« Uncanny valley » en anglais, « vallée dérangeante » ou « vallée de l’étrange » en français : cette notion fait référence au malaise que l’on ressent face aux robots humanoïdes. Mais d’où cela vient-il ?

Les robots nous ressemblent de plus en plus. Dans les mouvements, tout d’abord : les vidéos de Boston Dynamics font sans cesse le buzz avec des machines à l’agilité déconcertante. Et puis il y a les fameux « humanoïdes », ces robots dont le design est fait pour ressembler trait pour trait à un être humain — la peau, les yeux, la bouche, les expressions faciales. Récemment, un robot de ce genre a fait l’actualité : Ameca, décrit comme hyperréaliste.

Le robot hyperréaliste Ameca. (ne jetez surtout pas un coup d'oeil à la tête robotique en bas à droite, surtout pas) // Source : Engineered Arts
Le robot hyperréaliste Ameca. (oh et… ne jetez surtout pas un coup d’oeil à la tête robotique en bas à droite, surtout pas) // Source : Engineered Arts

Ces robots n’ont rien d’intelligent — il ne faut pas se fier à l’expression « intelligence artificielle », qui, de nos jours, ne correspond en réalité qu’à des algorithmes n’exprimant pas une forme d’intelligence telle que nous l’entendons. Malgré tout, il est vrai que voir un robot qui nous ressemble visuellement à ce point est impressionnant.

Impressionnant, et bizarre. Étrange, même. Si étrange, en fait, que ces visages de robots humanoïdes créent une sensation de profond malaise. Ce phénomène a un nom : uncanny valley, ou, en français, « vallée dérangeante » (parfois « vallée de l’étrange »).

Comment définir la vallée dérangeante ?

La notion de vallée dérangeante a été forgée dans les années 1970, par l’ingénieur en robotique Masahiro Mori. Le scientifique japonais faisait l’hypothèse que plus les robots ont une apparence humaine, plus les observateurs humains font preuve d’empathie et d’émotions positives au sujet de ces sujets. Cette pente ascendante finit toutefois par atteindre le haut de la vallée où les émotions changent : passé un certain stade de ressemblance, l’émotion prédominante est la répulsion.

Masahiro Mori postulait qu’après ce pic, il y a la pente descendante de l’autre côté de la vallée : une fois ce stade franchi, si les robots deviennent réellement difficiles à distinguer des humains, les réponses émotionnelles redeviennent positives.

Faites l’expérience de la vallée de l’étrange

Pour simuler la vallée de manière assez simple, nous vous proposons d’en faire l’expérience avec une série de trois illustrations, d’abord basées sur la réalité, puis à l’aide de la fiction.

Pour la première image, prenons un stade « primitif » de robotique, avec un robot qui a un air humain, sans trop nous ressembler. L’exemple ci-dessous n’est autre que le célèbre petit robot Pepper (ici exposé à la Cité des sciences dans l’exposition sur la robotique). Il est humanisé, mais reste clairement un robot.

Le robot Pepper à la Cité des sciences. Il est programmé pour répondre à une série de questions. // Source : Marcus Dupont-Besnard
Le robot Pepper à la Cité des sciences. // Source : Marcus Dupont-Besnard

Un robot comme Pepper n’inspire (en général) aucun malaise, plutôt de l’amusement. On a même tendance à le trouver mignon, un peu comme Wall-E. Mais avec la vidéo ci-dessous, l’atmosphère va devenir très différente. Il s’agit d’un robot humanoïde dentaire en plein dysfonctionnement. Son apparence humaine, avec ses problèmes techniques inhumains, plonge dans un profond malaise.

https://twitter.com/DannyDutch/status/1313432966102691841

C’est là une pleine illustration de la fameuse vallée dérangeante. Une sensation que l’on retrouve avec d’autres robots humanoïdes, comme Sophia ou Repliee Q2 : ces robots nous ressemblent, mais, en même temps, ils ne nous ressemblent pas vraiment. Et les « imperfections » en deviennent terrifiantes — car monstrueuses au sens d’une anormalité qui n’aurait pas lieu d’être.

Sophia et Repliee Q2, deux robots humanoïdes.
Sophia (gauche) et Repliee Q2 (droite), deux robots humanoïdes.

Beaucoup de gens sont donc bien plus à l’aise face à un robot clairement robotique, fait de métal et qui ne ressemble que vaguement à un humain, comme Pepper, que face à un robot qui essaye d’imiter notre peau, nos yeux, etc.

Mais quid de l’autre côté de la vallée, là où les émotions redeviennent positives ? Cette pente descendante n’existe pas véritablement de nos jours. D’après la théorie de la vallée dérangeante, il faudrait que les robots en question nous ressemblent bien davantage que les humanoïdes que nous avons montrés précédemment.

Pour illustrer, nous pouvons toujours faire appel à la fiction. Par exemple, la série britannique Humans montre des robots humanoïdes si poussés qu’ils sont impossibles à distinguer d’un « vrai » humain, sauf par les yeux, quelques détails dans la peau, une rigidité de la posture, etc. En l’occurrence, sur l’image, ce sont en réalité des humains grimés en robots, mais cela permet de se figurer à quoi correspond un robot humanoïde appartenant à l’autre côté de la vallée.

Personnages de la série britannique Humans (adaptée de la série suédoise Real Humans). // Source : Channel4
Personnages de la série britannique Humans (adaptée de la série suédoise Real Humans). // Source : Channel4

Des robots qui nous ressemblent vraiment, au point que nous n’en voyions si peu la différence, ne sont pas près d’advenir. Mais il est clair que de nombreux roboticiens y travaillent.

Robots qui nous ressemblent : entre bluff marketing et complexe de Dieu

Mais si ces robots sont si terrifiants, pourquoi s’évertuer à créer des robots qui nous ressemblent ? « Je pense que le désir de créer des machines à notre propre image vient de l’hubris très humaine de croire que notre ‘forme’ est en quelque sorte un idéal qui doit être répliqué », commentait un scénariste de Battlestar Galactica (série culte où l’on trouve des robots parfaitement humanoïdes) auprès de Numerama.

Dans ce même décryptage, Laurence Devilliers alertait sur le bluff marketing des robots qui nous ressemblent : « Il y a tout un travail marketing fait pour être soit anxiogène, soit fascinant. Quand on interagit verbalement avec un objet, on lui associe des caractéristiques humaines, comme un genre. On projette. Le marketing se sert de l’inconscient humain pour vendre des objets ».

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