C’est un coup dur pour celles et ceux qui espéraient une diminution de la pénurie des composants électroniques en 2022. Dans un communiqué paru le 3 janvier, l’entreprise néerlandaise ASML (Advanced Semiconductor Materials Lithography) annonce que son site de production en Allemagne a été en partie touché par un incendie dont l’origine reste indéterminée.
« À ce stade, il est trop tôt pour faire une déclaration sur les dégâts ou pour savoir si l’incident aura un impact sur le plan de production de cette année. Il faudra quelques jours pour mener une enquête approfondie et faire une évaluation complète », écrit la société spécialisée dans la conception de semi-conducteurs. La bonne nouvelle, c’est que le feu a été maitrisé et qu’il n’y a eu aucune victime.
Ce qui n’est pas une bonne nouvelle, en revanche, c’est que le site berlinois d’ASML est consacré à la production « de composants pour les systèmes de lithographie, notamment des tables et des pinces pour plaquettes, des mandrins à réticule et des blocs miroir ». C’était précédemment une entreprise indépendante, Berliner Glas, qui a été rachetée en 2020 par ASML.
Une entreprise stratégique dans la tech
Comme ARM, ASML n’est pas une entreprise très connue du grand public. Ces deux sociétés sont pourtant hautement stratégiques dans le secteur des semi-conducteurs. La première parce qu’elle est au carrefour de l’industrie high-tech, avec des schémas hautement recherchés de puces. La seconde, parce qu’elle permet de produire les puces de demain.
ASML assure en effet la fabrication de machines industrielles capables d’appliquer un procédé de gravure que la société néerlandaise est pratiquement la seule à vraiment maîtriser aujourd’hui : la lithographie extrême ultraviolet (ou lithographie EUV). Il s’agit d’une technique utilisant le rayonnement ultraviolet pour graver des circuits avec un degré de miniaturisation extrême.
La miniaturisation des composants est un enjeu bien connu dans le monde de la tech, afin de pouvoir installer de plus en plus de transistors sur une même surface, en augmentant la densité. C’est ce qui a permis, entre autres, l’émergence de l’ordinateur personnel, évitant d’avoir à réserver toute une salle pour accueillir une unité de calcul, comme dans les années 50.
Aujourd’hui, il est commun de trouver des puces qui sont gravées avec une finesse de 7, voire 5 nanomètres (nm) — même si, à cette échelle, les comparaisons n’ont plus beaucoup de sens, car il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte — les innovations sont de plus en plus à trouver ailleurs, sur la géométrie des transistors ou bien la construction et l’intégration des puces.
ASML dispose d’une compétence pratiquement unique au niveau mondial
Pour descendre à des échelles encore plus basses, notamment le cap des 3 nm, il faut donc employer un rayon ultraviolet dont la longueur d’onde est de quelques nanomètres. Et pour arriver au seuil des 5 nm, c’est-à-dire des circuits dont les composants sont 5 000 fois plus petits que le diamètre moyen d’un cheveu (50 micromètres), il faut des machines énormes.
Comme le pointait Quartz en avril 2021, le premier prototype EUV a été expédié en 2010 et les premières machines prêtes pour la production en 2016. Chaque EUV pèse 180 tonnes, prend 17 à 18 semaines à assembler et coûte plus de 100 millions d’euros ; en 2020, sur les 258 systèmes de photolithographie qu’ASML a vendus, 31 étaient des EUV.
Une société si critique qu’elle est au cœur de rivalités stratégiques
En fait, le procédé de lithographie extrême ultraviolet est si peu maîtrisé dans le monde que les entreprises-clés du secteur des semi-conducteurs ont besoin du savoir-faire d’ASML. C’est ce que pointait Le Monde en mars 2021, en notant que des machines ont été livrées à TSMC (Taïwan), à Samsung (Corée du Sud), mais aussi aux États-Unis.
ASML est d’ailleurs à ce point stratégique que Washington fait justement pression sur les Pays-Bas, où siège ASML, pour empêcher la vente de ces machines à une société chinoise, SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation). Ces pressions, démarrées avec l’administration Trump, se poursuivent encore aujourd’hui, note Fortune, en octobre 2021.
Les États-Unis sont lancés dans une compétition stratégique avec la Chine et les premiers savent que les seconds sont aujourd’hui encore très dépendants des semi-conducteurs (en valeur, le pays en importe plus que le pétrole par exemple) et ses entreprises, comme SMIC, sont incapables d’atteindre le même niveau de gravure que TSMC, Samsung ou Intel (SMIC se situe à 14 nm).
Cette rivalité se traduit par des mesures visant à empêcher des entreprises chinoises d’accéder à des technologies très avancées. On l’a vu avec les frictions commerciales des deux superpuissances qui ont durement affecté Huawei. Mais on le voit aussi dans les supercalculateurs ou bien avec les machines d’ASML, du fait de sa place de leader mondial en lithographie EUV.
Au-delà des enjeux de puissance, l’incendie qui a touché le site berlinois d’ASML est critique à l’heure où l’industrie se tourne vers le prochain palier de miniaturisation — le 3 nanomètres — et s’efforce d’encaisser à la pénurie des composants, qui sont désormais partout : les voitures récentes, par exemple, en ont une centaine pour suivre les tendances du marché.
Cela ne va pas forcément arranger une industrie déjà sous forte tension, mais aussi les poids lourds et les leaders de la production de semi-conducteurs, qui besoin de ces machines pour graver les prochaines générations de puces qui viendront équiper les futurs équipements : téléviseurs, ordinateurs, tablettes, serveurs, smartphones, objets connectés, supercalculateurs, etc.
ASML, rappelle Reuters, opérait déjà à pleine capacité pour répondre à la situation de pénurie des composants électroniques. Le feu qui a touché ses installations va nécessairement conduire le groupe néerlandais à réduire la voilure le temps de faire le point sur ce qui est détruit et de tout remettre en place. Ce qui aura des effets en cascade sur ses partenaires.
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