Coup de tonnerre : le régulateur britannique exige que Facebook cède la plateforme Giphy, spécialisée dans les gifs, alors même que le réseau social a annoncé son intention de l’acheter en 2020. Mais le site communautaire n’a pas dit son dernier mot.

C’est une décision qui fera date dans la régulation des géants du numérique. L’autorité de la concurrence britannique vient de rendre ses conclusions dans le cadre d’une enquête centrée sur Meta, la maison-mère de Facebook. Elles sont très défavorables au réseau social. Le régulateur exige en effet que l’entreprise américaine vende Giphy, un site spécialisé dans les gifs qu’il était justement en train d’acheter.

Dans un communiqué paru le 30 novembre 2021, l’instance considère que l’acquisition de cette plateforme par Facebook est néfaste à la fois aux internautes britanniques, mais aussi aux annonceurs. Si Facebook était autorisé à prendre le contrôle de Giphy, le réseau social « serait en mesure d’accroître son pouvoir de marché déjà important », mais aussi sa capacité de nuisance.

Giphy

Tonnerre sur le net : le régulateur de la concurrence britannique exige que Facebook cède Giphy. // Source : Giphy

Facebook pourrait utiliser Giphy pour nuire à des concurrents

La Competition and Markets Authority illustre le danger potentiel en citant deux types de nuisance. Le premier pourrait consister à mettre des bâtons dans les roues d’autres sites qui souhaitent toujours accéder aux images animées hébergées par Giphy. Ce faisant, en limitant l’accès ou en coupant carrément le robinet, les internautes pourraient être amenés à fréquenter encore plus longtemps l’écosystème de Facebook, pour justement retrouver les gifs qu’ils affectionnent afin de partager leurs sentiments.

La CMA fait observer que « les sites appartenant à Facebook — Facebook, WhatsApp et Instagram — représentent déjà 73 % du temps passé par les utilisateurs sur les médias sociaux au Royaume-Uni », ce qui est considérable.

« Ces problèmes de concurrence ne peuvent être résolus que si Facebook vend Giphy »

Le second pourrait être une sorte de marchandage indirect, défavorable aux internautes : Facebook pourrait modifier les conditions d’accès à Giphy en exigeant de TikTok, Twitter ou Snapchat qu’ils fournissent encore plus de données personnelles sur les internautes. S’ils refusent de transmettre ces informations, le réseau social pourrait bloquer l’accès aux gifs.

Cette crainte est directement liée au modèle économique de Facebook, qui repose presque quasi exclusivement sur la publicité en ligne. Et Facebook ne se contente pas d’afficher des annonces aléatoires : pour plus d’efficacité, il fournit des outils aux publicitaires pour qu’ils ciblent les internautes en fonction de leurs centres d’intérêt et de leurs profils. Pour cela, il faut les connaître, grâce à leurs données.

Gif Geoffroy GOT // Source : Giphy

Gif Geoffroy GOT

Source : Giphy

La CMA s’inquiétait également des enjeux publicitaires avec la disparition de Giphy. « L’association entre Facebook et Giphy a déjà éliminé un concurrent potentiel sur le marché de la publicité par affichage », note l’instance. Cette dernière observe que la plateforme de gifs aurait pu à long terme devenir un concurrent de Facebook dans la publicité, mais les services publicitaires de Giphy ont été fermés avec l’achat de Facebook.

Et aux yeux de la CMA, « ces problèmes de concurrence ne peuvent être résolus que si Facebook vend Giphy dans son intégralité à un acheteur agréé  ». L’autorité administrative considère que toutes les solutions avancées par le site communautaire ne permettent pas de résoudre sur le fond les enjeux de compétition. « Nous protégeons ainsi des millions d’internautes », argue le régulateur.

Le dossier Giphy n’est pas encore clos

Giphy a vu le jour en 2013 et est fréquenté quotidiennement par 700 millions d’internautes. En mai 2020, Facebook a annoncé l’acquisition de Giphy (il est à noter que Google, un autre géant du net, a lui aussi sa propre plateforme de gifs, avec Tenor, acheté en 2018), pour un montant estimé à 400 millions de dollars (environ 350 millions d’euros). Un mois plus tard, l’autorité de régulation britannique lançait son enquête.

Le verdict rendu par la CMA n’est pas tout à fait une surprise pour qui suit de près les sujets de régulation numérique.

Outre les investigations ouvertes quelques semaines après l’annonce du rapprochement entre Facebook et Giphy, le dossier a été marqué en octobre 2021 par une amende de 60 millions d’euros prononcée par la CMA contre Facebook, car le réseau social a enfreint certaines injonctions dans le processus de rachat de Giphy. Et, plus récemment, des rumeurs laissaient entendre que la CMA allait s’opposer à ce rachat.

Bien que la CMA ordonne à Facebook de lâcher Giphy, il ne s’agit pas encore du point final de l’affaire. Facebook conserve le droit de faire appel de cette décision devant les tribunaux britanniques. Et il parait improbable d’imaginer que l’entreprise américaine ne va pas user de tous les leviers juridiques à sa disposition pour tenter de conserver sa proie.

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