La pression vient de monter d’un cran à l’encontre de quelques-uns des plus gros sites pornographiques du net. Le 13 décembre 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel — qui deviendra à compter du 1er janvier 2022 l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), lorsqu’il fusionnera avec la Hadopi — a adressé une série de mises en demeure.
Cinq sites en particulier sont ciblés : Pornhub, Tukif, Xhamster, Xnxx et Xvideos. Il leur est demandé de se mettre en conformité de la loi d’ici 15 jours, c’est-à-dire de mettre en place « des mesures concrètes afin d’empêcher l’accès des mineurs à leurs contenus ». La simple déclaration sur l’honneur indiquant que l’on est majeur est largement inefficace pour filtrer les mineurs.
Pornhub, Tukif, Xhamster, Xnxx et Xvideos bientôt bloqués ?
Que se passerait-il si au bout des quinze jours, rien ne se passait ? Le président du CSA peut passer à l’étape d’après, en saisissant le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir le blocage de l’accès à ces sites web. Comprendre : les grands fournisseurs d’accès à Internet (principalement Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom, et peut-être certains gros opérateurs alternatifs).
Dans le détail, le blocage de l’accès, s’il est prononcé par le tribunal judiciaire de Paris, prendrait vraisemblablement la forme d’un blocage par DNS qui consiste à empêcher un internaute d’accéder à la ressource qu’il demande (par exemple, la page d’accueil de Pornhub). Au lieu de lui afficher la page demandée, il peut être possible de lui retourner une autre page.
Le blocage, s’il a effectivement lieu, pourra non seulement viser le site principal, mais aussi les éventuels sites miroirs qui sont repérés. Autre levier à disposition du tribunal : la possibilité d’exiger des moteurs de recherche (comme Google, Bing, Qwant ou DuckDuckGo, pour ne citer que les plus connus) et des annuaires de les déréférencer de leur Index.
En pratique, le blocage devrait donner lieu à une redirection vers le site du CSA, ce qui promet de générer un très fort trafic en direction du site administratif. Plus exactement, c’est une page précise qui sera la destination d’arrivée des internautes, qui aura pour tâche d’expliquer les motifs du blocage de ces cinq sites X.
Il est vrai que la simple page de garde apparaissant lors d’une première visite sur un site pornographique (ou en cas de suppression de ses cookies) ne suffit pas à bien contrôler l’âge des internautes. Un internaute de moins de 18 ans peut tout à fait cocher une case « Je certifie avoir plus de 18 ans » et cliquer sur « Entrer » sans que cela n’entraine la moindre réelle conséquence.
Le problème, c’est que la loi ne spécifie pas quel est le bon moyen de vérifier l’âge des internautes — c’est aux sites pornographiques de se débrouiller pour entrer dans les clous de l’article 227-24 du Code pénal. C’est en effet cet article, qui a été introduit dans le droit avec une loi entrée en vigueur en juillet 2020, qui établit cette nouvelle infraction en cas de manquement.
Cette mesure traduit une demande d’Emmanuel Macron au nom de la protection de l’enfance. Au cours de son mandat, le gouvernement a pris diverses dispositions en ce sens (y compris sur des thématiques plus lourdes, comme la pédopornographie) — il a aussi mis à disposition des ressources pour les parents afin de leur présenter plusieurs bonnes pratiques.
Plusieurs associations sont aussi engagées dans cette démarche. Il y a bien un problème d’accès des mineurs aux contenus pornographiques, parfois à des âges très jeunes. Cela pose des questions sur la manière dont ces jeunes se représentent la sexualité et le rapport à son partenaire, avec une vision biaisée des femmes et des pratiques centrées sur le plaisir des hommes — notamment en cas de dérives sur certains sites.
À supposer que ces cinq sites cèdent à l’injonction du CSA, ce sera un exercice très compliqué : il leur faut non seulement avoir un système efficace, du moins aux yeux du CSA, mais aussi respecter le cadre du RGPD, mais aussi les lignes directrices de la Cnil sur le sujet. La solution doit être entre autres proportionnée, minime, robuste, simple et standardisée.
Contourner le blocage du porno risque d’être trop simple
L’efficacité d’un blocage risque de se trouver limitée par la relative simplicité qu’il y a à changer les réglages DNS par défaut de son PC. En effet, la mesure repose sur la coopération des opérateurs, qui devront modifier leurs DNS pour les faire mentir (ils ne retourneront pas la bonne page demandée). Or, quid des internautes utilisant des DNS qui ne sont pas contrôlés par les FAI ?
Par ailleurs, d’autres évolutions techniques mettent en péril l’intérêt d’un blocage par DNS. C’est le cas de la méthode dite de DNS over HTTPS (DoH), qui consiste à ajouter une couche de chiffrement sur les requêtes et les réponses entre le PC et les serveurs DNS. Ces échanges n’étant plus en clair, il devient impossible de savoir qui demande quoi sur le web. Comme un site X.
Outre le contournement du blocage DNS, le déréférencement est aussi une solution qui comporte quelques fragilités. Tout d’abord, il n’est pas difficile de mémoriser les URL des sites pornographiques et de les taper directement dans la barre d’adresse, sans passer par un moteur de recherche. Et même dans ce cas là, il reste possible de se servir d’un autre moteur… ou d’une autre version de Google.
Reste également un dernier facteur à prendre en compte : même si ces cinq sites X sont effectivement neutralisés en France, la diffusion du porno restera considérable. Le CSA le sait, mais pour autant devait-il rester inactif ? Toujours est-il qu’il se retrouve à devoir vider l’océan avec une petite cuillère : les sites X sont légion et les internautes en ont conscience aussi.
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