives de Facebook dans ce domaine se sont affermies en 2019, quand a été dévoilé Horizon, un concept d’univers social et ludique en réalité virtuelle — même si en la matière, Facebook communiquait déjà sur des projets dès 2016. Plus récemment, en août 2021, le site a donné des nouvelles d’Horizon en montrant une première déclinaison, Workrooms, qui vient offrir une alternative en réalité virtuelle à la visioconférence.
Qui veut du métaverse de Facebook ?
C’est l’une des questions dont la réponse reste incertaine : compte tenu de l’image très dégradée — pour ne pas dire catastrophique — de Facebook, il parait difficile de se dire que le public serait prêt à plonger dans un monde virtuel et persistant dont les ficelles sont au moins tirées en partie par le réseau social. Comme le dit The Economist, « Facebook se rapproche d’un point de non-retour en matière de réputation ».
Les griefs contre le site américain sont innombrables et il serait presque vain d’en faire la liste ici : les pages en anglais et en français sur Wikipédia proposent un récapitulatif déjà très complet pour qui veut se rafraichir la mémoire. Notre tag Facebook fournit aussi une myriade d’articles mettant en cause la plateforme, sur bien des sujets. Dès lors, l’incursion de Facebook dans un métaverse est vue avec circonspection.
Une photographie a justement marqué les esprits. On y voit le patron de Facebook, sourire aux lèvres, en train de traverser une allée, au milieu de dizaines de spectateurs dont le visage est masqué par des casques de réalité virtuelle. La photo date de février 2016 et déjà les commentaires y voyaient un avertissement du « terrifiant avenir dystopique » dominé par Facebook.
Un autre évènement n’avait pas vraiment plaidé en faveur du métaverse-à-la-Facebook. En 2017, Mark Zuckerberg a tenté de vanter les mérites de Facebook Spaces, une interface en réalité virtuelle alors en phase expérimentale. Le patron du réseau social s’était alors « téléporté » virtuellement à Porto Rico, ravagé par l’ouragan Maria, sous la forme d’un petit bonhomme virtuel. L’initiative avait fortement déplu.
Nombre des critiques qui s’adressent à Facebook sont de fait alimentées par le modèle économique du réseau social, qui repose sur la publicité ciblée. Actuellement, le réseau social utilise de nombreux signaux différents pour savoir ce qui intéresse les internautes et leur proposer des contenus en rapport. Or avec un métaverse, Facebook pourrait aspirer encore plus de données, notamment comportementales.
« Une partie de la raison pour laquelle Facebook est si fortement investi dans la réalité virtuelle et la réalité augmentée est que la granularité des données disponibles lorsque les utilisateurs interagissent sur ces plateformes est un ordre de grandeur plus élevé que sur les médias sur écran », a déclaré à la BBC cet été Verity McIntosh, une experte officiant à l’université de l’Ouest de l’Angleterre
« Maintenant, il ne s’agit pas seulement de savoir où je clique et ce que je choisis de partager, il s’agit de savoir où je choisis d’aller, comment je me tiens, ce que je regarde le plus longtemps, les façons subtiles dont je bouge physiquement mon corps et réagis à certains stimuli. C’est une voie directe vers mon subconscient et c’est de l’or pour un capitaliste des données », a-t-elle ajouté.
Le métaverse de Facebook, une diversion ?
La communication de Facebook sur la nouvelle identité du groupe et du métaverse pourrait apparaître comme une diversion et un moyen pour le réseau social que l’on parle de lui un peu différemment qu’à travers des scandales et des polémiques. Cela étant, son projet de métaverse est en fait antérieur à l’éclatement des controverses les plus récentes.
Il est vrai que Facebook passe une rentrée agitée : une enquête du Wall Street Journal a mis en lumière le fait que le site a conscience du caractère toxique de sa filiale Instagram sur les jeunes femmes. Une panne d’ampleur a mis à terre tout l’empire Facebook pendant des heures. Son projet d’Instagram Kids ne rencontre quasiment que des oppositions. Sa façon de gérer les fausses nouvelles, dont le covid, est hautement décriée.
Clairement, Facebook est dans une passe compliquée, surtout avec l’action de Frances Haugen, une lanceuse d’alerte qui a récemment alimenté les médias avec des documents confidentiels. D’autres soubresauts sont à prévoir, car Frances Haugen doit justement être entendue par le conseil de surveillance de Facebook, qui, d’après elle, s’est fait mener en bateau par le réseau social.
La panne, d’ailleurs, a aussi eu pour effet de mettre en évidence le monopole de Facebook sur le net. C’est peut-être aussi pour ça que, dans le communiqué de Facebook du 18 octobre, le réseau social donne le sentiment de faire des gestes — ainsi, le recrutement des 10 000 postes va se dérouler dans l’UE, zone où la régulation est parmi les plus marquées au monde, à l’image du RGPD.
Peut-être est-ce aussi pour cela que le communiqué de Facebook à propos des futurs recrutements assurait « qu’aucune entreprise ne possédera et n’exploitera le métaverse ». Le réseau social déclare que, « comme Internet, sa caractéristique principale sera son ouverture et son interopérabilité ». Et qu’il se montre aussi laudatif à l’égard de l’Union européenne, de ses valeurs (comme la vie privée) et de son leadership en matière de régulation.
Mais qu’il s’agisse ou non d’une tactique pour détourner l’attention — même si le projet, on l’a dit, est en fait bien antérieur aux plus récents ennuis de la plateforme –, ce sont surtout les questions du gouvernance, de vie privée et de données personnelles qui se poseront. Mais également de la toxicité que l’on reproche à l’écosystème Facebook. Personne ne tient à la subir encore, environnement en 3D ou pas.
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