À quel moment a-t-on bien pu demander aux antivirus de faire autre chose que de chasser des virus sur le PC et de neutraliser tout logiciel malveillant présent dans les pièces jointes de ses mails ? Voilà la question que l’on pourrait poser, au moment où des éditeurs de ces solutions logicielles semblent déterminés à vouloir aller dans une autre direction.
Car la trajectoire de certaines de ces entreprises étonne au regard de leur cœur de métier. Déjà en juin 2021, on apprenait que l’un des poids lourds du secteur, Norton, a intégré des outils pour « miner » de l’Ethereum — qui est l’une des crypto-monnaies les plus populaires, après le Bitcoin — en mobilisant les ressources informatiques de son ordinateur.
Le minage arrive chez Avira
Une autre société s’est lancée dans cette activité : Avira. Dans son édition du 10 janvier 2022, le site GHacks rapporte que l’entreprise allemande spécialisée est elle aussi en train de franchir le Rubicon en ajoutant un outil de minage dans ses produits. Une décision peut-être pas si surprenante si l’on sait qu’Avira est une filiale de NortonLifeLock, qui édite l’antivirus Norton.
Ce que l’on appelle minage de crypto-monnaie désigne l’utilisation des capacités de calcul de son ordinateur pour générer des unités de crypto-monnaie : en bitcoin, en ether, et ainsi de suite. Ce minage se déroule plus précisément en participant au fonctionnement de la chaîne de blocs, ou blockchain en anglais, qui est le registre dans lequel on consigne toutes les transactions.
Ces transactions sont justement vérifiées par les « mineurs », surnom donné aux personnes qui mobilisent leur outil informatique à cette fin. Quand une opération est vérifiée et validée, les mineurs sont récompensés par le réseau pour le travail fourni. Cette récompense prend la forme d’un montant en bitcoins. Divers facteurs jouent sur les gains obtenus, comme le « halving ».
Une activité en apparence très lucrative, mais dont l’évaluation coût / bénéfice n’est pas forcément si avantageuse. Le minage puise dans les ressources du PC, a tendance à accélérer l’usure du matériel et peut peser sur la facture d’électricité. Et pour ne rien arranger, la mode des cryptos et du minage est accusée d’alimenter la pénurie des PC et des composants.
Une option inactive par défaut
Dans le cas d’Avira, les orientations sont similaires à celles observées du côté de Norton : les crypto-monnaies générées sont stockées dans un portefeuille numérique personnel et l’outil de minage se focalise sur l’Ethereum. Par ailleurs, et c’est très important à noter, le minage n’est pas activé par défaut : le ou la propriétaire du PC doit activer l’option volontairement.
Mais si le feu vert préalable des individus est nécessaire pour miner de la crypto, ce qui a aussi le mérite d’éviter à Avira et Norton une polémique plus vive que celle qu’ils traversent déjà, encore faut-il que la fonctionnalité soit présentée de manière objective. Et par ailleurs, il reste à savoir si la clientèle des deux antivirus comprend bien les tenants et les aboutissants de ce service.
Il faut noter que l’attrait d’Avira pour le minage de crypto-monnaie était déjà identifié depuis plusieurs mois. Si l’intégration de l’utilitaire est manifestement très récente, dit GHacks, un billet de blog sur le site d’Avira publié le 27 octobre 2021 annonçait la présentation par la société de fonctionnalités étendues, parmi lesquelles Avira Crypto.
« Avira Crypto est conçu pour permettre aux consommateurs de miner des crypto-monnaies plus facilement et en toute sécurité, directement via la plateforme Avira. Les amateurs de monnaie peuvent désormais transformer le temps d’inactivité de leur PC en une opportunité de gagner de la monnaie numérique », lisait-on. Le minage ne surviendrait pas lors de l’utilisation du PC.
« Il est conçu pour être simple à utiliser, sécurisé et fiable, permettant aux clients de miner de la crypto-monnaie en quelques clics et d’éviter les barrières générales qui pourraient autrement empêcher leur entrée dans l’écosystème de la crypto-monnaie », ajoutait l’éditeur allemand. Sont concernés les produits Avira Free Security, Antivirus Pro, Internet Security et les clients Prime.
La disponibilité du minage est pour l’instant restreinte à quelques pays : en octobre, il a été annoncé un lancement pour les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Aucun autre pays européen n’a été mentionné dans le message publié cet automne. La foire aux questions n’en liste pas davantage. Seule la promesse d’un ajout ultérieur d’autres pays est faite.
Des frais de 15 % sur le minage
La question des gains que peuvent retirer Norton et Avira de cette opération doit aussi se poser. Dans sa foire aux questions, le second fait état de frais associés au minage et aux transactions. « Les frais de transaction fluctuent en raison des conditions du marché des crypto-monnaies et d’autres facteurs. Ces frais ne sont pas fixés par Avira », est-il écrit.
Concernant le minage, les frais sont « de 15 % de la crypto allouée au mineur. Les transferts de crypto-monnaies peuvent entraîner des frais de transaction versés aux utilisateurs du réseau blockchain de crypto-monnaies qui traitent la transaction. En outre, si vous choisissez d’échanger des crypto contre une autre devise, vous pouvez être tenu de payer des frais à un échange facilitant la transaction. »
Compte tenu du fonctionnement du minage, on peut se demander si Avira ne va pas nuire aux ordinateurs qui n’auraient pas les capacités techniques suffisantes pour absorber ce travail — ce qui serait paradoxal : un antivirus, dont le but premier est de protéger l’environnement logiciel du pc, le dégraderait au niveau matériel. Mais ce n’est pas censé se passer ainsi, d’après le groupe.
Le minage ne sera pas proposé sur les postes qui ne satisfont pas les critères retenus par Avira. Mais ceux-ci ne sont détaillés. S’il faut un matériel de pointe, cela laissera sur le carreau tout un pan de la clientèle. Sur un ordinateur insuffisamment puissant, ou qui ne serait pas fortement mis à contribution, les gains risquent d’être insuffisants pour que ça en vaille la chandelle.
Le chemin emprunté par Norton et Avira n’a pas suscité un fort engouement auprès du public. Il est vrai que ces fonctionnalités sont bien éloignées du service que rendent ces entreprises. Ironie de la situation, ces mêmes antivirus ont dû s’adapter à l’émergence de nouveaux risques consistant justement à miner de la crypto — certes, cette fois dans le dos des internautes.
Après Norton et Avira, le prochain à s’y mettre pourrait-il être Avast ? L’éditeur tchèque est la cible d’une acquisition lancée justement par NortonLifeLock en août 2021, pour plus de 8 milliards de dollars. Compte tenu du très grand succès de son antivirus gratuit, Avast pourrait être un important réservoir pour dénicher des apprentis mineurs supplémentaires.
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