C’est l’épilogue d’une bataille judiciaire de plusieurs années autour d’un nom de domaine : France.com. Et c’est un dénouement qui s’est joué non pas dans l’Hexagone, mais à des milliers de kilomètres de là, de l’autre côté de l’océan Atlantique. C’est en effet devant la Cour suprême des États-Unis que le sujet s’est réglé, de manière fort brusque.
La plus haute instance de l’ordre judiciaire américain a décidé de ne pas donner suite à cette affaire. Elle a rejeté le recours formé par Jean-Noël Frydman, un Américain d’origine française, qui prétendait avoir été dépossédé du contrôle de France.com. La décision de la Cour suprême date du 13 décembre, rapporte Domain Name Wire, un site spécialisé dans l’actualité des noms de domaine.
Cette conclusion constitue un point final à une affaire qui dure depuis 2015, dans la mesure où Jean-Noël Frydman avait déjà épuisé toutes les voies de recours aux États-Unis. En l’espèce, l’intéressé avait tenté une demande de révision de son cas auprès de l’instance suprême — cette procédure particulière s’appelle « writ of certiorari » aux États-Unis.
Dans cette affaire, Jean-Noël Frydman s’était trouvé dès le début dans une posture difficile : bien qu’en possession du nom de domaine depuis 1994, une ancienneté qui lui permettait de faire valoir une certaine légitimité, le Franco-Américain faisait face à un demandeur tout à fait particulier : la France. À partir de 2015, les autorités ont exprimé la volonté de récupérer cette adresse.
Une adresse stratégique pour la visibilité sur le net
Il faut se souvenir qu’au milieu des années 2010, les pouvoirs publics cherchent à améliorer la promotion de la France à l’étranger — le tourisme représente un poids important dans l’économie française, de l’ordre de 7 % du PIB (ce qui inclut aussi le tourisme franco-français). Un site global est alors mis en place, France.fr, avec une information homogène en plusieurs langues.
Mais pour les touristes du monde entier, les sites avec une adresse en « .fr » ne sont pas naturels — c’est une extension qui peut même ne pas être bien connue. Ce qu’ils peuvent avoir tendance à privilégier, c’est une adresse générique en « .com », qui est de fait beaucoup plus puissante en termes d’impact et de visibilité. Dans l’imaginaire collectif, c’est en quelque sorte l’adresse de base sur le net.
Ce n’est guère surprenant : si les internautes français sont familiers de leur domaine national de premier niveau, ils ne sont pas intimes avec celui qu’utilise le Brésil ou bien l’Australie par exemple. Leur tentative ressemblerait à quelque chose comme « brazil.com » ou « australia.com » plutôt que « brazil.br » et « australia.au ». C’est la même logique pour les touristes étrangers à l’égard de la France.
Recours en France, recours aux USA
Des recours sont alors lancés par Atout France, qui est l’agence de développement touristique de la France, opérateur unique de l’État dans ce domaine, avec l’appui de certains ministères, comme ceux des Affaires étrangères et de l’Économie et des Finances. Et en 2018, la propriété de l’URL est transférée de Jean-Noël Frydman à Atout France, qui peut dès lors l’utiliser à sa guise.
De ce côté-ci de l’Atlantique, le tribunal judiciaire de Paris comme la cour d’appel ont tranché en faveur d’Atout France, en estimant qu’une telle URL, dans les mains de quelqu’un d’autre, peut porter « atteinte à l’appellation France ‘qui constitue pour l’État français un élément de son identité’». Un pourvoi en cassation a été formé par Jean-Noël Frydman.
S’il reste une hypothétique marge de manœuvre en France pour contrarier la reprise en main de l’URL par les autorités françaises, avec l’action lancée devant la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, le dossier est plié outre-Atlantique. Déjà, dans les juridictions les plus basses, notamment au niveau d’une cour d’appel, les choses se présentaient mal pour M. Frydman.
Ainsi, comme le pointe Domain Name Wire, l’expatrié a intenté un procès devant un tribunal américain en 2018. Le gouvernement français s’est alors mobilisé et, durant la procédure, il est parvenu à faire valoir son « immunité souveraine », selon ce que prévoit le droit américain en la matière. Le verdict de cette cour d’appel est récent : il a eu lieu en mars 2021.
L’appellation France constitue pour l’État France un élément de son identité
La Cour d’appel de Paris
Les ramifications américaines de cette affaire s’expliquent à la fois par le profil du demandeur, un Franco-Américain établi aux USA depuis des dizaines d’années, et par la nationalité de certains acteurs-clés : VeriSign est l’entreprise qui gère le « .com », tandis que le site Web.com est le registre par lequel M. Frydman a réservé l’URL, en tant que client.
Le site Web.com n’a certes pas attendu la décision de la Cour de cassation pour transférer la propriété de France.com aux autorités françaises. Elle a appliqué les réquisitions de la justice française en 2018, après le verdict rendu par la cour d’appel. L’action lancée aux USA cherchait à contrer cette dépossession. Sans succès, malgré les multiples recours.
France.com ne sert aujourd’hui que d’une plateforme de redirection vers France.fr. Un internaute tapant la première adresse dans sa barre de recherche sera renvoyé automatiquement sur la seconde, de manière totalement transparente.
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